vendredi 16 novembre 2007

Brave Thibault



Vous auriez connu Bernard Thibault il y a quelques années, c'était le Prince Charmant du syndicalisme français.

La bonne fée Cégette s'était penchée sur son berceau, et l'avait comblé des dons les plus extraordinaires : un métier d'homme (à la Sncf) et de beaux cheveux (comme Prince Valiant, mais en blond), un mental de guerrier (en 95 il défendait déjà les régimes spéciaux), un profond respect des humbles (grâce à lui, la Cgt intègre les Coordinations au lieu de les combattre), et une énooorme indépendance d'esprit (en 1998, quand il devient Pdg du syndicat, il abandonne la direction du Parti Communiste).

Malheureusement, il y avait aussi un Ogre dans la famille, et qu'on n'avait pas invité au baptème parce qu'il faisait peur aux enfants : il s'agissait de l'oncle Yossif Vissarionovitch (Djougachvili).

Lequel prit très mal la chose, jugez plutôt :

Pour ce qui est du métier (que le brave Thibault exerçait d'origine au dépôt de Paris-La Villette), Yossif en fit un milieu hostile : à 80%, les collègues de La Villette ont rejoint les rangs du félon Sudraille, l'ennemi juré de la fée Cégette, et Thibault n'y est plus le bienvenu.

Pour ce qui est des Coordinations d'humbles et de pauvres, elles ne tiennent aucun compte des efforts que font Cégette et Thibault pour les aimer (et les protéger de toute aventure insurrectionnelle) : elles passent leur temps à les insulter.

Pour ce qui est de l'indépendance, Yossif l'Ogre a dévoré le Parti Communiste, il n'en reste que des os rongés, et les moins appétissants. La question ne se pose plus.

Et pour ce qui est du mental de guerrier, avant même que la bataille du 13 novembre ne commence, le brave Thibault s'en allait porter sa reddition au gouvernement, puisque sa proposition de négocier entreprise par entreprise n'est rien d'autre que celle indiquée en son temps par Nicolas Sarkozy himself, et proposée d'ailleurs par Idrac, la patronne de la Seuneuceufeu.


Il y avait ajouté, en pleurant, qu'un représentant de l'Etat soit présent dans chacune de ces négociations, ce qui n'était pas prévu, mais ne mange pas de pain : l'Etat est l'actionnaire principal des entreprises concernées.

Il peut donc y être tout en n'y étant pas, c'est-à-dire y être en qualité de propriétaire, et non parce qu'il est l'Etat, créateur d'une loi contestée par le mouvement de grève.

Si bien que cette demande de négociations s'avère une acceptation sans négociation du projet de loi, tout en ayant l'air de le mettre en cause.

Car si Thibault a hérité de l'oncle Yossif une propension à toujours se soumettre aux raisons de l'Etat, il a heureusement été doté par la fée Cégette d'une grande habileté à faire passer les vessies pour des lanternes.

On se rappelle ainsi les accords de Grenelle, signées le 26 mai 1968, et présentées aujourd'hui comme une victoire des grèves de 68, alors que celles-ci avaient principalement eu lieu en juin, et que Grenelle avait justement eu pour but qu'elles ne démarrent pas, et pour fonction, en définitive, qu'elles s'arrêtent au plus tôt.

De la même façon, et cette année comme toutes les autres années, Bernard Thibault porte haut et fier l'oriflamme jadis brandi par Georges Séguy, et qui rappelle à tous que le premier devoir du syndicaliste est de savoir terminer une grève (ou mieux, ne pas la commencer) quand elle menace l'Etat.


Le résultat de sa demande de négociations ne s'est pas fait attendre : dès le surlendemain, il n'y avait quasiment plus de gréviste à Edf, Gdf; tandis que le ministre, Xavier Bertrand, attendait simplement la reprise générale du travail pour concéder à Thibault une victoire diplomatique sans conséquence : car on ne sait jamais, à l'heure de la trahison il vaudra mieux trouver la base désarmée, et affaiblie par quelques journées inutiles de grève, que toujours mobilisée et enragée de combattre jusqu'à la victoire ou la mort.

Et Xavier insiste lourdement, puisqu'il demande que tous imitent maintenant son féal le plus cher, son confident, François Chérèque, qui n'y va pas par quatre chemins et appelle à la reprise du travail (après avoir longtemps expliqué que la grève ne servirait à rien).

Xavier atige un peu (mais c'est normal, il en a les moyens), de rappeler ainsi que les confédérations syndicales, et quoiqu'elles prétendent, font désormais partie de sa domesticité.

Il oublie que Thibault est né Prince, de la noble maison des Komintern.

Il ne peut ainsi, et bien que son seigneur soit mort, s'avouer aujourd'hui le vassal d'une maison ennemie.

Mais il peut toujours, en attendant, mettre tout son talent, et sa grande expérience, au service des vainqueurs.


En 2003 déjà, à la Bataille des Retraites, il avait retiré du combat ses fidèles de la Sncf, d'Edf, de la Ratp, au motif qu'en définitive cette guerre ne les concernait pas, puisqu'ils ne dépendaient pas du régime général mais des régimes spéciaux.

Et en dépit des appels à l'aide des grévistes, il avait tenu bon, refusant jusqu'au bout tout appel général à la grève.

On en avait beaucoup voulu à Chérèque, le félon. Pendant qu'on tapait sur la Cfdt, Thibault en avait profité pour s'éclipser.

Cette année, rebelote à l'envers, c'est aux régimes spéciaux d'être en première ligne, et bien qu'il y ait une grève générale de la fonction publique de prévue, la Cgt n'a rien fait pour que ces différentes troupes se trouvent au même moment sur le champ de bataille, s'épaulant l'une l'autre.

A nouveau, c'est la faute à Chérèque, le félon, qui n'avait pas voulu que cette grande force se constitue, et Thibault, bonne pâte, avait accepté l'oukase de son nouvel ami.

Mais par mesure de sécurité, et en prévision d'une inévitable jonction, maintenant, entre les grévistes d'aujourd'hui et ceux de demain, le Champion cégétiste s'emploie à diviser la troupe des régimes spéciaux en leur proposant des luttes d'escarmouches, chacune dans son coin, entreprise par entreprise, et chacune vouée à l'échec puisqu'en face elles trouveront toujours l'Etat tout entier, sa puissance et ses médias, pour combattre ces troupes isolées.


Autrefois, la Cgt agissait ainsi pour laisser au PC l'initiative des affaires sèrieuses (on ne se méfie jamais assez de la piétaille).

Aujourd'hui, c'est pour se faire bien voir des autorités constituées (je suis de votre sang, moi qui monte à cheval).

Et c'est ainsi que, sans perdre la face, et sans changer de méthode, la maison des Thibault change de maître, et partagera bientôt les faveurs qu'a su mériter, par une fidélité sans faille aux causes du patronat, la maison des Chérèque.

La cérémonie de vassalisation ne devrait plus tarder : au printemps 2008, on parlera du financement des syndicats (Enfin! Du vrai pognon!) et, dans la foulée, de l'allongement à 41 ans de la durée de cotisations pour la retraite (Si y a que ça pour vous faire plaisir...).

Car, nul n'en doute, tel est l'enjeu de la bataille des services spéciaux.

Nettoyer le terrain avant l'affrontement principal.

Sans ça, la question d'argent ne se pose pas.

On prévoit des économies de 200 millions d'euros par an.

Quand on sait que le budget de l'Elysée, prévu à 32,2 millions pour 2008, va être majoré de 68,5 millions d'euros pour atteindre 100,7 millions d'euros, sans faire bouger d'un poil le budget de l'Etat, on se doute bien qu'on n'en est pas à 200 millions d'euros près.

C'est juste une question de principe.

Que demain les pauvres viennent pas râler qu'on les met au taf jusqu'à l'heure de l'hospice, alors que d'autres se prélassent à Cannes ou aux Seychelles avec une retraite de 1150 euros par mois acquise en peine jeunesse, à 55 ans ou 60 ans.


Thibault n'en pense pas moins, sans doute. Il aimerait que ça se passe autrement. Il se souvient de sa jeunesse, quand il était ouvrier.

Mais il est chef de maison.

Il doit avant tout veiller aux intérêts de sa maison

(C'est pas la fée Cégette qui le désaprouvera).

Qui sont de participer au pouvoir, quel qu'il soit.

(C'est pas l'oncle Yossif qui le contredira).

10 commentaires:

Anonyme a dit…

si la position confédérale sème le trouble "à la base" il n'en reste pas moins vrai que le contexte de verrouillage total de l'info (cf.article de libé "les 20 Heures contre la grève") oblige à réfléchir autour de la bataille des idées! le risque est réel: si la proposition cgt ne s'accompagne pas d'un bon rapport de forces on perd gros; si la base tient bon c'est le gouvernement qui sera responsable du refus de négocier

Gérard Amate a dit…

Mais enfin, quelle importance?
En quoi cela va-t-il essentiellement changer la perception de la grève par les publics?
Quelle bataille des idées?
Si la grève tient, elle vaincra (on ne remplace pas les trains français par les trains d'Afrique du Sud, comme Tathcher a pu remplacer le charbon anglais par le charbon de Pologne ou d'Afrique); et les vainqueurs ont toujours raison.
Si la grève est vaincue, elle aura eu tort; et la position confédérale n'aide pas à ce que la grève tienne.
C'est, je crois, une position sincère : la Cgt, comme la Cfdt, est favorable au passage à 65 ans de l'age de départ en retraite préconisé par l'Europe; et s'inscrit dans cette logique.

Anonyme a dit…

La conf' est passée de l'obédience PC à celle du PS. En 2003 elle a tout fait (c'est-à-dire rien qu'opposer sa force d'inertie) pour que ça ne parte pas en greve générale malgré les appels multiples des fédés et UL.

Celles-ci d'autre part se méfiaient des profs dans le même temps où la lutte était commune, par peur dce se retrouver tout seuls. La base était loin de ces petits calculs misérables et ne demandait qu'à passer à la vitesse supérieure. Au lieu de ça, tout en faisant croire que retenez-moi ou je fais un malheur, ce ne furent que défilés d'une journée d'action à l'autre et puis ce furent les vacances .

Vacances qui virent Thi-Thi aller faire le zouave sur le Tour de France, comme si rien ne s'était passé lui qui était resté sourd et inactif. (Quelque temps plus tard il sera même... au festival de Cannes !)
En septembre tout était oublié, le mouvement épuisé, et on laissa le gouvernement se venger en étant impitoyable avc les profs mais, c'était le principal, la CGT s'en sortait indemne et espérait engranger des adhésions : il s'agissait d'atteindre "Le million" cela seul comptait et on lorgnait sur les adhérents trahis de la CFDT...

La CGT, en gros depuis les années Jospin, c'est une CFDT bis. Même si le base renacle. Même si des UL donnent le change. Il s'agit pour la Conf' de passer outre, ds le sillage de la CES. La Conf' c'est Le Duigou et son think-tank patronal. C'est le OUI au referendum. C'est un certain Larose participant au rapport Camdessus... C'est dépêchons-nous de signer avant que Chereque signe, il y va de notre crédibilité, trahissons pour éviter d'être trahis.

Anonyme a dit…

Et encore, ça remonte à plus loin. Déjà en 1944, le PCF et la CGT n'ont rien trouvé de mieux à faire que de créer la Sécurité Sociale et le statut des fonctionnaires, et quelques autres babioles pour mieux détourner les masses de la glorieuse révolution prolétarienne.

Heureusement, le camarade Kessler appelle à mettre tout ça cul par dessus tête :

Christian M. a dit…

Bonjour à tous,

Gérard, pourquoi dis-tu : «C'est, je crois, une position sincère : la Cgt, comme la Cfdt, est favorable au passage à 65 ans de l'age de départ en retraite préconisé par l'Europe; et s'inscrit dans cette logique.»? Tu crois vraiment cela?

La CGT est un remarquable lieu de réfection en commun. Il y a longtemps que la vérité ne vient plus d'en haut et si vous preniez le temps de vous renseigner VRAIMENT sur nos positions vous ne diriez pas tant d'idioties (Oui, j'en fait partie.)

Notre position est inchangée et reste partisane d'un départ au plus tard à 60 ans AVEC TOUS SES légitimes DROITS. Car vous n'avez pas vu (!) que derrière ces sois-disants «travailler plus longtemps» il s'agit en fait de rendre plus difficile le droit à une pension complète. C'est pourquoi nous voulons un retour à la référence des 37,5 ans de cotisations pour tous, et encore, ce serait de plus en plus limite, même ainsi !

Ce que je crois c'est que vous avez mal comprit les tentatives, certes maladroites, de Thibaud pour essayer de se sortir du piège. Je crois en espère qu'il va se ressaisir. De plus ce que la base décidera aura son soutien, forcément!

Lecture reccommandée :
http://croa33.blogspot.com/2007/11/en-un-combat-douteux-et-insens-n-18.html

Gérard Amate a dit…

Christian, Je n'ignore pas tout ce qu'il y a de dévouement, de combativité et de camaraderie à la base, dans la CGT.
Pour ce qui est de sa position officielle, les paroles sont une chose, et les actes autre chose.
J'ai fait la grève de 2003,à Nîmes, et j'ai vu les camarades de la Cgt rentrer au boulot, la mort dans l'âme, aprés avoir été engueulés par les envoyés de Paris, et d'autres continuer avec nous, l'insulte à la bouche pour leur direction; et j'ai vu les responsables obtus et staliniens tout faire pour que les grévistes de chaque métier en grève, de chaque atelier, bâtiment, ne se rencontrent pas.
J'étais à Marseille, quand devant une foule énorme (je me rappelle plus combien, 100 000, 500 000?) qui criait à la grève générale, Thibault répondait qu'une grève générale ne se décrète pas.
Et comme en 68, encore ado, j'exerçais mon premier emploi aux Forges d'Alès, tout ceci m'a rappelé quelque chose...
A part ça, en 2003, la Cgt s'en est bien tirée, mais cette année, ça ne sera pas pareil, Thibault a beau être prudent, les gens ont de la mémoire : il va y avoir, et c'est déjà commencé, du passage de la Cgt à Sud-rail.

Anonyme a dit…

Mais enfin , quand allez vous vous décider à parler du chomage , c'est un argument incontournable dans notre affaire du jour !!!!
Une simple question a poser, pourquoi faire travailler les gens plus longtemps avec 4 millions de chomeurs et la ils seront bien emmerdé pour répondre meme si je sais bien que le but est diminuer les pensions et que les victimes demande finalement grace et acces aux fonds de pensions tellement les niveaux de retraites seront devenus bas !!!!

Gérard Amate a dit…

Je ne sais pas pourquoi les autres ne parlent pas du chômage, mais en ce qui me concerne c'est parce que je ne crois pas à sa diminution par le partage du travail, car le travail n'est pas une quantité mais un rapport (social entre des personnes (K. Marx, Capital, livre 1, chap 4):)).

Christian M. a dit…

à Gérard,

- Il semblerait en effet qu'il y ait un problème dans votre fédération. Autrement dit je veux bien te croire... Ceci dit passer dans un nouveau syndicat n'est pas une bonne idée. Comme si le syndicalisme n'était pas assez divisé comme ça !
Pourquoi ne pas changer les têtes ? (Il y a des congrès pour ça)

- Le chômage est tout de même le problème numéro un de notre époque et le partage du travail une bonne solution. K. Marx était une référence au XIXe mais plus aujourd'hui. (Nous savons par exemple qu'une croissance infinie n'est pas possible.) Sache aussi que les "indispensables" qui peuplent les cimetières ont tous été remplacés à leur poste ! (Je simplifie pas mal mais bon c'est globalement valable.) Alors lâcher le boulot bien avant le trépas n'est ce pas plus malin ?

Anonyme a dit…

A christian m, qui écrit que sur les positions de la cgt (dont lui-même, ns assure-t-il, fait partie) il convient de se renseigner, sur ce qu'elles sont VRAIMENT. Par exemple ceci " nous voulons un retour à la référence des 37,5 ans de cotisations pour tous".

Vraiment ?

Vous devriez ds ce cas "renseigner" aussi... BT lui-même. Voici ce qu'il répondait à ce sujet :

"le mot d'ordre de la cgt n'a jamais été 37,5 ans de cotisations pour tous, ça n'est plus ça depuis son congrès confédéral, ça fait UN MOMENT, et vous ne trouverez aucune interview de moi revendiquant ce mot d'ordre"

C'était fin novembre, au micro de RTL, au Grand Jury. Il doit même être possible de réécouter ça sur leur site. Vous privez pas...