jeudi 27 décembre 2007

Gautier-Sauvagnac (Le Retour De La Vengeance De)


Nicolas aime les cadeaux.

Ceux qu'il reçoit (de ses riches amis).

Ceux qu'il offre (à ses potes les gavés).

Mais Nicolas pense aussi aux pauvres, ou du moins (ce n'est pas tout à fait la même chose) à leurs syndicats.

C'est pourquoi, aux approches de Noël, il leur a promis tout plein de vrai pognon 100 % légal (loi sur le financement des syndicats), à condition, bien sûr, qu'ils soient bien sages (sur les 35 heures).


Le Monde du 19 12 07 :

Cette réforme, souhaitée par les principaux partenaires sociaux, a cependant été conditionnée par le président de la République à un assouplissement de la loi sur les 35 heures.


Et s'ils font leur mauvaise tête, ils auront affaire au Père Fouettard

(«Vous me direz si vous êtes prêts à négocier sur tout ou partie de ces sujets ou si vous préférez que le gouvernement s'en saisisse après concertation avec vous.»)

lequel fait claquer sa cravache en jubilant d'avance.

Car la proposition de loi déposée mi-décembre par richard Maillé, député UMP précise, entre autres :

-Les comptes des organisations syndicales devront être rendus publics


-??? (Warum, bitte?)


-Le financement ne pourra émaner que de l'Etat et des dons privés


-Hhhhhg. (Ouvre un peu la fenêtre, on étouffe ici)


-Les mises à disposition du personnel seraient supprimées, qu'elles proviennent de l'Etat, des collectivités publiques, ou des entreprises.


-Argl!


Pour vous faire une idée du panpan-cucul que ça représente, le mieux est de s'en remettre à Philippe Labbé, spécialiste (universitaire) des questions syndicales :

« Au total, dans les trois fonctions publiques, les organismes de la “Sécu” ou les grandes entreprises nationales, les “droits syndicaux” (décharges de service et autorisations d’absence diverses) représentent au minimum l’équivalent de 40 000 emplois à temps plein »

Ce qui, à 28 000 euros annuels de coût salarial moyen (selon l'Insee), nous fait un peu plus d'un milliard d'euros.

On voit mal les syndicats, demain, sortir ça de leur poche pour continuer à fonctionner.


Car si Nicolas est plutôt cadeaux (comme son saint patron, Santa Claus), il est aussi extrèmement taquin (limite sado-maso).


A part lui (c'est-à-dire l'Etat), seuls les cotisants (les dons privés) financeraient les syndicats.


Or ces cotisations sont la source de financement la plus obscure et la moins fiable qui soit.

Prenez la CFDT, par exemple.

Aux enquêteurs du rapport Hadas-Lebel (mai 2006), elle déclare 69 millions d'euros de cotisations.

Représentant 75 % de ses revenus (le rapport, au final, estimera qu'il s'agit plutôt de 50 %, compte tenu du black que la conf engrange).

Ce qui nous fait entre 92 (estimation Cfdt) et 138 (estimation Hadas-Lebel) millions de budget annuel.


Mais en 2007 (à l'occasion de l'affaire Gautier-Sauvagnac), François Chérèque précise :

«Nos recettes sont constituées à 73 % par des ressources internes, dont 46 % proviennent des cotisations(...)»

Bon, ça ne nous fait plus qu'un tiers de cotises dans le budget (46 % de 73 %).

Qui reste à 92 millions, comme l'année dernière? ou qui monte à 207 (69 X 3)?

On ne sait plus, explique.

Vous n'y êtes pas du tout, précise François, cette année c'est 41 batons :

«La CFDT est financée à 30 % par des fonds publics, sur un budget total de 41millions d'euros»

Si on a bien compris les informations fournies par François Chérèque, les cotises rapporteraient dans les 13 ou 14 (1/3 de 41) millions par an .

Pour des frais de fonctionnement (10 000 équivalant-emplois, et estimation budgétaire Hadas-Lebel) s'élevant à 500 millions d'euros environ.

Et, je rassure les camarades de la Cfdt qui me lisent, tous les autres syndicats représentatifs, Cgt, FO, Cftc, Cgc, sont dans la même mouise, ou pire.

C'est là que Nicolas se montre particuliérement taquin.

En effet, sans sa générosité, les syndicats crèveront tous, après la loi Maillé, la gueule ouverte.

Nicolas compte beaucoup s'amuser, avec eux :

Ce n'est pas à l'heure du dégraissage de la fonction publique qu'on maintiendra, aux frais de l'Etat, 40 ou 50 000 permanents syndicaux.

Ce n'est pas à l'heure des contraintes budgétaires qu'on offrira par centaines de millions la thune aux syndicats.

Mais il y aura toujours un bol de soupe, à la table du Pouvoir, pour les plus aimables d'entre les confédérations.

Pourvu qu'elles assurent le spectacle, et fassent un peu les bouffons.

Par exemple, quand Nicolas lance une bonne vanne qui fait poliment sourire autour de lui :

"Nous avons besoin d'accords qui aient une plus grande légitimité qu'aujourd'hui, surtout s'ils aboutissent à des règles innovantes. Il faut donc qu'on réfléchisse aux conditions de validité de l'ensemble des accords".

Chérèque, au meilleur de sa forme, rajoute afin qu'on se pisse de rire :

«La légitimité des syndicats ne doit plus pouvoir être mise en cause. Grâce à cette réforme, les accords majoritaires ne seront plus suspectés de ne pas représenter les salariés.»

Encore faut-il s'assurer que les syndicats soient bien aptes à remplir ce rôle, et c'est pourquoi Nicolas exige, avant toute embauche, qu'ils avalisent la réforme des 35 heures (en acceptant de la négocier).

Ce qui risque de ne pas faire rire quelques millions de salariés, mais au fond ça n'a pas d'importance, du moment que les syndicats sont payés (on le verra plus loin, ce n'est pas d'adhérents combatifs dont ils auront besoin, mais juste d'électeurs occasionnels).

Pour le reste, il y a la milice qui patrouille, prète à bondir, et la religion cathodique, à 20 heures.



Ceci dit, deux ou trois bouffons sont bien suffisants pour animer les soirées, et peupler les journaux télévisés.

Plus, on n'y comprendrait plus rien.

Ça ferait désordre.

C'est pourquoi Nicolas n'entend pas sauver les petites confédérations, qui sont si gentilles pourtant, et ont été bien utiles, dans le passé, pour signer des accords dont les grandes ne voulaient pas.

Il promet que l'Etat financera les syndicats représentatifs, mais :

"Aujourd'hui, la représentation sociale est éclatée, fondée sur des critères obsolètes et un mode de financement inadapté. Je veux donc que soient examinés les critères de la représentativité et la question du financement"


Ces nouveaux critères de représentativité prendraient essentiellement en compte le résultat aux élections professionnelles.

Si la barre est à 15 %, FO peut trembler.

A partir de 10, c'est la Cftc qui passe à la trappe, et plus bas, la Cgc.

Seules la Cfdt et sa nouvelle copine, la Cgt, sont sûres de s'en sortir.

Chrétienté Info 23 12 07 (qui s'inquiète pour la Cftc) :

La stratégie implicite, mais concordante, du gouvernement, du Medef et des principaux syndicats nuit également au rayonnement de la CFTC. François Fillon et la présidente du Medef, Laurence Parisot, préféreraient avoir 2 interlocuteurs puissants plutôt que d’avoir à négocier chaque dossier avec 5 organisations. Ils verraient volontiers la CFTC passer sous l’égide de la CFDT, ce qui réjouissent la CFDT, qui compenserait ainsi ses pertes sur son extrême-gauche, et la CGT, qui craint l’émiettement syndical qui l’oblige à la surenchère.


La Cfdt et la Cgt, à la perspective d'une écuelle toujours pleine sous les ors de la République, jappent d'impatience.

Mais être traités comme des chiens, et sommés de venir négocier la casse des 35 heures, il n'en est pas question.

Elles tiennent à leur statut de bouffons : on n'aura pas leur liberté de penser.


Les Echos 23 12 07


sentant le piège, François Chérèque (CFDT) et Bernard Thibault (CGT) ont exclu de parler, dans un même cadre, de l'importance des accords par rapport à la loi et du temps de travail


On pourrait donc craindre une sorte de front du refus de la réforme du syndicalisme, mené par les petits syndicats qui craignent de disparaître, et rejoint par les gros qu'importune sur leur échine la main du maître.

C'est là qu'apparaît tout l'intéret de l'affaire Gautier-Sauvagnac.


Ce scandale reste pour l'instant circonscrit à l'Iumm : DGS, lors de sa garde à vue a refusé de désigner les bénéficiaires de sa caisse noire.

Pourtant Dewavrin, Ceyrac, Leenhardt, du Medef, n'ont pas craint d'affirmer qu'elle finançait des syndicats (tout en mouillant au passage Jean Gandois et Ernest-Antoine, qui dirigèrent aussi l'Iumm); tandis que d'anciens responsables syndicaux se mettaient ouvertement à table face à la presse.

La Justice ne vérifie pas. Elle ne procède pas à d'autres gardes à vue.

Tout cela ne l'intéresse pas.

Un mot du Président, et elle s'y intéressera.

On trouve Nicolas aux origines de cette affaire lorsque, ministre des Finances, il laisse le Tracfin, qui dépend de son ministère, enquêter sur l'Iumm, sans pour autant confier le dossier à la Justice.

On le retrouve au début du scandale lorsque, nous apprend le Figaro, Tracfin remet enfin le bébé à un juge d'instruction«sous les regards attentifs des trois derniers ministres, Nicolas Sarkozy, Thierry Breton et Christine Lagarde» (gageons que ce n'est pas sans l'aval du premier de ces derniers ministres).

Et justement, comme ça se trouve, les syndicats menacés par la réforme du syndicalisme sont aussi les plus soupçonnés d'avoir trempé dans cette affaire : Cgc, Cftc, Fo ont notoirement bénéficié des faveurs patronale au cours de leur histoire, et abritent en leur sein d'anciens syndicats-maison financés par l'employeur (comme la CSL et ses milices patronales, intégrée à FO chez Peugeot).

Comment pourront-ils demain crier qu'on les égorge financièrement, si d'aventure le Medef se met à parler?

Cgt et Cfdt sont d'immenses confédérations qui, nous l'avons vu avec l'exemple Chérèque, sont infoutues d'expliquer, même en gros, à combien se monte leur budget et d'où proviennent leurs financements.

Le scandale Gautier-Sauvagnac ne peut que les atteindre.

Comment pourront-ils crier que leur indépendance est menacée?

Ils se tairont plutôt.

Tout ce joli monde ne pourra qu'avaler les couleuvres qu'on lui jette à manger et, anxieux de survivre, espérant gratter, ici et là, chacun selon son destin, un privilège ou deux, se rendra aux rendez-vous fixés par un chef brutal et rusé, Nicolas sarkozy.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous ne vous êtes pas aperçu que les syndicats se taisaient déjà, bien fort et depuis longtemps ?

Plus vite ils disparaîtront du paysage et mieux nous nous en porterons.

Gérard Amate a dit…

Il y a tout de même une petite différence : avant, ils trahissaient par vocation, aujourd'hui c'est par devoir.
C'est toute la distance qu'il y a entre le plaisir et le travail.

Olivier Bonnet a dit…

D'accord, mais comment les salariés vont-ils se défendre ?
On ne peut pas dire "mort aux syndicats" sans plus de précision. Ou alors "vive les oukases patronales" ?

Gérard Amate a dit…

Je suis d'accord : il faut des syndicats.
Mais pas ceux-là, pas dans ces conditions-là, pas avec ce fonctionnement.
Perso, je suis à la CNT-AIT.
Mais il y a aussi les SUD (pas tous, mais Education, Rail, Etudiants sont corrects), et la CNT tout court.
Il y a aussi les Coordinations.
Bref, il y a du choix, mais c'est à construire.

Anonyme a dit…

Et si on créait un VRAI syndicat européen?

Gérard Amate a dit…

En fait, il existe même un vrai syndicat mondial, c'est l'AIT (Alliance Internationale des Travailleurs), mais trop faible.
Les vrais syndicats sont solidaires, mais cette pratique ne subsiste guère qu'aux USA : pour la grève des scénaristes d'Hollywood, les transporteurs refusaient de convoyer les bobines de film, et lors de la grève des dockers de Liverpool, les bateaux déroutés vers les USA n'étaient pas déchargés dans les ports US.
Un syndicat européen ne serait même pas spécialement utile si nous avions affaire en Europe à de vrais syndicats : la solidarité s'effectuerait.

Anonyme a dit…

après "les journalistes au pied", voici donc "les syndicats à la botte" qui signeront dans pas longtemps des accords félons (certains ont pris de l'avance) pour finir de dynamiter l'héritage du Conseil National de la Résistance au titre des soi-disant "simplifications. Tandis que du côté du ps on continuera à nous dire que mais non tout cela n'était pas concerté de longue date.
Seulement les actuels 16 millions de victimes salariées ignorent encore le désastre qui va s'abattre sur elles. Comment pourront-ils l'apprendre si presse, et plus généralement médias, et syndicats roulent pour les dictateurs néolibéraux ? Et pourquoi laisser faire ?

Gérard Amate a dit…

De longue date, on sait en France que la presse ment.
Les salariés ne sont pas dupes (mais en effet, devant l'unanimité des pouvoirs qui veulent durcir leurs conditions de vie, résignés).
On a un rendez-vous, ce printemps : le passage aux 41 années de cotisations (vers les 42,5 ou les 45) pour la retraite (pour lequel syndicats, medef, et gouvernements sont déjà d'accord, sauf les détails).
Tachons d'y être, pour notre part, et contre eux tous, détails ou pas.

Anonyme a dit…

Grâce à votre article je comprends enfin la trahison de 2003(juqqu'ici je n'arrivais pas à répondre précisément au pourquoi) et tout s'éclaire.

Un bémol cpdt : ds la dernière partie vous reliez l'affaire Sauvagnac avec les syndicats or il me semble que c'est un peu facile pour les sauvagnac and co de prétendre que ça a servi, leur caisse noire, à acheter les syndicats... Je dis pas que c'est faux mais que ça arrange tt le monde. Y'a qu'è voir avc quel entrain les merdias se siont précipités pour faire chorus, au point d'oublier le corrupteur pour ne parler plus que des supposés corrompus désignés par... le corrupteur. En revanche ce fut une grande discrétion lorsque furent lâchés les noms d'autres supposés bénéficiaires des largesses : journalistes, politiques... Dommage que ce silence gagne même ce lieu.

Gérard Amate a dit…

La presse et les politiques n'ont pas pour fonction première de s'opposer au patronat.
Lorsque celui-ci les paye, il s'agit moins de corruption que de lobbying.
Quand il paye les syndicats, il y a perversion du syndicalisme.
Le problème n'est pas la corruption, au sens légal du terme.
Le problème est que l'indépendance financière des syndicats n'existe pas; et lorsqu'une loi aura décidé que l'Etat finance les syndicats, cette dépendance des syndicats à l'égard des pouvoirs en place sera encore aggravée.
Saviez-vous, par exemple, que les appels à la grève générale ou à des grèves illimitées sont illicites? Que la grève sur le tas est illégale?
Les syndicats composent encore avec ces traditions de lutte.
Demain, fonctionnarisés, il s'y opposeront ouvertement.
Et ce ne seront plus du tout des syndicats, mais des DRH de niveau supèrieur : ils y aspirent, et le font déjà.

FRK a dit…

Très instructif...

Comment la CNT ( et la CNT-AIT ) va pouvoir faire face au patronat ?

La CNT aura-t-elle les moyens d'exister ?
Verra-t-on une 'branche' négociateurs en son sein ?

Gérard Amate a dit…

Les CNT ont les moyens d'exister, puisqu'elles se refusent à tout subventionnement, toute professionalisation du syndicalisme, et même toute syndicalisation non-militante.
Elles sont pauvres, mais elles n'ont jamais de problème d'argent : elles n'ont pas d'appareil à soutenir.
Ceci dit, à l'heure de la communication en réseaux, elles ne sont pas indispensables : seule la volonté de lutter en commun est indispensable. Et cela, hors des syndicats représentatifs, car si on y est parfois libres de parler, on ne l'est jamais de lutter jusqu'au bout : à ces moments décisifs, le poids de l'appareil (qui défend ses propres intérets)est trop fort.