vendredi 20 mars 2009

Mon 19 Mars à Lyon


Il en est des enterrements comme de toutes choses en ce bas-monde.
Certains sont franchement attristants.
Et d'autres parfaitement réussis.
Comme, par exemple, les funérailles de Victor Hugo, qui passa directement de son lit de mort au Panthéon, avec un concours de peuple extraordinaire.
Ou, plus près de nous, celles de Kropotkine, le Prince de l'Anarchie, qui réunirent en 1921 un million et demi de personnes à Moscou.

Le 19 mars on enterrait à Lyon (et dans la France entière) l'hiver social.
Cette manifestation ne fut pas à proprement parler d'une ampleur gigantesque.
(Le Lyonnais n'est pas très défilant.)
Mais elle eut une certaine tenue.
Autant de monde qu'à Nîmes en janvier (ce qui est déjà beaucoup),
mais dans une ambiance un peu plus New Orleans (Le Nîmois ne sait pas enterrer, il fait ça d'un air sombre).
Il y avait même une batucada (raide et peu nombreuse, je le concède), située tout près d'une troupe de Verts et leur drapeaux auriverdes.
(La bannière des écolos, un soleil d'or sur champ de sinople, ressemble de loin à celle du Brésil).
Un petit air de printemps là-dessus, on s'y croyait presque.

On était venu le matin, serrés comme des anchoix de chez Lidl dans les wagons du métro.
On avait déboulé sur une place étrange (Granges Blanches, si tu n'as rien à y faire de particulier, tu n'y vas jamais).
Tout de suite après, c'était le boul' où était la manif, la vue était barrée.
On ne se sentait pas vraiment chez nous.
Ni nulle part précisément, d'ailleurs.
Pour se détendre, on parlait du défunt.
Qualis artifex périssait avec lui!
Et l'on évoquait les mouvements survenus cet hiver aux colonies de la mer Caraïbe et de l'océan Indien.
Ici aussi, c'est pareil, disait-on en regardant la rue grise bordée de bâtiments bourgeois.
(Car on attendait toujours que ça démarre).
Son oeuvre lui survivra.
La Révolution est pour bientôt.

A cent mètres du métro, il y avait déjà la CNT, ses drapeaux, ses vélos, son mégaphone, et ses slogans qui ne rajeunissent personne.

Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère...
Tout est à nous, rien n'est à eux, partage du temps de travail, partage des richesses...

Etc, etc...
Si vous êtes allés à une manif lors de ces quinze dernières années, vous les connaissez sûrement.
Inutile que je m'appesantisse.
J'entretiens, dans ce milieu, quelques fréquentations.
(Limitées, je ne suis pas de Lyon, ni aux Vignoles; ça handicape.)
J'entrepris donc de les rejoindre.
Et tout de suite je remarquai la différence avec les autres fois.
Aucune impatience.
Plus du tout d'humour (il faut reconnaître qu'il n'y en avait pas beaucoup non plus, auparavant)
Mais de l'ordre, du sérieux, et des têtes de circonstance.
Je comprends ce que c'est que de perdre un être cher, mais là, tout de même, c'était plus que je n'en pouvais supporter.
Je résolus d'abandonner la CNT et remonter le défilé, pour voir si c'était partout pareil.

Ils étaient tous en noir.
Juste devant, il y avait Sud.

Qui sème la misère, récolte la colère...

Je n'en revenais pas.
Un slogan cénétiste!
Et plus loin, ce fut pire encore, FO, la CGT, qui avaient abandonné le cri des supporters de l'Olympique de Marseille (Tousse ensemble, tousse ensemble, tousse) pour ceux de l'anarcho-syndicalisme.
Le tout bien tristement.
Sans rigoler.
Vous savez que dans ces cortèges, les slogans sont choisis la veille, en petit comité.
On avait probablement décidé en haut lieu d'exciter la masse avec des cris exotiques, pour cet ultime hommage.
Mais parfois, la greffe ne prend pas.
C'était le cas aujourd'hui.

Il arrive aussi, en de telles circonstances, qu'on soit pris d'un rire nerveux.
Je faillis y succomber une première fois, près du camion de la CFDT, qui hurlait les biguines du mouvement de Guadeloupe.
Chérèque, Domota, même combat.
Alors que la CFDT est le seul syndicat de l'île à ne pas faire partie du LKP.
Et je ne pus y résister devant la voiture du PS, où passait l'Internationale.
Juste derrière le PC, qui l'avait dans les oreilles, et n'osait reprendre en coeur l'hymne maudit des damnés de la terre.

Ce fut tranquillement assis à une terrasse, près de la Guillotière (il faisait beau, j'avais de l'avance, et une mise en bière s'imposait) que j'eus l'explication de ce petit mystère.
En fait, je n'avais remonté qu'une partie du cortège, celle des corps constitués, syndicats en tous genre et partis de gouvernement, situés (à tout seigneur tout honneur) en tête de cortège.
Le peuple et les secteurs en lutte (Educ Nat et grévistes divers) étaient relégués à l'arrière.
Ainsi qu'il est de règle lors de funérailles nationales, l'Etat passe devant.
Et parmi Lui, la CNT.
Qui, couronnant l'effort de plusieurs années de revendication, venait d'être admise à l'Intersyndicale.
Ce qui fait qu'elle ne défile plus avec nous, en bout de manif.
Mais avec les autres, devant.
On lui souhaite bien du bonheur en compagnie de ses nouveaux camarades.
Qui déjà reprennent ses slogans, et dans leurs bouches on s'en rend compte : il s'agit de paroles mortes depuis longtemps.
Parfaitement adaptées aux pénibles circonstances de cette cérémonie funèbre.

Le reste, vous le connaissez.
Chérèque avait, quelques jours avant la cérémonie, parlé d'une vie après la vie, d'un domaine des ombres où l'on pourrait encore un peu négocier vaguement quelque chose.
La droite au pouvoir, résolument matérialiste, lui a répondu qu'il n'en était rien.
Qu'il fallait en profiter tant qu'il est encore temps car après, c'est fini.
Et d'ailleurs, eux, c'est ce qu'ils font.
Ils cueillent le jour.
(et volent la nuit).
Aschiéri a proposé de refaire un cortège, en avril, mais sans grève, pour entretenir le souvenir.
Tu rêves, Gérard.
On aimait bien la Révolution, mais on ne va quand même pas porter des fleurs sur sa tombe tous les dimanches.
On a autre chose à faire.
Surtout que les beaux jours reviennent.
Et avec eux les élections.
Tu verras que dans un mois ou deux tu n'y penseras plus.
Tu auras la tête ailleurs, vers d'autres espérances.
La vie reprend ses droits.
Et pour faire plier le gouvernement, tu songeras à voter pour des listes de gauche aux européennes.
Après quoi, tu pourras te reposer.
Ce seront les vacances.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Trés beau et (parce que ?) crépusculaire billet nom d'un chien (noir) !
Moi, terminé, j'y fous plus les pieds, en ces processions ridicules parce que vaines.
J'ai compris en 2003.
Avec un retour d'âge en 2006(CPE/CNE obligent).
Mais basta.
Ces corniauds m'ont douché avec leur comédie mensongère juste pour la frime et qui empêche que tout le bazar se casse la gueule une bonne fois pour toutes.
Bien sûr, à chaque fois (c'est-à-dire bimestriellement) j'ai encore quelques petits fourmillements (pour tout dire des envies balèzes...) mais j'ai l'antidote : je lis les tracts appelant à LA manif.

Ainsi fis-je le 18 mars. Un de 4 pages (bizarre... chacun sait que c'est bcp trop long). De la CGT (chez moi y'a que la CGT à tracter). J'ai cherché mais rien. Pas un mot sur la suppression de l'AER depuis le 1er janvier. La CGT n'est pas au courant... Normal : zont un rayon/alibi chômeurs, tenu par une nénette qui est... à l'AER !

Alors j'ai pris mon chien sous le bras et dés l'aube je me suis barré loin du carnaval.

Anonyme a dit…

Pour tout savoir sur l'AER : http://www.ac.eu.org/spip.php?article659

Précision : l'AER est supprimée au 1er janvier mais celles et ceux (j'en suis) qui l'ont obtenue avant continueront (jusqu'à la prochaine saloperie) de la percevoir.

Anonyme a dit…

Autre chose : le "Tous ensemble, tous ensemble, ouais!" date des manifs de 95. C'est APRES qu'il a été repris par les supporters, dans les stades

Gérard Amate a dit…

ça se voit que tu n'es pas du Midi, camarade : Tous Ensemble, c'était un cri du stade Vélodrome sous l'ère Tapie, qui a pris fin en 94.
Le point commun avec la CGT?
Probablement Pernod-Ricard.

Anonyme a dit…

Et encore une illusion qui tombe...

Anonyme a dit…

C'était la même à Toulouse. Tout pareil. Et quelques slogans différents ["L'ordre mon cul ! La liberté m'habite ..."]. Je retiens qu'il faisait beau, et qu'il est doux de quitter le cortège, se trouver un jeudi, arpentant les boulevards vidés de ses voitures. Le silence.

C'est beau. Le silence.

Sinon, quoi d'autre ?

Ah oui : Nicolas Sarkozy (qu'on ne présente plus) vient tout juste de dire que c'était avant tout des manifestations d'impudeur et qu'il entendait surtout, ceusses qui n'avaient pas manifesté, qui souffrent en silence.

C'est beau. Le silence.
Et bientôt, oui, les vacances.
Le vacarme.

Gérard Amate a dit…

Il n'a pas précisé si, pour entendre le silence, il s'inspirait de l'Epée ou de Soubirous.