La semaine dernière, le magazine brésilien ISTOE a sorti une longue interview de Cesare Battisti, avec de vrais morceaux de scoop dedans.
On y apprenait notamment comment Battisti était sorti de France avec un vrai-faux passeport fourni par les services secrets (serviços secretos), et comment il avait été sans cesse sous surveillance des services français et brésiliens au Brésil.
Ce qui jette une curieuse lumière sur l'exploit réalisé par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy (alors en campagne pour les présidentielles), qui avait fait arrêté Battisti à Rio de Janeiro par la police française et l'avait fait remettre à la police brésilienne.
Voici cette interview en entier. Pour ceux qui ont la flemme de tout lire, j'ai mis en bleu le passage croustillant : en faisant défiler, ils le trouveront vite.
ISTOE- Quel effet cela fait-il, d'être au milieu d'une crise entre le Brésil et l'Italie?
CESARE BATTISTI- Sincèrement, je n'arrive pas à réaliser que tout ceci soit arrivé. C'est énorme, c'est exagéré. Je ne suis pas quelqu'un de tellement important. Je suis l'un des milliers de militants italiens des années 70. Je suis l'un parmi les centaines de militants qui se sont réfugiés dans le monde entier, fuyant les années de plomb en Italie. Pourquoi tout ceci à mon sujet?
ISTOE- Craignez-vous que le Brésil fasse marche arrière, devant la forte réaction de l'Italie?
BATTISTI- Non. La décision du ministre Tarso Genro est bien fondée. Il a analysé tout le dossier. Cela n'a pas été une lecture superficielle. Et il y a la preuve de la persécution politique dans le dossier. Je trouve que la décision du ministre Genro a été un geste de courage et d'humanité. La décision n'est pas seulement importante pour moi, Cesare battisiti, mais pour l'humanité. L'Italie a besoin de relire sa propre histoire. Nous sommes en train de donner à la nation italienne une possibilité de relire son histoire, avec sérénité, humainement.
ISTOE- En même temps que la réaction italienne ressurgit l'un de vos anciens compagnons, Pietro Mutti, disant que vous avez participé à la mort d'un bijoutier et d'un policier. Avez-vous tué ces personnes?
BATTISTI- Absolument pas. C'est loin de toute réalité. A l'époque de ces assassinats, je ne faisais déjà plus partie des PAC.
ISTOE- Avez-vous tout de même tué?
BATTISTI- Je n'ai jamais tué personne. Je n'ai jamais fait partie de la branche militaire d'une quelconque organisation. Ni au Frente Ampla, ni aux PAC, où je suis resté deux ans, de 1976 à 1978. J'ai quitté les PAC en mai 78, après la mort d'Aldo Moro (l'ex-premier ministre italien séquestré et tué par les Brigades Rouges). A l'époque, des milliers de militants ont abandonné les mouvements de lutte armée. Ce fut un moment de débat très important en Italie.
ISTOE- Repèteriez-vous que vous n'avez tué personne en face d'Alberto, le fils du bijoutier Pierluigi Torregiani, qui est en chaise roulante depuis un attentat des PAC? Il fait partie de la campagne menée contre vous en Italie.
BATTISTI- Ce que fait Alberto Torregiani est lamentable. Il sait que je n'est rien à voir avec cette affaire. Car j'ai échangé un grand nombre de lettres avec lui, une correspondance d'amitié, de sincérité et de respect. Mais Alberto Torregiani subit des pressions de la part du gouvernement italien car, après tant d'années de lutte, sans ressource, il a réussi à se faire pensionner comme victime du terrorisme. Depuis 2004, il touche une pension en tant que victime des années de plomb en Italie. Ils font pression sur lui, ils peuvent lui retirer sa pension.
ISTOE- Pourquoi êtes-vous entré en contact avec Alberto Torregiani?
BATTISTI- J'ai toujours été sensible à la situation d'Alberto. C'était un adolescent à l'époque de l'attentat. Après quoi, le père a repris barre sur le fils, resté paraplégique.
ISTOE- Et Pietro Mutti, comment expliquez-vous son intervention, après des années de silence?
BATTISTI- Il a répété, mot pour mot, ce qu'il avait dit devant le procureur Armando Spatero en 1981. Et, comme d'autres "repentis", il avait parlé sous la torture. Aujourd'hui, je ne puis affirmer qu'il n'a pas été ressorti par la machine du gouvernement italien. Mais même s'il est réapparu de lui-même, il ne pouvait rien faire d'autre que répéter exactement ce que demande le procureur connu pour avoir dirigé les tortures dans la région de Milan. A l'époque, la torture faisait partie du quotidien en Italie. L'Italie devrait le reconnaître. Mais elle ne le peut pas. Parce que l'Italie c'est l'Europe. Et l'Italie ne peut admettre qu'elle a vécu une guerre civile dans les années 70.
ISTOE- Mais c'était une démocratie. Ce n'était pas une dictature.
BATTISTI- Il y avait une démocratie dans laquelle la mafia était au pouvoir. Nous avions un premier ministre qui est resté au pouvoir pendant des décennies et qui a été condamné comme membre de la mafia. Je parle de Giulio Andreotti (dirigeant démocrate-chrétien, premier ministre en 72-73, de 76 à 79, de 89 à 92). Il y avait aussi les fascistes, qui n'ont jamais été loins du pouvoir. Et aujourd'hui, malheureusement, ils y sont de retour.
ISTOE- La semaine dernière, une femme identifiée comme votre ex-petite amie Maria Cecilia B a déclaré dans les médias italiens que vous lui aviez avoué le meurtre d'un gardien de prison.
BATTISTI- Maria Cecilia Barbera, qui n'a jamais été ma petite amie a été une collaboratrice de la Justice. C'était ce qu'ils appelaient une collaboratrice secondaire, qui témoignait de détails pour soutenir une accusation.
ISTOE- Et elle a appartenu aux PAC?
BATTISTI- Pas que je sache. Je pense que non. Elle était du Frente Ampla, dans la région de Venise. Ils ont dû lui demander de témoigner un détail. Alors, elle dit qu'une nuit je lui ai avoué avoir tué un gardien de prison.
ISTOE- Combien les PAC avaient-ils de membres?
BATTISTI- A l'époque où j'étais aux PAC, entre 1976 et 1978, je ne connaissais pas tout le groupe, au niveau national. Mais je pense qu'il y avait au moins 200 personnes actives, mais les PAC ont existé jusqu'en 1979. Il y avait aussi des groupes de soutien.
ISTOE- Quel était votre rôle aux PAC?
BATTISTI- Les PAC avaient un journal, Senza Galera. ça voulait dire "Sans Prisons". Les prisons au sens large, de Michel Foucault, les favelas, les ghettos. Je suis entré pour collaborer à ce journal. Mais j'ai commencé à faire de la politique illégale très jeune, à 15, 16 ans. J'ai participé à toutes les luttes. A l'époque il y avait des luttes pour le divorce, l'avortement, la réduction des tarifs de l'électricité. Il y avait aussi la lutte pour la légalisation du cannabis. C'était une époque spéciale. Et j'ai commencé à m'intéresser à la politique en famille.
ISTOE- Comment cela?
BATTISTI- Je suis fils et petit-fils de communiste. Quand j'avais dix ans, je me promenais avec mon frère, avec toute la famille, avec un oeillet rouge à la boutonnière. C'était la maladie de toute la famille. Etre communiste n'était pas une chose facile, à cette époque. Enfant, à l'école, j'avais des problèmes, car l'Eglise Catholique n'était pas très tolérante avec les communistes.
ISTOE- Et votre famille?
BATTISTI- Ma mère était catholique, très croyante. Mon père non, mais il était tolérant à l'égard de l'Eglise. Et non avions beaucoup de saints à la maison. Et il y avait aussi un portrait de Staline. Quand j'étais enfant, à 7 ou 8 ans, je croyais que Staline était aussi un saint. Un peu étrange, à cause des moustaches, mais j'étais un enfant. Je suis entré tôt aux Jeunesses Communistes. Par la suite, j'ai quitté le Parti Communiste, et je suis entré dans ce qui était le mouvement d'extrème-gauche de l'époque.
ISTOE- Et vous avez alors connu la prison une première fois.
BATTISTI- A cette époque, nous financions le mouvement avec des vols, des petits braquages.
ISTOE- Vous avez été condamné pour attaque à main armée?
BATTISTI- Oui, pour l'attaque d'un château, dans la région de Rome. J'étais au Frente Ampla. Tout le monde pratiquait l'illégalité, à cette époque. Nous appelions ça des expropriations prolétariennes.
Il ne s'agissait pas, bien sûr, de voler les pauvres. Nous choisissions nos victimes. C'était une pratique généralisée. Elle servait à financer nos affiches, journaux et petites revues. Les premières radios libres, par exemple, ont été financées par des activités illégales.
ISTOE- Et pourquoi avez-vous décidé de venir au Brésil?
BATTISTI- J'ai passé 10 ans au Mexique. J'y ai fondé une revue et une biennale d'arts graphiques. Je savais qu'il existait au Brésil beaucoup de réfugiés italiens. J'avais des contacts avec plusieurs d'entre eux. ça se passait très bien. Ils avaient une famille, un travail. Ils étaient intégrés. Les brésiliens, comme peuple, ressemblent aux italiens.
ISTOE- Mais pourquoi le Brésil en 2004?
BATTISTI- ça n'a pas été une fuite, ce fut un vrai choix.
ISTOE- Vous aviez un point de chute au Brésil?
BATTISTI- J'avais un contact avec Fernando Gabeira. Je ne le connaissais pas personnellement, mais nous avions des amis communs. J'avais aussi d'autres adresses que je n'ai jamais utilisées, comme celle de Ziraldo, l'écrivain. Gabeira a été très réceptif à mon égard. Je ne parlais pas portugais, mais il parlait français et italien. Il m'a beaucoup aidé, psychologiquement.
ISTOE- Financièrement aussi?
BATTISTI- Non, il m'a apporté une aide psychologique. Je vivais avec les droits d'auteur des livres que j'ai publié en France. Et depuis mon arrivée au Brésil, j'ai écrit trois autres livres.
Le dernier, je dois encore le corriger pour le donner à l'éditeur. C'est une suite de Ma Lutte Sans Fin, qui a été publiée au Brésil.
ISTOE- Comment êtes-vous venu au Brésil? Dans les faits, comment cela s'est-il passé?
BATTISTI- Une partie de la France m'a aidé. Il y avait un grand mouvement populaire, intellectuel, qui s'était manifesté en ma faveur. Et il y avait aussi quelques membres du gouvernement d'alors, dont je ne peux citer les noms, qui s'étaient engagés auprès de nous, les réfugiés italiens. Ils acceptaient difficilement que la France renonce à la parole donnée.
ISTOE- C'étaient des membres des services secrets français?
BATTISTI- Il y avait des gens du service secret. C'est ce milieu qui me suggéra d'abandonner la France. L'idée de ma fuite au Brésil est venue d'un membre des services secrets français. Il m'a dit, dans le bureau de mes avocats français, que l'Italie faisait pression, à cause de ce que j'écrivais dans mes livres. Et il m'a parlé du Brésil, il m'a rappelé qu'il y avait beaucoup de réfugiés italiens au Brésil. De mon côté, je me suis rappelé tout ce que j'avais entendu dire à propos du Brésil quand je vivais au Mexique.
ISTOE- Et comment ce départ s'est-il concrétisé?
BATTISTI- Une semaine après, il a envoyé quelqu'un d'autre m'apporter un passeport, italien, avec ma photo et mes caractéristiques.
ISTOE- Et c'est eux qui ont organisé votre venue au Brésil?
BATTISTI- Non. Je suis parti de France en voiture, à travers l'Espagne et le Portugal. De Lisbonne, je suis allé à Madeire. De là, je suis allé en bateau jusqu'aux iles Canaries. Aux Canaries, j'ai pris un petit avion pour le Cap Vert, et ensuite, pour Fortaleza.
ISTOE- Vous aviez un contact à Fortaleza?
BATTISTI- Non, mais c'est là qu'ont augmenté mes soupçons qu'il y avait une information chiffrée dans le code barre de mon passeport. Partout, quelqu'un savait que je venais d'arriver. A Fortaleza, j'étais dans la file de contrôle des passeports. ça allait être mon tour. Trois personnes sont arrivées. L'une d'entre elles, une femme, parlait parfaitement français. Elle me dit qu'il fallait activer le code barre de mon passeport. Ils m'ont amené dans une salle, m'ont offert un café, et, dix minutes après, m'ont rendu mon passeport.
ISTOE- Vous croyez que vous étiez sous surveillance au Brésil?
BATTISTI- Durant deux ans et demi, j'ai été constamment surveillé.
ISTOE- Par qui?
BATTISTI- Par les Brésiliens et par les Français. Toujours. Je pense qu'il est même arrivé un moment où les Italiens s'y sont mis.
ISTOE- Mais si vous n'êtes pas tellement important, comme vous l'affirmez, pourquoi cette surveillance?
BATTISTI- Je ne sais pas. J'en suis réduit à me le demander et combien ça coûtait. Qui finançait tout ceci?
ISTOE- Et le militantisme?
BATTISTI- Je continue à être un vrai communiste, pas au sens partisan du terme. Mes idées n'ont pas changé. Je continue à penser qu'il y a beaucoup d'injustice sociale, que l'humanité a encore beaucoup à faire pour se développer. Ma façon d'intervenir passe par l'écriture, le bénévolat. En France, j'ai donné des cours d'écriture aux prisonniers, j'ai aidé à monter des bibliothèques dans des collectivités qui en manquaient. Au moyen de ces activités, je continue à militer.
ISTOE- Et que pensez-vous de la lutte armée?
BATTISTI- La lutte armée a été une erreur. Je ne crois plus aujourd'hui qu'on puisse faire une révolution par les armes. Je n'ai jamais tiré sur personne, mais j'ai utilisé des armes dans des opérations de financement des organisations.
ISTOE- Et si, en regardant votre passé, vous pouviez y changer quelque chose, que changeriez-vous?
BATTISTI- Je ne changerais pas mes idées, je changerais les moyens d'atteindre les résultats. Je n'ai jamais cru qu'on pouvait changer le monde en tuant des gens. Pas même quand je suis entré dans les PAC, puisque l'organisation n'incluait pas la mort des personnes dans ses principes. Les PAC se différenciaient en cela des Brigades Rouges et d'autres organisations. Et ce fut le motif de ma rupture avec les PAC, après la mort d'Aldo Moro. Les PAC avaient alors défendu la mort d'Aldo Moro.
ISTOE- Vous rappelez-vous la dernière fois que vous avez rencontré Pietro Mutti?
BATTISTI- Ce fut horrible. Parce que je sortais de prison dans un moment de désarroi total. On était en 1981. Seuls quelques fanatiques croyaient encore qu'on pouvait faire quelque chose par les armes en Italie. Presque tous les chefs d'organisations -en Italie il y avait plus de 100 groupes armés- étaient prisonniers. En prison, nous nous sommes rassemblés. Pour nous, l'offensive armée était terminée.
ISTOE- Mais vous avez été sauvé de cette prison par une opération armée?
BATTISTI- En effet. Je n'étais pas tout seul. J'ai été choisi pour être libéré au moyen d'un action lourde, au cours de laquelle la violence physique n'a été utilisée contre personne, avec une mission. Parler avec Pietro Mutti et d'autres chefs d'organisations pour abandonner l'initiative armée, faire une retraite stratégique, me réintégrer dans le Frente Ampla, et continuer les actions de financement pour soutenir ceux qui étaient dans la clandestinité, et aussi ceux qui étaient prisonniers.
ISTOE- Et comment s'est terminée cette mission?
BATTISTI- Cette mission a été un désastre. Pietro Mutti était sous une pression terrible. Il avait sous ses ordres des jeunes de 18, 20 ans, pour lesquels il se sentait responsable. Nous nous sommes affrontés. Cette dernière rencontre a été un grand affrontement, au cours duquel j'ai jeté un cendrier à la tête d'un militant qui me traitait de traître. Parce qu'ils pensaient que je sortirais de prison en parlant de che Guevara et de lutte armée. Et j'arrivais en disant que tout était terminé.
ISTOE- Vous consacrez-vous à un travail en prison?
BATTISTI- J'achève mon troisième livre. Le second, qui est dans l'ordinateur, est Etre Bambou. Le troisième s'appelle Au Pied Du Mur. C'est une trilogie, une suite.
ISTOE- Il est autobiographique?
BATTISTI- Il est autobiographique, mais un peu différent du premier. J'ai un peu repris maintenant mon style romanesque.
ISTOE- Vous écrivez à la main ou à l'ordinateur?
BATTISTI- A la main.
ISTOE- Comment réagissez-vous aux répercussions internationales de votre cas? Cela rend-il plus difficile votre quotidien en prison?
BATTISTI- J'ai maintenant une assistance psychiatrique, et je suis sous anti-dépresseurs.
ISTOE- Mais vous avez l'air excité. C'est la perspective de votre libération?
BATTISTI- Un peu, et aussi l'excitation de l'interview. Mais la pression est énorme. Chaque fois que j'y pense, je n'arrive pas à croire que ça me soit arrivé.
ISTOE- Vous suivez les infos à votre sujet, à la télé?
BATTISTI- On parle beaucoup de mon cas. Et les autres prisonniers sont très solidaires. Je n'ai jamais eu aucun problème avec les autres prisonniers, ni avec les gardiens.
ISTOE- Il y a une accusation selon laquelle vous auriez tué un directeur de prison. Les gardiens ici sont au courant?
BATTISTI- Je pense que oui. Mais actuellement, je suis très bien traité, avec respect. Et les gardiens me traitent comme n'importe quel autre prisonnier.
ISTOE- Comment envisagez-vous la décision finale qui doit être prise par la Cour Suprême?
BATTISTI- Le Brésil m'a accordé le refuge politique. Le procureur-général semble être favorable à l'asile. Je pense que la Cour Suprême ira dans le même sens, comme elle l'a déjà fait en d'autres cas.
ISTOE- Etes-vous tranquille ou angoissé?
BATTISTI- Je ne suis pas tranquille, car la pression est énorme. Elle me déchire. Les infos, les medias, je n'ai pas été préparé à tout cela. Quelque chose me surprend, pourtant : pourquoi tous ces medias, qui font tant de tapage ne se demandent pas la raison cette réaction exagérée de l'Italie. Cette hystérie de l'Italie. Pourquoi ça m'arrive à moi? Pourquoi le président et les ministres italiens réagissent-ils de cette manière personnelle?
ISTOE- La première-dame de France, Carla Bruni, est intervenue en votre faveur?
BATTISTI- Je pense que c'est un mensonge. Et je pense que Carla Bruni n'avait pas de raison d'intervenir en ma faveur.
ISTOE- Mais dans le dossier fourni au Conare, on constate que sa soeur, Valéria, est intervenue dans le passé.
BATTISTI- Je ne sais pas. Elle l'a déclaré officiellement?
ISTOE- Avez-vous parlé de votre situation avec vos filles?
BATTISTI- Oui. Oui.
ISTOE- C'est difficile pour elles?
BATTISTI- Non. Parce que je ne leur ai jamais caché ma vie. Depuis toutes petites, elles ont grandi, en apprenant tout peu à peu.
ISTOE- Mais pour la presse internationale vous êtes un terroriste, un assassin.
BATTISTI- En Italie, tout le monde n'est pas contre moi, en France, de nombreuses personnes sont en ma faveur. Beaucoup de gens ne croient pas que je sois un terroriste ou un assassin.
ISTOE- Fred Vargas est en tête de liste de ces personnes?
BATTISTI- c'est quelqu'un qui connaît à fond mon dossier. Je crois qu'elle le connaît mieux que moi. C'est la seule personne au monde qui ait lu les deux malles de dossier.
ISTOE- A quoi vous raccrochez-vous pour continuer à vous battre, pour avoir la force de résister à cette pression? Vous avez la foi?
BATTISTI- Oui.
ISTOE- Avec la formation que vous avez, vous croyez en Dieu?
BATTISTI- Je crois en une force supérieure. En une loi supérieure universelle. Toujours. c'est mêlé à ma vie et à mes idées politiques. Je crois que j'ai agi dans le sens de cette force supérieure. Même quand je me suis trompé. Par exemple j'ai utilisé des armes, même si je n'ai tué personne, c'était dans un processus de violence. Mais j'ai toujours cru.
ISTOE- A qui vous raccrochez-vous dans ces moments difficiles?
BATTISTI- Aux gens, aux milliers de lettres que je reçois.
ISTOE- Qui sont ces gens?
BATTISTI- Des gens qui ne me connaissent pas. Beaucoup de lettres de gens dont je ne m'imaginais pas qu'ils m'aimaient bien, du monde entier. Des gens que j'ai connu dans les années 70, que connais, qui savent pourquoi tout ceci m'est arrivé.
ISTOE- Croyez-vous que ce soit à cause de vos livres?
BATTISTI- Bien sûr.
ISTOE- Des livres dénonçant la torture dans les années 70?
BATTISTI- Dénonçant ce que l'Italie n'a jamais voulu assumer. il y a eu une guerre civile en Italie, comme l'a affirmé l'homme-orchestre de la répression à l'époque, l'ex-président de la République italienne, Francesco Cossiga. Il m'a envoyé une lettre personnelle, qui me reconnaît comme un militant politique. Vous pouvez la lire. Elle dit que nous étions un groupe révolutionnaire qui voulait prendre le pouvoir par les armes dans un projet socialiste. Ce sont les mots de Francesco Cossiga. Est-ce que la parole de Berlusconi, ce grand mafieux, vaudrait plus que celle de Cossiga?
ISTOE- Qu'aimeriez-vous faire après votre sortie de prison?
BATTISTI?- Pendant cette période en prison, j'ai beaucoup lu, j'ai beaucoup approfondi ma connaissance du pays, historiquement, socialement, culturellement. Pour moi le Brésil est un pays très intéressant du point de vue humain, du point de vue professionnel aussi. Je peux faire beaucoup de choses ici, exactement ce que je faisais en France, avoir beaucoup d'initiatives culturelles, continuer à écrire, réunir ici ma famille.
ISTOE- Vous voulez faire venir Valentina et Charlène?
BATTISTI- Je veux faire venir mes filles. Je ne suis pas marié. Je veux aussi faire venir la mère de mes deux filles. Valentina étudie la biogénétique. Elle a un projet pour ici, au Brésil, il y a beaucoup à faire dans ce domaine. Ici au Brésil, la biogénétique est un sujet très important, le monde entier regarde le Brésil. ça me fait rêver.
ISTOE- Avez-vous un endroit préféré?
BATTISTI- J'aime beaucoup Rio de Janeiro. C'est paradisiaque. C'est merveilleux. Mais en vérité je ne sais pas où je vais vivre. Je pense que ma famille adorera Rio de Janeiro.
ISTOE- Pourquoi avez-vous attendu 16 ans avant de déclarer que vous n'aviez tué personne?
BATTISTI- Parce que les autres qui avaient avoué m'avaient accusé d'avoir tué. Si je m'étais défendu, je me serais différencié, j'aurais ouvert une brèche dans la doctrine Mitterrand qui imposait une même défense pour tous. Pas de défense individuelle, comme l'innocence, la condamnation par défaut, les circonstances personnelles. J'ai obéi à cette règle de conduite. A aucune des étapes de ce processus je n'ai revendiqué l'innocence. J'ai fait un documentaire sur les années de plomb en Italie et c'est la cause de la vengeance des pouvois politiques italiens. Je ne peux pas me séparer. Pour dire que je suis innocent, il me faut renoncer à la défense des avocats. J'ai fait une procuration à un autre avocat, qui me défend en France, pour qu'il puisse dire, aujourd'hui à voix haute, que je n'ai jamais tué personne et que j'ai été condamné par défaut. Pour cela, il m'a fallu sortir de la défense collective.
ISTOE- C'est pour cela que cette défense ponctuelle n'avait pas été faite?
BATTISTI- Exactement. Je pense que l'Italie ment. Le gouvernement italien ment. Les medias italiens, dans leur majorité appartiennent à Berlusconi. Ils mentent. Les gens sont manipulés ou se laissent manipuler. Je n'ai jamais été entendu par la justice italienne sur ces quatre homicides. Jamais. ça n'existe pas. Je n'ai jamais été entendu une seule fois pendant l'enquête policière, ni pendant la phase de l'instruction.
ISTOE- La France a renoncé à extrader Marina Petrella, qui avait fait partie des Brigades Rouges.
BATTISTI- Oui. Sa situation pénale était bien plus lourde que la mienne. Pourquoi n'ont-ils pas fait tout ce tapage? Pourquoi n'ont-ils rien fait? Cette personne a été accusée bien plus lourdement que moi. Pourquoi n'ont-ils rien fait? Je pose cette question : est-ce que la justice italienne est aujourd'hui disposée à m'entendre pour la première fois sur ces quatre homicides avant de m'enterrer vivant? L'Italie est-elle disposée à m'entendre une seule fois sur ces quatre homicides avant de me condamner, comme Petrella, à être privé de la lumière du jour? Priver un homme de la lumière du jour est un homicide.
ISTOE- Quel est votre quotidien ici?
BATTISTI- Le matin c'est le petit déjeuner. Les gardiens passent pour le petit déjeuner à 7h10. Les gens doivent être réveillés et répondre à l'appel. Je suis dans la cellule. On dort cellules fermées. La cellule est ouverte pour le petit déjeuner du matin. Les gens prennent un verre de lait de soja. Il y a du café, mais il faut l'acheter à la cantine. Les gens passent dans la cour. Chacun s'adonne à ses activités.
ISTOE- Et vous écrivez?
BATTISTI- Dès que je rentre en cellule, je commence à me préparer la tête pour écrire. Mais, ces derniers jours, je n'y arrive pas. Il y a beaucoup de pression, je n'arrive pas à me concentrer.
ISTOE- Vous avez des amis ici?
BATTISTI- On est 50 personnes. On est tous amis. L'un a toujours besoin de l'autre.
ISTOE- Le soir, vous dormez à quelle heure?
BATTISTI- La promenade, du lundi au vendredi, se termine à quatre heures de l'après-midi. Tout le monde retourne en cellule, où chacun fait ce qu'il veut. Lire, regarder la télé. Avant 7h30, je n'allume pas la télé. La télé, c'est le truc, en prison. Mon compagnon de cellule n'aime pas non plus regarder la télé toute la journée. c'est bien pour moi, qui aime lire et écrire. Les gens regardent les infos, à huit heures.
ISTOE- Le 18 décembre, vous avez fêté votre anniversaire en prison?
BATTISTI- Oui. Ici en prison. Avec un gâteau et tout.
ISTOE- Qui a fait le gâteau?
BATTISTI- Je ne sais pas.
ISTOE- Qui l'a fait?
BATTISTI- Je ne sais pas. Il est arrivé dix personnes. C'était l'ex-préfète de Fortaleza. Maria Luisa Fontenelle. Elle et d'autres personnes.
6 commentaires:
Gérard:
Au Brésil, tomar o café veut dire prendre le petit déjeneur. C'est la raison pour laquelle Battisti dit qu'il prend son café mais que c'est du lait de soja, et que, s'il veut du café il doit l'acheter à la cafétaria.
Bien le bonjour,
manuel
Ahm j'oubliais: merci bien pour la traduction.
manuel
Je me doutais que ça voulait dire petit déj', mais je n'osais pas traduire comme ça à cause de pequeno almoço en portugais. Voilà, c'est fait, et merci.
Bonjour
un petit correctif qui est dû a une erreur de traduction faute de connaissance de la législation brésilienne ...
on fait dire à Battisti qu'il a reçu "l'asile politique" ... C'est faux ... il existe au Bre´sil deux figures semblables mais diffe´rentes ...
l'asile politique
et le statut de réfugié en application de la loi brésilienne 9.474/97 pour appliquer le statut onusion des refugiés qui date de 1951 ...
C'est le statut de réfugié qui a été accordé par le Ministre Tarson Genro .. pas l'asile politique
Au temps pour moi.
Ma seule excuse : je ne traduis du tos que le couteau sur la gorge.
Et tout de même : merci pour la correction.
Voilà, c'est corrigé.
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