jeudi 29 novembre 2007

Gautier-Sauvagnac Le Retour


A Sébastien Fontenelle, aux bons soins du blog Vive Le Feu!

Cher Maître,

Je m'honore de figurer au nombre (toujours croissant) de vos admirateurs.

C'est pourquoi, à la lecture des louanges que vous faisiez, ce 24 novembre, de l'hebdomadaire Marianne et des sensationnelles révélations qui s'y trouvaient...

(Je reprends mon souffle)

... je courus au kiosque le plus proche afin d'y acquérir le brûlot tout plein de kahneries que vous recommandiez.

Il s'y trouvait, promettiez-vous, un scoop courageux concernant Sarkozy et Gauthier-Sauvagnac, que notre prézydent aurait protégé.

C'est vous dire ma déception en tombant sur l'article.

L'essentiel du scoop tenait en la réitération d'une info parue le 26 septembre (ou quelques jours plus tard, je n'arrive plus à mettre la main dessus) dans le Figaro et reprise ici et là, par exemple le 23/10 sur le site de France 2

Pourquoi l'Etat a-t-il attendu le 26 septembre 2007 pour saisir la Justice ? L'existence d'une caisse noire et de retraits de grosses sommes en liquide par M.Gautier-Sauvagnac, le patron de l'UIMM, sont connus depuis longtemps, au moins depuis 2004. À l'époque, la BNP alerte Tracfin de ces retraits soupçonneux. Tracfin enquête avant de transmettre ses conclusions au ministère des Finances. Pourtant ce dernier ne communique l'information à la Justice qu'en 2007, à l'initiative de la ministre Christine Lagarde. Que s'est-il passé entre 2004 et 2007 alors que, rappelons-le, Nicolas Sarkozy et Thierry Breton étaient ministre des Finances ?
Eric Decouty, journaliste au Figaro et auteur du premier article sur le sujet, insiste sur ce point : «
Cette information n'arrange personne, deux ministres des Finances se sont assis dessus et ont empêché que la Justice s'en saisisse, Nicolas Sarkozy et Thierry Breton ont couvert une information atomique. »

ou ici-même, sur le blog de votre serviteur, le 7/10 :

(...) l'affaire avait été ficelée et tenue sous le coude depuis 2005.

Par le ministre des Finances de l'époque, Nicolas Sarkozy.

Et d'ailleurs, l'enquête de Tracfin a été diligentée, nous apprend le Figaro, «sous les regards attentifs des trois derniers ministres, Nicolas Sarkozy, Thierry Breton et Christine Lagarde».

Je subodore, cher Maître, que le Figaro n'est pas la plus quotidienne de vos lectures.

Elle n'est pas la mienne non plus.

Mais pourquoi garder envers Marianne de coupables faiblesses?

Il n'y a pas que du second degré dans le constant mauvais goût que cet hebdomadaire affiche.

Il y a aussi une entreprise décidée de crétinisme, menée par des experts.

Vous déploriez aussi, cher Maître, que Libération n'ait pas repris l'info réchauffée de Marianne.

Pourquoi s'en étonner?

Ils ne l'avaient pas reprise non plus à l'époque où le Figaro l'avait sortie.

Manifestement elle ne les intéressait pas.

Et, j'ose à peine le souligner, Marianne non plus.

Cette info ne l'intéressait pas.

Puisqu'elle ne la livre à son public que fin novembre.

Enveloppé dans une belle histoire que je résume, pour ceux qui ne la connaissent pas :

1/ En 2004, Tracfin informe Sarko, ministre des Finances, de manips louches quand à la thune de l'IUMM.

2/ Aussi sec, Sarko étouffe l'affaire.

3/ Car les patrons sont ses amis.

4/ En 2007, élu prézydent, il décide d'arrêter les conneries (il a peur qu'elles lui retombent dessus), et demande à Lagarde de transmettre le dossier au Parquet.

Et je ne résiste pas au plaisir de vous faire l'épilogue que Marianne, toute occupée d'exclusivités, n'a pas eu le temps d'écrire :

5/ Aussitôt, la feuille insurrectionnelle Figaro, informée par des fonctionnaires secrètement acquis à la Cause du Peuple, fait éclater le scandale.

Vous l'avouerai-je, cher Maître?

Un détail me navre, de ce convaincant exposé.

C'est la supposition selon laquelle notre courageux Prézydent aurait agit dans cette affaire par peur qu'elle ne lui retombe dessus.

Je ne vois pas pourquoi.

La mission de Tracfin est d'enquêter sur le blanchiment d'argent sale et le financement du terrorisme.

Personne, à ce jour, n'a soupçonné l'IUMM de faire sa thune avec les trafics illégaux de la drogue, de la prostitution, ou des armes.

(Il est au contraire notoire que lorsque le patronat se livre à ces activités, c'est, la plupart du temps, en toute légalité.)

Ni de financer Al-Qaïda.

Le ministre des Finances Nicolas Sarkozy aurait pu demander à Tracfin, qui dépendait de son autorité (et ne dispose en tout que de 70 fonctionnaires), d'arrêter d'errer en investigations vouées à l'échec (quand au but de Tracfin).

Or il les a permises, sinon encouragées.

Et en 2007, alors que nul délit n'est constaté (les syndicats, dont l'IUMM, ne sont pas astreints à justifier leurs comptes), il fait transmettre en Justice, pour complément d'enquête et mise en examen, si besoin est.

Nulle trace de trouille, dans le comportement de notre prézydent.

Mais une vigueur, un allant, qui font une nouvelle fois honneur à sa réputation de bravoure.

C'est peu dire qu'il n'a pas étouffé l'affaire : il aura été le premier à dénoncer des pratiques qui duraient, tiens, qui duraient depuis quand, déjà?

Selon Yvon Gattaz, de l'Institut :

"Il faut appeler un chat, un chat. (...) Il était de tradition dès 1884 qu'il y eût une caisse qui alimentait les syndicats" .

Ça ne nous rajeunit pas.

Vous m'objurguerez qu'elle n'a pas alimenté que les syndicats, cette caisse.

Et qu'outre l'arrosage d'organisations syndicales particulièrement bien-pensantes, elle a servi à financer campagnes électorales, partis politiques, et corruptions diverses parmi lesquelles (tiens! Les revoilà!) celles de syndicats et responsables syndicaux.

Je reconnais bien là, cher Maître, tout l'aigü des protestations émises par la gauche domestique depuis le début de cette malheureuse affaire Gauthier-Sauvagnac.

Mais nous vivons, hélas, dans un monde injuste.

Ce n'est pas à toutes les corruptions que s'intéresse l'enquête en cours, mais principalement à la corruption syndicale.

En effet.

Elle s'intéresse aux fonds retirés depuis l'année 2000 : à cette date, la corruption politique n'est plus ce qu'elle était (les partis sont financés, et le Medef est au pouvoir), tandis que celle des syndicats se porte comme un charme (la réforme de leur financement n'est prévue qu'en 2008, et leur participation au pouvoir n'est touours pas finalisée).

C'est pourquoi les journaux attachés à la gauche de compagnie, et qui défendent l'honorabilité des syndicats représentatifs (toujours préférables aux coordinations de grévistes et autres CNT-AIT) ne tiennent pas beaucoup à s'étendre sur les fastes et les frasques de l'affaire Gauhier-Sauvagnac.

Ils préfèreraient limiter tout cela à une affaire de droit commun.

Si seulement Gauthier avait pu s'en mettre un peu plein les fouilles!

Pas grand chose, tiens.

Une note d'hôtel aux Bahamas.

Une chambre en ville, avec un miroir au plafond.

Quelques liasses qui s'égarent.

Ça suffirait.

On pourrait expliquer la disparition de 26 millions d'euros par celle de 260 000 dans la fouille à Sauvagnac.

En extrapolant un peu.



Marianne, cher Maître, n'est pas tout à fait un hebdomadaire de gauche.

C'est pourquoi elle n'a pas peur d'y aller sur cette affaire.

Mais son lectorat n'est pas tout à fait à droite.

Elle y va donc molo, en en faisant, elle aussi, une affaire de personnes.

Avec en guest star Nicolas Sarkozy, protecteur des maffias (ça crédibilise le truc).

Et pendant que le bon peuple se touche un peu en regardant ailleurs, le prézydent tient les acteurs sociaux par les couilles.

Le corrupteur, bien sûr (ne saviez-vous pas que l'Iumm, de concert avec l'autre gérant de l'Unedic, la Cfdt, voulait s'opposer à la fusion des Anpe avec les Assedic?),

les corrompus, ensuite (vous n'imaginez pas le nombre de syndicats qui sont concernés par les négociations de branches)

puisqu'en ce moment, justement, on réforme, à donf et à la baisse, les droits sociaux des salariés.

Et qu'on va réformer (en mars prochain?) la situation légale de tous les syndicats.

jeudi 22 novembre 2007

Julliard danseur étoile


Après de brillantes études secondaires au lycée Dupuis du Puy (ville dont sa mère est maire), Bruno Julliard entamait des études de droit à Lyon II. Ce n'est pas que la chose le passionnât. Il aurait bien voulu y échapper (et trouver ses diplomes dans une pochette-surprise).

Mais tout le monde ne s'appelle pas Rachida Dati, et à quelque chose malheur est bon : Bruno fait trainer (il est à 28 ans encore en master), ce qui permet au mouvement étudiant de bénéficier d'un leader qui, certes, n'est plus tout à fait un jeune homme, mais (justement) a déjà de l'expérience.


Bruno, perso, ce qui le passionnait, c'était la danse.

Non pas, j'en vois qui se méprennent, passer ses nuits en boite avec des amis louches et des filles de mauvaise vie, mais le ballet, la danse (socialiste) classique, celle des étoiles (du PS) et des petits rats (si bien nommés).

Dès qu'il a un moment, il file à l'Opéra.

Il assiste aux répètes, tape la discute avec les chorégraphes, et tout seul dans sa chambre refait les mouvements qu'il a vu dans l'aprèm'.

Ça s'en ressent dans ses activités.

Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il néglige l'Unef, non : de ce point de vue, Bruno est consciencieux. Chacun de ses instants reste consacré à l'accomplissement de son sacerdoce syndical.

Mais façon danse.

Voilà.

C'est comme ça qu'il le vit.

Prenez le dernier truc, la réforme (Pécresse) de l'Université.


Premier tableau


Bruno fait son entrée en scène pendant la campagne des présidentielles avec un


Royal (un «royal» est un saut. Il commence en cinquième devant et se croise en avant pour atterrir en cinquième derrière.) :

«Pour Nicolas Sarkozy (...)On voit dans son discours une idéologie élitiste libérale et réactionnaire de l’école. (...) il propose l’autonomie totale des établissements d’enseignement supérieur (...) pour organiser la concurrence.»

Les élections passées,

Tour en l'air (c'est un soubresaut ou un changement de pied qui tourne en l'air.) :

"On prend acte de l'élection de Nicolas Sarkozy, on respecte les résultats du scrutin, d'autant plus que sa victoire est large avec une très forte participation"

et

Changement de pied (saut de la famille des soubresauts, qui part des 2 pieds et arrive sur 2. Pendant le saut on change le pied de devant.), quand démarre la grève à Tolbiac, contre la réforme promise par Sarkozy :

«Il n'y a aucune raison de contester cette victoire ou d'appeler à des assemblées générales dans les universités ou des manifestations (...)»

Fouetté (il y a différentes sortes de fouettés) :

«on participera d'autant moins à ce type de manifestation que c'est contre-productif, et que cela risque de faire apparaître les jeunes comme anti-républicains

avec, pour terminer, visite à Sarkozy, reception chez Pécresse et

Écart (grand) (le grand écart part d'un fendu puis on tend la jambe de devant pour arriver à une ligne droite au sol formée par les jambes) :

"(concernant la loi Pécresse) nous notons des inflexions et des amendements considérables. Avec les amendements acceptés aujourd'hui, nous sauvons l'essentiel".

Réhaussé d'un petit

Rond de jambe (position fixe, les 2 pieds au sol, puis il suffit de pointer devant soi et de «dessiner» un demi-cercle vers l'extérieur en passant bien par une seconde en arrière) :

"Nous notons des inflexions propres à apaiser les esprits (...)même si (...)nous pensons que cette réforme n'est pas la priorité».

Fin du premier tableau.

Pendant les vacances d'été, entr'acte.


Deuxième tableau


Le rideau se lève sur la nouvelle grève étudiante contre la loi Pécresse.

Julliard entre en scène sur une

Pirouette (On parle de pirouette lorsque la rotation est rapide) :

«Nous avons toujours dit que la loi n’était pas acceptable en l’état (...) Ce n’est pas l’Unef qui change de position quant à la loi sur l’autonomie, c’est le gouvernement qui ne tient pas ses promesses»

suivie d'un

Port de bras (le port de bras est, comme l'indique son nom, un porté, c'est-à-dire qu'on soutient l'action des bras et qu'on reste dans la position où on est pour les déplacer harmonieusement) :

(l'Unef appelle les étudiants à) "participer aux assemblées générales", "s'informer sur la loi sur l'autonomie des universités", "décider de leurs modalités d'actions"

avec un

Balancé (changement de jambe d'appui par le balancement du corps de gauche à droite (ou de droite à gauche) ou d'avant en arrière (ou d'arrière en avant)) :

"On ne veut pas faire une mobilisation exclusivement sur ce motif (l'abrogation de la loi), car c'est un objectif qui ne nous semble pas atteignable"

et une

Surrection (action courte consistant à marquer le temps en se mettant sur la pointe des pieds) :

«On est très mécontent parce qu’on a l’impression de s’être fait tromper sur la question des bourses»

Comme on voit, la surrection est le contraire-même de l'insurrection, ce qui justifie un nouveau

Fouetté

"Il faut respecter le vote majoritaire" ,

Brisé (le brisé consiste à lancer une jambe à 15 cm du sol (ex. : jambe gauche) et à sauter avec l'autre jambe en croisant les 2 jambes en l'air (d'abord gauche devant puis droite devant en l'air) et en retombant comme au départ (gauche derrière)) :

"Les étudiants peuvent continuer de faire des assemblées générales, peuvent encore voter la grève, mais le blocage, il n'est possible que s'il est décidé par une majorité d'étudiants»

(sous-entendu : au vote à bulletin secret organisé par l'administration, tant il est naturel que ce soit aux patrons d'organiser les grèves),

Attitude (l'attitude est une position où le danseur a une jambe plié en l'air assez haut) :

"Mais même si nous pouvons avoir des divergences avec les assemblées générales sur cette question de l'abrogation, nous n'en faisons pas un point de rupture"

et enfin

Manège (le manège consiste à faire une succession de pas autour d'un cercle (...) Les manèges peuvent se faire seul ou à plusieurs) :

"(nous demandons) des moyens supplémentaires et des modifications du budget 2008 pour l'enseignement supérieur afin de répondre à l'urgence sociale des étudiants et d'améliorer la réussite en licence"

qui enterre toute contestation de la loi Pécresse et permet la

Révérence (dégagé plié devant ou sur le côté avec port de bras à la seconde) :

«(...)les étudiants et l'Unef sauront prendre leurs responsabilités pour que les tensions s'apaisent et qu'un retour à la normale dans les universités soit envisageable»

Fin du deuxième tableau

D'autres tableaux sont à venir, et leur déroulement apportera sans doute bien des surprises, mais d'ores et déjà la prestation de Bruno Julliard lui assure une place de choix à l'Opéra de Paris, son nom est :

«évoqué pour rejoindre l'équipe de Bertrand Delanoë » (Le Monde du 10 novembre)


La semaine prochaine, nous parlerons de Bernard Thibault, ancien élève du Bolchoï et du Cirque de Moscou, qui se produit en ce moment à Bastille (et République) en qualité de contortionniste, avaleur de sabres et trapéziste volant.


vendredi 16 novembre 2007

Brave Thibault



Vous auriez connu Bernard Thibault il y a quelques années, c'était le Prince Charmant du syndicalisme français.

La bonne fée Cégette s'était penchée sur son berceau, et l'avait comblé des dons les plus extraordinaires : un métier d'homme (à la Sncf) et de beaux cheveux (comme Prince Valiant, mais en blond), un mental de guerrier (en 95 il défendait déjà les régimes spéciaux), un profond respect des humbles (grâce à lui, la Cgt intègre les Coordinations au lieu de les combattre), et une énooorme indépendance d'esprit (en 1998, quand il devient Pdg du syndicat, il abandonne la direction du Parti Communiste).

Malheureusement, il y avait aussi un Ogre dans la famille, et qu'on n'avait pas invité au baptème parce qu'il faisait peur aux enfants : il s'agissait de l'oncle Yossif Vissarionovitch (Djougachvili).

Lequel prit très mal la chose, jugez plutôt :

Pour ce qui est du métier (que le brave Thibault exerçait d'origine au dépôt de Paris-La Villette), Yossif en fit un milieu hostile : à 80%, les collègues de La Villette ont rejoint les rangs du félon Sudraille, l'ennemi juré de la fée Cégette, et Thibault n'y est plus le bienvenu.

Pour ce qui est des Coordinations d'humbles et de pauvres, elles ne tiennent aucun compte des efforts que font Cégette et Thibault pour les aimer (et les protéger de toute aventure insurrectionnelle) : elles passent leur temps à les insulter.

Pour ce qui est de l'indépendance, Yossif l'Ogre a dévoré le Parti Communiste, il n'en reste que des os rongés, et les moins appétissants. La question ne se pose plus.

Et pour ce qui est du mental de guerrier, avant même que la bataille du 13 novembre ne commence, le brave Thibault s'en allait porter sa reddition au gouvernement, puisque sa proposition de négocier entreprise par entreprise n'est rien d'autre que celle indiquée en son temps par Nicolas Sarkozy himself, et proposée d'ailleurs par Idrac, la patronne de la Seuneuceufeu.


Il y avait ajouté, en pleurant, qu'un représentant de l'Etat soit présent dans chacune de ces négociations, ce qui n'était pas prévu, mais ne mange pas de pain : l'Etat est l'actionnaire principal des entreprises concernées.

Il peut donc y être tout en n'y étant pas, c'est-à-dire y être en qualité de propriétaire, et non parce qu'il est l'Etat, créateur d'une loi contestée par le mouvement de grève.

Si bien que cette demande de négociations s'avère une acceptation sans négociation du projet de loi, tout en ayant l'air de le mettre en cause.

Car si Thibault a hérité de l'oncle Yossif une propension à toujours se soumettre aux raisons de l'Etat, il a heureusement été doté par la fée Cégette d'une grande habileté à faire passer les vessies pour des lanternes.

On se rappelle ainsi les accords de Grenelle, signées le 26 mai 1968, et présentées aujourd'hui comme une victoire des grèves de 68, alors que celles-ci avaient principalement eu lieu en juin, et que Grenelle avait justement eu pour but qu'elles ne démarrent pas, et pour fonction, en définitive, qu'elles s'arrêtent au plus tôt.

De la même façon, et cette année comme toutes les autres années, Bernard Thibault porte haut et fier l'oriflamme jadis brandi par Georges Séguy, et qui rappelle à tous que le premier devoir du syndicaliste est de savoir terminer une grève (ou mieux, ne pas la commencer) quand elle menace l'Etat.


Le résultat de sa demande de négociations ne s'est pas fait attendre : dès le surlendemain, il n'y avait quasiment plus de gréviste à Edf, Gdf; tandis que le ministre, Xavier Bertrand, attendait simplement la reprise générale du travail pour concéder à Thibault une victoire diplomatique sans conséquence : car on ne sait jamais, à l'heure de la trahison il vaudra mieux trouver la base désarmée, et affaiblie par quelques journées inutiles de grève, que toujours mobilisée et enragée de combattre jusqu'à la victoire ou la mort.

Et Xavier insiste lourdement, puisqu'il demande que tous imitent maintenant son féal le plus cher, son confident, François Chérèque, qui n'y va pas par quatre chemins et appelle à la reprise du travail (après avoir longtemps expliqué que la grève ne servirait à rien).

Xavier atige un peu (mais c'est normal, il en a les moyens), de rappeler ainsi que les confédérations syndicales, et quoiqu'elles prétendent, font désormais partie de sa domesticité.

Il oublie que Thibault est né Prince, de la noble maison des Komintern.

Il ne peut ainsi, et bien que son seigneur soit mort, s'avouer aujourd'hui le vassal d'une maison ennemie.

Mais il peut toujours, en attendant, mettre tout son talent, et sa grande expérience, au service des vainqueurs.


En 2003 déjà, à la Bataille des Retraites, il avait retiré du combat ses fidèles de la Sncf, d'Edf, de la Ratp, au motif qu'en définitive cette guerre ne les concernait pas, puisqu'ils ne dépendaient pas du régime général mais des régimes spéciaux.

Et en dépit des appels à l'aide des grévistes, il avait tenu bon, refusant jusqu'au bout tout appel général à la grève.

On en avait beaucoup voulu à Chérèque, le félon. Pendant qu'on tapait sur la Cfdt, Thibault en avait profité pour s'éclipser.

Cette année, rebelote à l'envers, c'est aux régimes spéciaux d'être en première ligne, et bien qu'il y ait une grève générale de la fonction publique de prévue, la Cgt n'a rien fait pour que ces différentes troupes se trouvent au même moment sur le champ de bataille, s'épaulant l'une l'autre.

A nouveau, c'est la faute à Chérèque, le félon, qui n'avait pas voulu que cette grande force se constitue, et Thibault, bonne pâte, avait accepté l'oukase de son nouvel ami.

Mais par mesure de sécurité, et en prévision d'une inévitable jonction, maintenant, entre les grévistes d'aujourd'hui et ceux de demain, le Champion cégétiste s'emploie à diviser la troupe des régimes spéciaux en leur proposant des luttes d'escarmouches, chacune dans son coin, entreprise par entreprise, et chacune vouée à l'échec puisqu'en face elles trouveront toujours l'Etat tout entier, sa puissance et ses médias, pour combattre ces troupes isolées.


Autrefois, la Cgt agissait ainsi pour laisser au PC l'initiative des affaires sèrieuses (on ne se méfie jamais assez de la piétaille).

Aujourd'hui, c'est pour se faire bien voir des autorités constituées (je suis de votre sang, moi qui monte à cheval).

Et c'est ainsi que, sans perdre la face, et sans changer de méthode, la maison des Thibault change de maître, et partagera bientôt les faveurs qu'a su mériter, par une fidélité sans faille aux causes du patronat, la maison des Chérèque.

La cérémonie de vassalisation ne devrait plus tarder : au printemps 2008, on parlera du financement des syndicats (Enfin! Du vrai pognon!) et, dans la foulée, de l'allongement à 41 ans de la durée de cotisations pour la retraite (Si y a que ça pour vous faire plaisir...).

Car, nul n'en doute, tel est l'enjeu de la bataille des services spéciaux.

Nettoyer le terrain avant l'affrontement principal.

Sans ça, la question d'argent ne se pose pas.

On prévoit des économies de 200 millions d'euros par an.

Quand on sait que le budget de l'Elysée, prévu à 32,2 millions pour 2008, va être majoré de 68,5 millions d'euros pour atteindre 100,7 millions d'euros, sans faire bouger d'un poil le budget de l'Etat, on se doute bien qu'on n'en est pas à 200 millions d'euros près.

C'est juste une question de principe.

Que demain les pauvres viennent pas râler qu'on les met au taf jusqu'à l'heure de l'hospice, alors que d'autres se prélassent à Cannes ou aux Seychelles avec une retraite de 1150 euros par mois acquise en peine jeunesse, à 55 ans ou 60 ans.


Thibault n'en pense pas moins, sans doute. Il aimerait que ça se passe autrement. Il se souvient de sa jeunesse, quand il était ouvrier.

Mais il est chef de maison.

Il doit avant tout veiller aux intérêts de sa maison

(C'est pas la fée Cégette qui le désaprouvera).

Qui sont de participer au pouvoir, quel qu'il soit.

(C'est pas l'oncle Yossif qui le contredira).

mercredi 7 novembre 2007

Sonja, Marina, Christian, et les autres


Il y avait à Lille une vieille dame qui s'appelait Sonia
(Sonja Suder, elle était allemande), enfin pas tout à fait vieille, 75 ans, mais plus très jeune non plus.
Elle vivait de brocante avec son copain, un allemand lui aussi, Christian Gauger.
Lui était plus jeune qu'elle, 66, mais on aurait dit le contraire.
C'était un couple à la Dubout, Sonja costaude, toujours d'attaque, et Christian tout faiblard, malade du coeur, avec des pillules de toutes les couleurs à prendre chaque jour.

Ils n'avaient pas la vie facile, depuis qu'ils étaient partis d'Allemagne, il y a une bonne trentaine d'années, à cause de la politique.

Là-bas, dans les années 70, ils avaient été libertaires.
Elle, prof de fac à l'époque, intellectuelle d'extrème-gauche, était assez connue (et c'était aussi une ostéopathe réputée).
Ils avaient fréquenté les RZ, les Cellules Révolutionnaires, un truc un peu informel, décentralisé, qui s'autogérait à la base.
Certaines de ces RZ, particulièrement remontées, avaient posé quelques bombes dans des batiments vides (mais l'une avait fait un mort, tout de même)
et avaient «jambisé» (tiré dans les jambes, à la mode italienne) deux ou trois personnalités locales.
Natürlich, les RZ avaient été immédiatement interdites.

Les ennuis de Sonja et Christian dataient de là : en 78 un juge les avait inculpés d'appartenance à une organisation illégale.
Or, cette année-là, l'ambiance n'était toujours pas à la rigolade en Allemagne (76 et 77, «suicides» de tous ceux de la RAF qui étaient en prison).
Sonja et christian étaient partis, s'étaient cachés et, pour finir, s'étaient réfugiés en France, en 1985 car à l'époque Mittérand y avait entièrement rétabli le droit d'asile, qui datait de la Première République, et que Giscard d'Estaing venait tout juste d'écorner, par conviction européenne).

Chez nous, ils avaient vêcu difficilement, sans métier, toujours inquiets, avec de faux papiers, car on ne sait jamais, des fois que la France revienne encore sur le droit d'asile...
Et en effet, il y a 7 ou 8 ans, le ciel leur tombe sur la tête.
Un grand procès des anciens RZ s'ouvre en Allemagne, mais il n'y a pas assez d'inculpés, à peine 4 ou 5.
On manque de coupables.
L'Allemagne demande à la France l'extradition de Sonja et Christian.
Seulement voilà :

Article 5
L’extradition n’est pas accordée: 1° (...) 2° Lorsque le crime ou délit a un caractère politique ou lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique.(...)


On avait donc chargé la barque, en leur mettant sur le dos, cette fois, les attentats à la bombe et les jambisations, qui sont des crimes d'extradables avec un fort relent de droit commun.
Oui mais pour tous ces crimes il y avait, en droit français (ce n'est pas pareil en droit allemand), prescription, or :


Article 5
L’extradition n’est pas accordée : (...) 5° Lorsque, d’après les lois de l’État requérant ou celles de l’État requis, la prescription de l’action s’est trouvée acquise antérieurement à la demande d’extradition, (...).

L'Allemagne, qui s'y attendait, avait à tout hasard rajouté quelques autres attentats, non prescris, commis par les RZ dans les années 86 à 91 (alors que Sonja et Christian étaient en France, avec en permanence le Sdec et les RG au cul). Cela a fait doucement rigolé la Chambre d'accusation (chargée d'émettre l'avis sur l'extradition) qui, reprenant son sérieux, a rappelé qu'on ne punissait pas sans preuve dans notre beau pays, et donc :

Article 4
(...)
En aucun cas l’extradition n’est accordée par le Gouvernement français si le fait n’est pas puni par la loi française d’une peine criminelle ou correctionnelle.

C'est ainsi que la Chambre émit un avis défavorable à l'extradition des tourtereaux, qui s'en revinrent tranquillement à Lille car (après un délai de huit jours) :

Article 17
Si l’avis motivé de la Chambre d’accusation repousse la demande d’extradition, cet avis est définitif et l’extradition ne peut être accordée.

Ouf!

Ouf?
Pas tout à fait.
Car cette loi ne s'applique que :

Article 1
En l’absence de traité, (...)

Or, la France a signé en 2004 un traité européen qui stipule :

Article 3
Conditions de la remise
1. En vertu de l'article 2, toute personne ayant fait l'objet d'une demande d'arrestation provisoire selon l'article 16 de la convention européenne d'extradition est remise conformément aux articles 4 à 11 et à l'article 12, paragraphe 1, de la présente convention.
2. La remise visée au paragraphe 1 n'est pas subordonnée à la présentation d'une demande d'extradition et des documents requis par l'article 12 de la convention européenne d'extradition.

et qui laisse, en definitive, l'exécutif décider ou non de l'extradition des ressortissants de l'UE : soit ils leur foutent la paix, soit ils les livrent.
En l'occurence, on avait laissé tranquilles Sonja et Christian.

Mais il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy, qui avait d'abord remplacé Jacques Martin dans le coeur de Cécilia et dans les émissions à la télé, a succédé aussi à Jacques Chirac comme président de la République.
Cet homme, pétri de qualités, a aussi une lubie : être aimé de tous et partout.
Vous n'imaginez pas ce qu'il a souffert, d'être en délicatesse, pour de sordides histoires de déficit budgétaire, avec le reste de l'UE.
Il a longtemps cherché comment se faire pardonner.
Et il a fini par trouver le cadeau qui ne coûte pas cher et entretient l'amitié : quelques livres de chair humaine.
Même rance, même passée de date, même quand c'est de la viande de vieux ou de malade, ça fait toujours plaisir.
C'est pas pour manger, c'est pour montrer à la télé.
En Italie, on commence à l'aimer, notre Nicolas national.
Après avoir déniché pour eux Battisti en plein Brésil, il a mis Marina Petrella au frais à Fresnes, il la réserve pour les fêtes de fin d'année.
Et comme les Allemands commençaient à râler, il a serré Sonja et Christian.
Comme ça y a pas de jaloux.
Sonja est à Fresnes.
Elle a vu Marina, elles se sont dit bonjour.
(Il y a une semaine encore, Sonja était à Paris, à la manif en train de crier Li-bé-rez Ma-ri-na!
Elle s'attendait pas à ce que ce soit son tour si vite).
Christian, le cardiaque, est à la Santé.
Ça va de soi.

vendredi 2 novembre 2007

Le Diplôme à Rachida Dati


Rachida dati, c'est un peu Mozart : le talent à l'état pur, le génie dès l'enfance.

Elle n'a pas besoin d'apprendre.

Elle sait.

Avant que de se révéler l'Amadeus de la Justice, elle fut remarquée en Arthur Rimbaud de la Finance.

Un DEUG d'économie en poche (de quoi tout juste s'inscrire à l'ANPE, pour le commun des mortels), elle intègre aussi sec la direction financière d'ELF-Aquitaine, dirigée alors (signe précurseur de son futur destin?) par Albin Chalandon, ex-Garde des Sceaux.

A 25 ans (à l'age où l'on peut enfin toucher le RMI), elle est chargée d'audits chez Lagardère, sans formation d'expert : elle a la science infuse, toutes les portes s'ouvrent quand apparaît cet être d'exception (et en effet, elle a eu son bac B avec mention Abien. Rachida est bosseuse).

Quand lassée d'aider l'Economie, elle opta pour le Droit, ce fut la même fulgurance : elle obtint une maîtrise sans avoir étudié l'aride discipline (l'équivalence à la licence lui fut donnée pour son parcours professionnel, dont on voit comme il fut difficultueux).

Et enfin, sitôt vêtue de cette peau d'âne, elle intégrait sans concours l'Ecole Nationale de la Magistrature, le jury ayant, d'un premier coup d'oeil à ses lettres de recommandation, reconnu toute l'ampleur de ses mérites.

Rachida est une artiste, un poète, elle n'est pas de ce monde, qu'elle touche à peine des ailes de son génie.

Elle voit les choses cachées que nul mortel ne peut apercevoir.

Ainsi son Master de droit des affaires (MBA) à HEC (anciennement ISA).

Que lui avait payé Jean-Luc Lagardère (le mécène bien connu).

Et qu'elle avait mentionné pour son admission sans concours à l'ENM (la maîtrise sans licence, ça faisait un peu cheap, pour une intégration sur titres).

Voilà soudain qu'on en dénie l'existence, qu'on ne sait pas en voir la réalité, car les apparences aveuglent les philistins.

Rachida Dati a menti sur ses diplômes, assure l’hebdomadaire l’Express. Elle aurait intégré l’Ecole normale de la magistrature en s’inventant un MBA européen du groupe HEC-ISA. Diplôme qu’elle n’aurait jamais obtenu, assure le journal.

Dans un premier temps, Rachida s'est armée de patience et a tenté d'expliquer que le diplôme en lui-même n'avait aucune importance.

Selon l'école, il lui manquait deux «électifs», des matières à option indispensables pour obtenir le titre. La ministre reconnaît aujourd'hui que son diplôme n'a pas été validé, mais affirme avoir obtenu tous ses modules.

Rien n'y fit.

Ce ramassis d'incultes, qui savent à peine ce qu'est un module, et pas du tout un électif, méprisaient encore plus les charmes du « mentir-vrai » chéri par Aragon.

Ils s'arc-boutaient, pieds dans la boue, à leur matière : Rachida s'était prévalu d'un diplôme qu'elle n'avait pas.

Tous ceux qui l'aimaient, qui aimaient en elle l'enchanteresse poétesse des peines minima pour les récidivistes, lui firent un rempart de leur corps.

Mais selon le porte parole de la chancellerie, le garde des sceaux n'aurait jamais prétendu être titulaire de ce diplôme, le cabinet du ministre évoque une erreur administrative, et Jean-Pierre Bonthoux, ancien secrétaire général du parquet général de Versailles :

Le rapport rédigé à propos du candidat "n'est pas à l'abri d'imprécisions ou d'effets réducteurs" mais "le candidat ne saurait en aucun cas être tenu pour responsable des inexactitudes dans la retranscription des informations qui y figurent", a souligné M. Bonthou

Il n'y avait plus qu'à trouver le smicard responsable à l'époque d'une aussi lourde légèreté, pour le châtier d'importance.

Las! Rien ne désarme l'épicier lorsqu'il est à la curée du serviteur des Muses.

Voici que Le Canard Enchainé publie un extrait du CV erroné.

Il mentionne en 96 maîtrise de Droit (celle, sans licence, dont on parlait plus haut), en 93 MBA du Groupe HEC (celui qu'elle n'a jamais eu), et Rachida y a rajouté à la main, de sa belle écriture gracieuse, 97 Niveau DEA de Droit communautaire (formule qui ne veut rien dire, mais dont la charge poétique est incontestable).

Ce qui fait qu'en définitive, le responsable de l'erreur de frappe dont elle est aujourd'hui victime n'est pas, comme il était naturel de le croire, un de ces flemmards de fonctionnaires (inutiles et incompétents dont il faut absolument réduire le nombre), mais Rachida elle-même, qui a eu ce CV entre les mains et en a profité pour le relire, l'annoter, le corriger...

Comme Rachida a la chkoumoune, elle faisait mardi, pendant qu'on imprimait Le Canard, cette déclaration péremptoire :

«Quand on parle de faux diplômes, il faut une matérialité».

Et bien voilà, Madame est servie : il suffisait de demander.

Et lorsqu'on est dans la merde jusqu'au cou, il ne reste plus qu'à chanter.

Rachida s'y est aussitôt essayée, téléphonant et faisant téléphoner à l'Express et au Canard qu'elle irait tout raconter chez Bouygues, au 20h, pour dénoncer leur comportement raciste.

(Je est un autre : Rachida ne sait pas que 53% des Français viennent de voter contre le mouton dans la baignoire; et que ces derniers temps les mal-blanchis se jettent par la fenêtre quand la police arrive dans leur quartier.)

Heureusement l'Express, qui ne hait point Nicolas, a déclaré que tout ceci n'était pas grave, et le Canard, qui est un gentleman, n'a pas non plus trop insisté.

Moi-même, j'ai de la sympathie pour les escrocs.

D'ailleurs, l'indélicate n'a commis aucun délit (et tous ceux que ça intéresse peuvent suivrent son exemple) : en matière d'usurpation de titre, rares sont les cas donnant lieu à des poursuites automatiques (toubib, par exemple).

Pour le reste, il faut qu'un plaignant se manifeste.

Et l'on voit mal, pour une histoire aussi infime, la ministre de la justice porter plainte contre Rachida Dati.

La Garde des Sceaux a suffisemment de soucis comme ça.

S'il fallait sévir contre toutes les tricheries dont s'entourent les pistonnés pour atteindre plus vite leur niveau d'incompétence, on n'en finirait plus.

Non, de plus nobles tâches retiennent l'attention de la Garde des Sceaux.

Vol de parapluie (dans une voiture) par un SDF. Récidiviste : deux ans ferme.

Deux grammes de teuch sur un arabe. Récidiviste : quatre ans ferme.

Voilà du vrai boulot, quand on est Garde des Sceaux.

Rachida Dati, c'est un peu Mozart : une artiste, une visionnaire.

Elle voit la Justice là où personne n'en voit.