mercredi 25 février 2009

La Belle Santé De L'UGTG


Depuis que le LKP met le zouk aux Antilles, on assiste en France à des scènes étranges.
Aux Cables de Lyon, par exemple, j'en connais qui, le matin à l'usine, saluent la compagnie par un retentissant : Martinique!
Et les camarades leur répondent poliment (car le Lyonnais est extrêmement poli) : Guadeloupe!

Il ne faut pas s'en étonner.
Le LKP est un collectif d'organisations diverses regroupées autour de l'UGTG (l'Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe).
Sa revendication principale est salariale (200 euros de plus par mois pour les bas salaires).
Et le moyen qu'il a trouvé pour obtenir satisfaction est la grève générale.
Rien qui ne soit étranger aux prolétaires de tous pays, et particulièrement aux salariés de France.
Cela les intéresse donc au plus haut point.
Bien que le contraste avec la métropole soit saisissant.

Ce n'est pas que nous n'ayons, dans l'Héxagone, d'importants syndicats.
Au contraire.
Ils sont nombreux et variés.
Il y en a pour tous les goûts.
Pour ceux qui aiment les barbus, il y a la CFDT. 
Et la CGT pour ceux qui préfèrent les cheveux longs (blonds).
Ces deux syndicats (pour ne citer qu'eux) sont largement plus fameux que l'UGTG.
Ils sont aussi beaucoup plus riches.
Ils gèrent et cogèrent diverses montagnes de pognon dans une flopée d'organismes collectifs ou paritaires.
(Alors que l'UGTG n'a que les yeux pour pleurer, puisqu'elle n'est pas représentative au niveau  national).
Leur puissance est considérable.
Lorsque le Prézydent a un problème avec les meurt-de-faim, c'est toujours à eux qu'il s'adresse.
Jamais à l'UGTG.
Qui, en comparaison, n'existe pas (ou à peine).

On pouvait penser que chez nous, les travailleurs sont encore mieux défendus qu'en Guadeloupe.
Seulement voilà.
C'était compter sans un destin fatal.
Depuis plusieurs années, nos organisations syndicales sont en secret torturées par un mal mystérieux.
Elles sont en proie à de véritables hallucinations.
Elles entendent des voix, qui les convient à des négociations.
Elles ont des visions, d'accords signés à la satisfaction des salariés.
On les voit ressortir, hagardes, des palais de la République.
Elles ne semblent plus très bien savoir qui elles sont, ni ce qu'elles viennent de faire à l'instant.

Rien n'est plus pénible que de les voir ainsi s'offrir en spectacle.
Le 18 février dernier, par exemple, elles étaient sur le perron de l'Elysée.
Elles sortaient du sommet social convoqué par le Prézydent.
(A cause de la grève du 29 janvier, et des énormes manifestations de salariés qui avaient eu lieu ce jour là).
En apparence, tout semblait normal.
Elles déclarèrent que les mesures envisagées n'étaient pas suffisantes.
(Elles s'attendaient à plus, probablement).
Elles râlèrent qu'elles essaieraient de faire une deuxième journée de grève.
(Espérant ainsi doubler, sans doute, les avantages obtenus par cette action.
Ce qui ne devrait pas faire loin, au total, de la tête à Toto).
Mais en mars.
(Car il ne faut pas abuser des bonnes choses, un jour tous les deux mois, c'est déjà énorme).
Bref, elles avaient l'air de tenir correctement leur rôle.
On n'en attendait pas moins d'elles.
Et pas plus, non plus.

C'est une lueur étrange dans les yeux bleus de Bernard Thibault qui a ouvert les miens.
On le sentait comme égaré.
Son regard se perdait vers d'indicibles horizons.
Déjà il n'était plus des nôtres.
Son esprit était ailleurs.
Dans d'autres négociations peut-être, traversant un espace infini de tables de conférence, de dossiers épars, et de feuilles d'éphémérides s'envolant à son passage.
Qui le saura jamais?
Il ne reviendra plus, probablement.
Il est trop loin, maintenant.

Inquiet, j'ai voulu vérifier ce qu'il s'était passé dans l'après-midi du 18.
Le Prézydent avait amené quelques petites choses pour donner aux pauvres.
Il y avait d'abord des cadeaux fiscaux (c'est sa spécialité) pour la première et la deuxième tranches (c'est déjà plus rare de sa part) de l'impôt sur le revenu.
Ce sont surtout les petits salariés et les smicards que ces tranches concernent.
Mais il n'y pas qu'eux.
On y trouve aussi pas mal de rentiers,
(Le revenu d'une petite location peut facilement atteindre la valeur d'un smic).
et souvent les patrons les plus misérables
(qui n'ont même pas une Mercedes à eux, elle appartient à l'entreprise),
sans compter tous les pauvres artisans, commerçants, paysans, libéraux, qui peuplent ce pays.
Le petit cadeau du Prézydent n'était donc pas spécifiquement destiné aux salariés.

Il avait aussi apporté une prime pour les chômeurs, un peu dans l'esprit de la prime de Noël pour les feignants du RMI.
Cela partait, à n'en pas douter, d'un excellent sentiment.
C'était particulièrement charitable de sa part.
Mais on ne peut pas dire que les chômeurs soient à proprement parler des salariés.
(Même s'ils l'ont été pendant longtemps).

Il avait aussi amené avec lui l'idée d'un fonds d'investissement social, abondé par l'Etat.
C'est probablement une idée géniale (d'ailleurs, elle est de Chérèque, à la base).
Mais qui concerne la banque.
Ce n'est pas exactement la même chose que le prolétariat.

Il y avait aussi une prime et des bons d'achat versés aux familles modestes pour la scolarisation de leurs enfants.
Le prolétaire est, par définition, doté d'une nombreuse progéniture.
Cette mesure le concerne, donc.
Mais pas seulement.
D'autres aussi font des enfants, et qui échappent, de ce fait, aux tranches hautes de l'impôt.
Là encore, cet avantage ne lui était pas spécialement réservé.

Et c'est alors que je m'en suis rendu compte.
Le 18 février, les syndicats, l'Etat et le patronat avaient discuté de diverses catégories sociales dans le besoin, les chômeurs, les familles nombreuses, les contribuables et les consommateurs.
Ils n'en avaient oublié qu'une, les salariés.
Alors que c'était leur grève du 29 janvier qui avait motivé cette réunion.
Bernard Thibault lui-même ne s'était rendu compte de rien.
(Et pourtant, il se trouvait là en qualité de représentant de ces mêmes salariés qu'on avait oubliés.)
Il avait bien senti qu'il manquait quelque chose (c'est insuffisant, avait-il déclaré).
Oui, mais quoi?
Il n'était pas arrivé à mettre un mot dessus.
Une véritable catastrophe cérébrale, qui explique sans doute la situation lamentable du syndicalisme dans notre pays.

Le 19 mars, il y aura une nouvelle journée de grève.
Et en avril, si tout va bien, une nouvelle invitation à l'Elysée.
Espérons que l'état physiologique de nos représentants syndicaux se sera amélioré.
Parce qu'après, c'est fini.
En mai, on sera en pleine campagne des européennes.
En juin, il faudra voter.
Et en juillet, partir en vacances.
L'année revendicatrice se termine bientôt.

A la Guadeloupe, le spectacle est totalement différent.
D'abord, ils n'ont pas choisi la grève d'un jour.
La leur, on sait quand elle a commencé, on ne sait pas au juste quand elle finira.
Ils sont un peu brouillon.
Ils se fatiguent pas non plus à réfléchir.
200 euros d'augmentation de salaire par mois.
On ne peut pas dire qu'ils se soient beaucoup foulés.
On est loin du degré de sophistication où sont parvenues les revendications syndicales de la métropole (terre de culture et de haute civilisation).

Le gouvernement avait bien essayé de leur parler intelligemment, comme il le fait avec nos syndicats.
De leur ouvrir des espaces intellectuels.
Nicolas Sarkozy leur avait concocté "des mesures politiques et sociales" dépassant le cadre étroit de leur revendication salariale.
Lesquelles leur avaient été vantées d'avance par François Chérèque en personne, au sortir de la réunion du 18.
(Oui, je sais, c'est un peu étonnant, mais il n'y avait pas que Bernard à montrer des signes inquiétants d'irréalisme jour-là. 
François, ivre du bonheur d'être reçu par Nicolas, se prenait alors pour un secrétaire d'Etat aux DOM-TOM. Il faisait les annonces.) 
On eut beau leur promettre une amélioration sensible du sort des Rmistes guadeloupéens, ainsi que diverses mesures dont le cumul pouvait parfois dépasser les 200 euros réclamés, ce fut peine perdue.

Sourds aux arguments de la raison caritative, ils en restèrent accrochés à leur revendication salariale.
Et ils sont bien près maintenant de la voir satisfaite.
Car ils ont sur nos syndicats un avantage indéniable.
Ils ont la santé.
Ils ne sont pas victimes d'hallucinations.
Ils ne se prennent pas pour des ministères d'Etat.
Ils s'occupent avant tout des salariés.
Et pas d'autre chose.
Puisque aussi bien, si ça va mieux pour les salariés, ça ira aussi nettement mieux pour tous les autres.
C'est ce que le patronat local a fini par comprendre.
Il est aujourd'hui d'accord pour payer sa part des 200 euros.

Il n'y a guère que le Medef et le gouvernement qui ne soient pas de cet avis.
(Ils pensent au contraire que plus ça ira mal pour les travailleurs, et mieux la France se portera).
C'est pourquoi il arrive nuitamment de pleins avions de CRS dans les aéroports des Antilles.
On dépense, cette fois, sans compter.
Car c'est moins une question d'argent qu'une question de principe.
Le principe suivant lequel on veut bien aider les pauvres.
(On n'est pas insensible aux misères du monde)
Mais jamais rendre justice aux travailleurs.
(On n'est pas non plus complètement imbécile).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah, comme ça fait du bien que ce soit dit!
Je pense que les salariés ont eu tout loisir effectivement de comparer l'efficacité de l'UGTG avec nos organisations syndicales (je suis syndiqué).
Le 19 mars est bien loin mais le 20 mars sera décisif. Mettons au pied du mur les élites syndicales.

Gérard Amate a dit…

Je suis également syndiqué;
Quant à les mettre au pied du mur...
On a vu en 2003, en 2007, ce que ça donne.
Il n'y a pas grand chose qui leur fait honte.

Anonyme a dit…

Tràs bon billet.
Malheureusement gâché par sa chute : les 4000 policiers envoyés en renfort...
Sauf erreur il s'agit d'une rumeur, d'un hoax.
En fait il faut probablement diviser le chiffre par 10.
Merci de rectifier

Gérard Amate a dit…

En effet, je me suis laissé intoxiquer par la rumeur.
J'ai supprimé la phrase.
Merci