jeudi 5 mars 2009

Le Procès


Le Procès

Ce jour-là, en rentrant chez lui, K... apprit qu'il passerait en procès.
Mais appelons-le C..., ça nous évitera d'être accusés de plagiat.
Et ça fera moins germanique.
Restons français.
C'est-à-dire humains.
Par exemple, dans cette histoire-là, le coupable sait exactement de quoi on l'accuse.
(Rien à voir avec le K... praguois, qui n'était au courant de rien.)
Lui, c'est l'assassinat du préfet E....
Une accusation certes un peu lourde à porter
(l'Etat est très vindicatif lorsqu'on lui fait des misères : il lui faut absolument des têtes à couper)
mais une accusation précise.
(On est loin du cauchemar germano-tchèque qu'a vécu K....)
C... peut se défendre.
Croit-il.
Faire éclater son innocence (car il nie).

De ce point de vue, ça démarrait assez bien pour lui.
Les témoins du crime ne reconnaissaient pas en lui l'assassin.
Mais alors là pas du tout.
Ils juraient même que c'était impossible.
Puisque ce n'était pas un petit brun (ressemblant à C...) qu'ils avaient vu assassiner le préfet.
Mais au contraire un grand blond.
Il s'agissait de témoins d'excellente qualité, des physionomistes de profession.
(Un policier et une croupière de casino).
L'histoire de C... aurait pu en rester là.
Mais il n'y aurait rien eu à raconter.
Alors que la suite est intéressante.
Glauque.
Un peu kafkaïenne, si l'on veut
(puisque le tribunal, comme dans un mauvais rêve, n'accordera aucune importance à ces témoignages)
tout en restant extrêmement française de goût.
Fine, légère, spirituelle
(on est loin de la lourdeur des récits d'Europe centrale).
Le président du tribunal, très pince-sans-rire, charria même le policier.
"Vous êtes le témoin idéal", ironisa-t-il.
On sent que le procès se passe au pays de Voltaire.

Après quoi déposèrent les experts.
Qui annoncèrent tous deux que l'assassin mesurait au moins 1m80.
Voire 1m85 (C... n'en fait qu'1,71).
Oui mais voilà, remarqua le tribunal.
Ces deux expertises ne valent pas un clou.
La première émane du médecin légiste
qui n'est pas balisticien
et qui n'a donc pas à avoir d'avis sur la question.
La deuxième vient de la balisticienne
qui n'est pas officiellement agréée auprès des tribunaux.
Son avis n'a donc pas à être pris en compte.
Il y a bien aussi l'expertise du balisticien agréé
qui, lui, a trouvé une taille d'1m83 pour l'assassin.
Mais il refuse de venir témoigner.
Et le tribunal ne peut pas le forcer.
Ce serait trop cruel.
Ni en nommer un autre.
Ce serait indélicat.
Si bien qu'il se trouve dans l'impossibilité de connaître la taille de l'assassin.
Imparable.
On sent que le procès se déroule au pays de Descartes.
Et aussi de Pierre Dac.

Viendront bientôt les complices de l'assassin.
Ceux-là ont tout avoué.
Ils ne sont pas particulièrement fiers d'avoir assassiné le préfet, mais ils le revendiquent.
Puisqu'il s'agissait d'un acte politique.
Ils ont déjà été condamnés à de lourdes peines.
Ils ont juré que C... n'avait jamais fait partie de leur commando.
Oui mais voilà.
Deux d'entre eux (ils sont six) avaient dit le contraire autrefois.
C'est même principalement à cause de cela que le procès a lieu.
C'est la charge principale qui pèse sur C....
Ils ont beau dire aujourd'hui qu'ils avaient autrefois menti, comment croire des menteurs?
Surtout lorsqu'ils sont en prison, sans plus personne d'honnête pour les conseiller?
Alors que leurs premiers aveux offrent toutes les garanties de la sincérité : ils avaient été obtenus au commissariat.
Certes, ils ne cadrent pas avec les faits de ce soir-là, connus grâce aux téléphones portables.
(Ni les lieux ni les heures "avoués" autrefois ne correspondent aux relevés des portables.)
Mais ils ont été recueillis par un policier au-dessus de tout soupçon.
(A l'époque en tous cas, car depuis il a été mis en accusation pour un délit commis dans le cadre de ses fonctions).
Le tribunal a donc demandé à ce policier de témoigner.
Pour qu'il confirme la spontanéité des aveux qu'il avait recueilli.
Seulement voilà : il est malade.
Il ne peut pas venir.
Il est parait-il en dépression nerveuse depuis la condamnation de C... en première instance.
(Obtenue grâce à son splendide travail)
Et qui, selon son psychiatre, a provoqué la subite dégradation de sa santé mentale.

J'en passe, et des meilleures.
J'espère vous avoir convaincu qu'on est en train d'élaborer en France une oeuvre aussi splendide que celle de Kafka.
Mais entièrement française.
Sans formalisme intellectuel à l'allemande.
Sans masochisme austro-hongrois.
Avec le sens de l'Etat et le mépris des personnes qui caractérisent la Patrie des Droits de l'Homme.

Le Procès de K... est resté inachevé.
On sent cependant tout à fait bien comment il se finit.
(Certains y ont même vu une préfiguration de l'Etat totalitaire).
Le procès de C... n'est pas terminé.
Mais on sent tout à fait comment il va finir.
Cela va être une apothéose.

En terminant ce post, mes pensées émues vont au prézydent de la république, sans l'intervention duquel une si belle histoire n'aurait probablement jamais vu le jour.
Elle vont également au ministre de l'Intérieur du gouvernement Raffarin, pour sa contribution essentielle.
Sans oublier bien sûr celui du gouvernement Jospin, qui fut à l'initiative du scénario.
(Car, comme dit le proverbe : lorsque le chevène ment, le sark aussi. C'est tout le secret d'une intrigue réussie.)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est fort bien dit, camarade.
(Au passage: le traitement de ce procès par "Libé" est quelque chose d'exceptionnellement hallucinant. Tu me diras: c'est "Libé"...)

Anonyme a dit…

C'est pas compliqué : je pense qu'elle écrit là sur recommandation de la police secrète.
gg (j'écris d'une autre bécane, dans le Gard)

Anonyme a dit…

Sympathique article et le jeu de mot à la fin excellent ;-)

Une bien "belle" parodie de justice

Le plus dingue c'est que l'accusation retourne les rétractations des témoins à charge par le fait qu'elles auraient été manipulées.
Un comble !

La Sarkozia: un monde de culot sans borne

Gérard Amate a dit…

Moi, ce qui me scandalise le plus, ce n'est pas que ce soit une parodie de justice : la justice dite antiterroriste n'est pas autre chose que le nouvel habillage des tribunaux militaires à destination des civils.
Mais que Le Monde et Libé publient à ce propos des articles manifestement écrits par (ou pour)la DCRI (ou la DGSE), au point que le Figaro puisse en regard être considéré comme une feuille insurrectionnelle, ça me troue carrément le cul.