Disparition d'un sous-préfet

Le 23 mars 2008, Bruno Guigue, sous-préfet de Saintes, était limogé par la ministre de l'Intérieur.

On lui reprochait un article «violemment anti-israelien» paru le 13 mars sur Oumma .com, et particulièrement cette phrase :

Sans parler d’Israël, seul Etat au monde dont les snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles.

Phrase diffamatoire sans doute, mais non pas calomnieuse.

Le fait évoqué est réel

Le 5 octobre à Rafah, au sud de la bande de Gaza, Iman al-Hams, écolière de 13 ans, en uniforme scolaire et son cartable à la main, pénètre dans le périmètre interdit de 300 mètres autour d’un poste militaire. Elle est abattue. Puis l’officier en charge, le capitaine R., se dirige vers elle, lui tire deux balles dans le corps, s’éloigne puis revient vider son chargeur à bout portant.

Il n'est pas isolé : cette année-là, quelques centaines de mineurs palestiniens furent abattus par l'armée israélienne.

La formule qu'utilise Bruno Guigue pour désigner ces soldats n'est pas non plus une innovation.

C'est ainsi que Chris McGreal intitule un article du Guardian (29 06 05) consacré à ce sujet :

Snipers Avec Des Enfants Dans Leurs Lignes De Mire

On ne peut contester toutefois qu'il s'agisse d'une formule violente (je parle évidemment de la formule utilisée par Bruno Guigue et non de celle utilisée par Tsahal).

Mais je trouve à Bruno une excuse.

Son article répondait à un autre, paru dans Le Monde, co-signé par Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Claude Lanzmann, Elie Wiesel, Pierre-André Taguieff et Frédéric Encel, et intitulé L'Onu Contre Les Droits De L'Homme.

Qui n'était pas piqué des vers, et dont voici la thèse :

A Durban, en Afrique du sud, s’est tenue en 2001 la Conférence mondiale contre le racisme, à l’initiative des Nations Unies

(......)

C’est au nom des droits des peuples que furent scandés des «mort à l’Amérique» et «mort à Israël»

(......)

l’ONU inaugurait en juin 2006 un tout nouveau «Conseil des Droits de l’Homme» (CDH)

(.......)

Durban 2, (...) se tiendra en 2009

(......)

Le CDH est devenu une machine de guerre idéologique à l’encontre de ses principes fondateurs.

(......)

La parole annonce le passage à l’acte.

(......)

Le 11 septembre 2001, quelques jours après la fin de la conférence de Durban, c’est bien au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l’histoire fut commis.

(......)

L’enjeu est clair; il est mondial (......) Soit les démocraties se ressaisissent et, à l’exemple du Canada (annoncent leur) refus de participer à la conférence de Durban 2 (......) soit l’obscurantisme religieux et son cortège de crimes politiques triompheront .

CQFD

Je ne sais pas vous, mais je trouve assez croquignolesque cette idée de l'Onu favorisant les attentats du 11 septembre, et préparant pire encore

(je ne vous ai pas tout mis, mais il était aussi question de Goebbels, et la démonstration se terminait par nul ne pourra dire «nous ne savions pas», fine allusion à la Shoah).

En tous cas, on voit qu'en matière de diffamation, Brune Guigue n'arrive pas à la cheville de ses adversaires.

Ses histoires de fillettes sont assez ridicules, comparées aux Boeing de l'Onu lancés sur les deux tours.

D'ailleurs, ce n'est pas pour diffamation qu'il fut sanctionné, mais pour avoir manqué au devoir de réserve qui s'impose à tout fonctionnaire.

Et l'on est sidéré d'apprendre qu'Alain Finkelkraut est prof à Polytechnique, Pierre-André Taguieff directeur de recherche au Cnrs et prof à Sciences Po, et Frédéric Encel prof à Vincennes.

Qu'il s'agit donc de fonctionnaires, à qui nul reproche n'est fait, même léger, lorsqu'ils attaquent publiquement une institution internationale.

Tant mieux pour Alain, Frédéric, et Pierre-André.

Nous ne voudrions pas vivre dans un pays où des millions de fonctionnaires seraient privés du droit de s'exprimer librement (en dehors des heures de bureau).

Mais il faut bien se l'avouer, à la lumière du contre-exemple précité, le manquement au devoir de réserve qu'on reproche à Bruno Guigue n'est qu'un prétexte.

Cela fait d'ailleurs des années qu'il publie des articles, et des livres, donne des conférences, sans qu'on s'en émeuve.

Et s'il n'était que depuis peu sous-préfet de Saintes (explication qu'on a donnée pour justifier la subite inopportunité de ses libelles), il l'avait longtemps été à la Réunion.

Son vrai crime fut de s'opposer à la bande bien en cour des pourfendeurs atlantistes de l'Onu.

(Institution coupable à leurs yeux de n'avoir pas approuvé la seconde guerre d'Irak, et de condamner constamment les activités israéliennes en territoire palestinien ou libanais).

Et c'est là que ça devient croustillant.

En effet, qu'y avait-il de si odieux à contredire ce collectif d'intellectuels bellicistes?

C'est ce que nous apprend André Nahoun (entre autres) :

(Bruno Guigue) n‘est pas très original non plus quand il montre du doigt ceux qu’il appelle les intellectuels organiques du lobby pro-israélien, Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Claude Lanzmann, Elie Wiesel, Pierre-André Taguieff et Frédéric Encel, tous juifs ou considérés comme tels,

C'est-à-dire que sous l'apparence d'une défense du Droit International, Bruno Guigue a commis un délit prévu par la Loi, l'antisémitisme.

Et ça explique un peu la sévérité dont on a usé à son égard.

S'il s'est attaqué aux signataires de L'Onu Contre Les Droits De L'Homme, c'est parce qu'ils étaient tous juifs.

Quitte à ce que parmi ces tous juifs (...) du lobby pro-israélien il y en ait plusieurs qui ne le soient pas.

(Et en réalité, tout ce qui est atlantiste en France est également pro-israélien, ce qui va bien au-delà des seuls milieux sionistes).

Ne croyez pas que cette hallucination qui fait voir à André Nahoun des juifs et rien que des juifs parmi les pro-israéliens soit un cas isolé.

Si vous allez sur le site de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme, vous y verrez l'article L'Onu Contre Les Droits De L'Homme suivi de la mention Cliquer ici pour apporter votre soutien à cette tribune.

Et la protéger, je présume, de l'attaque antisémite dont elle a été l'objet.

Faut-il le préciser? Pas un mot de l'article de Bruno Guigue n'est entaché d'antisémitisme.

Epilogue:

Cette façon de sanctuariser, au nom de la lutte contre le racisme, les opinions pro-israéliennes, tout en criminalisant leurs contradicteurs, porte un nom : l'amalgame.

Elle était fort en faveur à l'époque de l'Union soviétique, où l'antistalinisme était considéré comme un anticommunisme et donc un nazisme : on parlait alors d'hitléro-trotzkistes et d'anticommunistes primaires.

De la même façons, les désapprobateurs de la politique israélienne sont de plus en plus considérés comme des antisémites, et donc des nazis plus ou moins bien cachés.

Qu'il appartient à la Police de faire taire.

Puisque ce sont des criminels.

Ce en quoi l'on fait peu de cas de la liberté d'expression.

Et peu de cas de la liberté tout court.