samedi 28 mars 2009

Dreyfus et Colonna




Yvan Colonna vient d'être condamné comme autrefois Dreyfus.
A la perpétuité, par un tribunal d'exception.
Mais il y a une différence.
Dreyfus avait fait l'Ecole de Guerre.
Il était capitaine.
Il ne pouvait pas s'étonner qu'un tribunal militaire le juge.
Colonna était éleveur de chèvres.
C'est un civil.
Il a pourtant fini devant une cour d'assises sans jury.
Qui n'a pas grand chose à envier à une cour martiale.
Au contraire.

Car les militaires s'assoient avec maladresse sur les principes du droit.
Ce n'est pas vraiment leur métier.
Tandis que la cour d'assises spéciale est constituée de magistrats virtuoses.
Des pros, qui vont plus vite et plus fort au déni de justice que n'importe quel amateur, si gradé fût-il.

A l'issue de leur premier procès, Dreyfus et Colonna avaient fait contre eux l'unanimité des avis.
Jean Jaurès s'était même exclamé : "... pourquoi laisser ce misérable traître en vie?"
On s'aperçut vite, cependant, qu'on avait condamné le capitaine à la légère.

C'est avec plus de légèreté encore qu'on avait, en première instance, condamné Colonna.
Dreyfus avait eu contre lui les expertises graphologiques.
Alors que celle de médecine légale avait dédouané Colonna.
Divers témoins soi-disant directs avaient accusé Dreyfus.
Tous les témoins de l'assassinat avaient innocenté Colonna.

Au bout de quatre ans, Dreyfus et Colonna bénéficièrent d'un second procès.
Pendant l'Affaire, un autre coupable possible, Esterhazy, avait été inculpé.
L'armée s'était refusée à reconnaître en lui l'auteur du bordereau.
Elle l'avait acquitté à l'unanimité.
Depuis 2002, Ferrandi s'accuse d'être l'assassin du préfet.
Sans qu'on l'inquiète pour cela.
Il n'a fait l'objet d'aucune enquête nouvelle.
On refuse même d'envisager qu'il puisse dire la vérité.

De nouvelles expertises graphologiques vinrent infirmer les premières, qui accusaient Dreyfus.
Colonna bénéficia d'une nouvelle expertise balistique, qui était à décharge.
Les témoignages de l'armée d'une part, et de la police de l'autre, se fissurèrent et se contredirent.
Certains émanaient de mythomanes ou de faussaires.
On ne pouvait plus les prendre au sérieux.
Mais les deux tribunaux condamnèrent à nouveau leur accusé.

La cour martiale, atrocement gênée par l'Affaire, rendit un verdict, ridicule, de trahison avec circonstances atténuantes.
Du travail d'amateur.
Et abaissa la peine de Dreyfus à dix ans de relégation.
La cour spéciale, nullement étouffée par la honte, confirma la perpète.
Et la haussa à son maximum, vingt-deux ans de sûreté.
C'est à ce genre de détail qu'on reconnaît les pros.

Dix jours après ce jugement inique, le président Loubet graciait le capitaine Dreyfus.
Inutile de vous dire qu'il n'en ira pas de même avec le président Sarkozy.

Les anti-dreyfusards avaient utilisé, pour discréditer Dreyfus, les poncifs les plus lamentables de l'antisémitisme : le mensonge juif, la solidarité juive, la trahison juive, et l'absence de sentiment national français.
Autant d'arguments qui ne tenaient pas debout, et que les Français finirent par trouver odieux.
Les partisans de l'ordre ont invalidé de même les témoignages en faveur de Colonna.
Chaque jour ils parlaient d'omerta corse, de mafia corse, de solidarité corse et de clan Colonna.
Ultima ratio de ceux qui n'ont plus la raison dans leur camp.
Cela n'a pas choqué grand monde, à part les Corses, naturellement.
Et la famille Colonna, ainsi traitée d'organisation mafieuse.

On peut regretter la France courageuse de la IIIème République, où des journaux menèrent campagne en faveur de Dreyfus.
Où des intellectuels s'engagèrent pour lui.
Où des militaires s'élevèrent contre l'armée.
Où l'Etat lui-même finit par désavouer sa justice d'exception.
Ils n'avaient pas au départ plus de preuves de son innocence que nous n'en avons sur Colonna.
Et plutôt moins.
Mais la fausseté-même des procès qui l'avaient condamné criait cette innocence.

Au lieu de cela, nous avons une presse frileuse, quand elle n'est pas couchée, et qui n'ose pas dénoncer l'existence de la cour d'assises spéciale.
Elle prétend au contraire que la justice est passée.
Comme si c'était ça la justice en France.
Les intellectuels n'ont pas moufté.
Mais la terre entière sait bien qu'il n'y a plus d'intellectuels en France.
Quant à l'Etat, c'est lui, ce Napoléon de carnaval dont le Victor Hugo s'appelle Christian Clavier.

La comparaison n'est pas en notre honneur.
Pourtant l'indignation est là, avec ses internautes écoeurés, ses journalistes dégoûtés, ses citoyens révoltés.
Elle manque de force.
Il faudra bien qu'elle en acquière.
Colonna a 48 ans.
Il en aura 70 lorsqu'il aura droit à un aménagement de peine : sortir un peu, et rentrer le soir en prison, pour y dormir.

23 commentaires:

Gagou a dit…

reste plus qu'à écrire le nouveau "J'accuse"...
et se préparer pour les prochains Tivoli-Vauxhall
http://www.avoixautre.be/spip.php?article1898

Anonyme a dit…

Quand la raison d'état entre dans le prétoire, la justice en sort....

alan smithee a dit…

le cas colonna était clos avant même le procès, lorsque le ministre de la police nicolas sarkozy, faisant fi de la présomption d'innocence, déclarait face aux caméras "nous avons capturé l'assassin du préfet d'eyrignac".

c'était le coup d'éclat du ministre de l'intérieur de l'époque, colonna innocent, son bilan désastreux aurait refait surface, et pour la course à la présidentielle...

Gérard Amate a dit…

La gauche n'était pas en reste (c'est Chevènement qui, le premier, a désigné Colonna comme l'assassin. Sarko n'a fait que gérer cet héritage au ministère de l'Intérieur.
Et c'est pourquoi de tous les journaux, libé a été le plus écoeurant dans ces commentaires, et Bakchich le plus absent.
Alors que, paradoxalement, l'honneur du journalisme était sauvé par le Figaro.

Anonyme a dit…

franchement comparer Richard Dreyfus avec le complice d'un assassin, la connerie et la désinformation n'ont pas de limite.

Anonyme a dit…

Hum. Je trouve cette comparaison assez spécieuse, et ce texte assez peu pertinent ; Les différences entre les deux affaires font tourner la tète, je comptais les énumérer (en commençant par le crime) mais je réalise qu'il y en a bien trop, et si je m'y mets, quand j'arriverai au marché tout à l'heure, il n'y aura plus de poisson. bien@vous.tous

Anonyme a dit…

Merci pour ce billet. Ça fait du bien de voir qu'on est de plus en plus nombreux à se rendre compte du déni de justice dans cette affaire et surtout du triomphe de l'etat policier. Meme si les faits n'ont rien à voir rappelons nous de Patrick Dils qui a passé la moitié de sa vie en prison pour un double crime dont il etait innocent ou, plus près de nous, de julien Coupat contre qui il n'y a aucune charge mais qui reste en taule "au cas où".
Je ne sais plus qui a dit "je prefere un coupable en liberté qu'un innocent en prison", notre pays a choisi l'inverse.

Anonyme a dit…

La 1ere femme de Sarko: Marie-Dominique Culioli, une corse de Vico près de Cargèse, Jean-hugues Colonna (le père), député ps conseiller aux affaires corses en 81 auprès de Gaston Defferre...
ça t'inspire quoi gg ?

Gérard Amate a dit…

Je n'ai pas dit que les deux affaires sont identiques. Il y a des différences, ne serait-ce que parce qu'il y avait dans l'armée des hommes d'honneur : la seconde condamnation de Dreyfus n'a été obtenue que d'une voix.
J'ai comparé ce qui était comparable : pour le reste, je me suis abstenu.
Il y avait encore énormément à dire, je suis d'accord; et beaucoup à discuter : des décennies après, il se trouvait toujours des gens pour soutenir la culpabilité de Dreyfus, puisque le coupable probable, Esterhazy a fini dans la peau d'un innocent.
Vous pouvez, avec autant de raison, supposer que Colonna est coupable : comme vous le savez, il n'est possible à personne de prouver son innocence.
D'ailleurs, pour l'attaque de la gendarmerie, Colonna disposait d'un excellent alibi, il dinait dans un restaurant à cinquante kms de là.
Je n'aurai pas la cruauté de vous demander ce que vous-même vous faisiez ce soir-là : puisque même si l'on vous avait vu ailleurs, sur le continent par exemple, je pourrais toujours supposer que les témoins en votre faveur se trompent de date, et que vous avez aussi participé à cette attaque, comme le tribunal l'a fait pour Colonna.

Gérard Amate a dit…

Pour ce qui est de la première femme de Sarko, et du père de Colonna, ça ne m'inspire rien.
J'ai tendance à croire que, contrairement à ce qu'on dit souvent, la position de Sarko n'est pas personnelle, et qu'il s'agit pour l'Etat de protéger sa police, laquelle a été terroriste en Corse (cft l'affaire Bonnet)sur ordre, et qu'il ne peut pas lâcher.
Mais ce sont des supputations : pas de quoi en faire un post.
Par contre le constat selon lequel Colonna était condamné d'avance n'est pas une supputation : c'est un fait d'évidence.

Anonyme a dit…

ah ben vous pouvez faire preuve de la cruauté que vous voulez, on aurait beaucoup de mal à trouver chez moi un passé d'extrémiste. ça fait une différence de taille.

Gérard Amate a dit…

C'est sûrement vrai, mais ça ne change pas grand chose au problème de fond : en justice, on ne condamne pas les intentions, si criminelles soient-elles, mais les actes. (encore que ces temps-ci, on observe de nettes dérives).
Or c'est ce qui s'est passé : on a exigé de Colonna qu'il fasse la preuve, impossible à faire pour qui que ce soit,de son innocence; afin de le condamner sans aucune preuve, au motif, en définitive, qu'il avait le profil pour accomplir les actes qu'on lui reprochait.
Deux journalistes du Nouvel Obs allant même jusqu'à suggérer que s'il n'avait tué personne, il méritait sa peine, puisqu'il fréquentait les assassins.
Et certains ont trouvé ça génial.
Comment peut-on approuver de tels raisonnements?
Veut-on une société sans règle?
Où l'on juge à la tête du client, sur des critères improvisés dans l'heure, et avec des suppositions qui tiennent du roman?
Je ne vous parle même pas de justice, de démocratie, de séparation des pouvoirs, etc...
Mais simplement de règles du jeu, du respect de celles-ci par le pouvoir, quel qu'il soit, aussi autoritaire qu'il soit.
C'est le minimum qu'un individu, sous n'importe quel régime, exige de l'Etat.

Anonyme a dit…

Moi, François H., garant de la morale et gigantesque politique, en vérité je vous le dis :

"Cette comparaison est moralement inacceptable et politiquement intenable"

Gérard Amate a dit…

Je ne doute pas que vous ne l'acceptiez pas, mais je la trouve, en revanche, assez facile à soutenir.
Bon, on arrête?
C'est un peu inutile de continuer.

Anonyme a dit…

ok... désolé...

http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5ggeOK1F3h4JHrCCaHRUC-kWfTImw

Gérard Amate a dit…

C'est tout de même un plaisir de discuter sans être d'accord et ne pas s'engueuler.
Pour ce qui est de Hollande (ton lien), pas de surprise : c'est Chevènement qui avait le premier dit que Colonna était l'assassin et, encore une fois, c'est une affaire d'Etat. Le PS n'a pas condamné la Cour Spéciale (qu'il avait abolie en 81), et a fait silence sur ce procès et les dysfonctionnements qu'il a révélés.
C'est pourquoi (cft supra), je pense que la clé du mystère réside dans les rapports que les gouvernements (PS puis UMP) entretiennent avec leurs polices spéciales.
Ce qui nous rapproche encore de l'Affaire Dreyfus, quand l'Etat ne pouvait pas lâcher l'Armée.

Anonyme a dit…

Cher Gérard,
n'ayant pas eu de réponse à mon mail de dimanche, je me demande si ta non-réponse est une réponse ou si le mail s'est perdu dans les arcanes d'Internet.
Bien à toi,
JPB.

Gérard Amate a dit…

Cher JPB,
Le mail s'est perdu, du moins pour moi : ma freebox a rendu l'âme et, en attendant qu'on me la réincarne, je ne dispose que de quelques minutes, le matin (je chope mon fils qui dispose d'un e-phone mais rentre à pas d'heure le soir) pour faire mon courrier et aller sur mon blog. Mon oeil trop rapide t'a probablement ignoré, et maintenant il est trop tard : ce mail est dans les tréfonds, et je ne puis le chercher : déjà mon temps de connection est passé, plutôt vite, comme la vie.

Anonyme a dit…

Je te le réexpédie, titre Colonna (sur gmail).
Partant à Alès pour dix jours, demain soir, il est probable que je ne pourrais lire une éventuelle réponse qu'à mon retour.
Porte-toi bien,
JPB.

emachedé a dit…

Excellente article avec une belle idée: les destins judiciaires croisés de Colonna et Dreyfus.
Du travail d'orfèvre, pas évident à réaliser, mais fait avec brio.

Et pendant ce temps-là, les journaux n'en parlent pas, ou rangent ce déni de justice dans la colonne "A suivre", 13 petites lignes

A lire également sur le même thème l'article de mémé kamizole
http://kamizole.blog.lemonde.fr/2009/03/28/colonna-un-proces-pris-en-flagrant-delire-de-parodie-de-justice/
et ma version sur ce sujet
http://www.cpolitic.com/cblog/2009/03/28/proces-erignac-affaire-colonna-presume-coupable/

Gérard Amate a dit…

En fait, ce qu'il serait très intéressant à savoir, c'est pourquoi Colonna a été condamné.
L'explication selon laquelle il s'agirait du fait du Prince me parait un peu courte : le PS et ses médias, Libé, le Nouvel Obs, mais aussi Bakchich, Rue89, ont joué la condamnation de Colonna.
Libé a été le pire de tous, avec les articles de PT, qui auraient fait honte à Goebbels lui-même.
Pourquoi?

Hélène Larrivé a dit…

Très bon bouquin et argumentation serrée... mais le parallèle avec Dreyfus, tout de même, ça passe mal. Le crime, le judaïté de Dreyfus condamné uniquement pour cela, ses conditions de détention absolument incomparables avec celle de Colonna, enchaîné nuit et jour, la haine énorme qu'il suscitait -alors qu'au mieux Colonna suscite plutôt l'indifférence- sa situation de militaire, et la cour martiale qui n'a rien à voir avec nos cours récré ou presque à côté. Et même, j'apporte là de l'eau à ton moulin, le personnage de Dreyfus qui au fond mis à part l'énorme inhustice qu'il subissait, n'est pas franchement symapthique alors que le berger, si ou disons davantage. Rien à voir; Hélène (Larrivé)

Hélène Larrivé a dit…

... Mais si tu veux écrire un "J'accuse" c'est une excellente chose, tu as du talent et tout ce qu'il faut.