dimanche 7 octobre 2007

Gautier-Sauvagnac


Cette semaine, je vous ai écrit un petit roman : un polar-express, sans alcool, sans gonzesse, sans meurtre et sans lardu (je n'ai pas eu le temps de peaufiner les détails), mais avec des princes de la République et une apparition-surprise de l'Empereur en personne (pour le casting, je crains personne).


Chapitre Un : une arnaque à l'Unedic


Denis Gauthier-Sauvagnac, énarque, UMP, ex-PDG de la banque Kleinwort Benson France, ex- directeur de cabinet de François Guillaume, ministre de l’Agriculture, aujourd'hui président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et numéro deux du Medef (où il est chargé des négociations sociales), époux de l'épicière Fauchon de Villeplée et, pour courroner le tout, président de l'Unedic (qui distribue le thune aux Assedic), a piqué depuis 2000, dans la caisse de son syndicat, 5,64 millions d'euros, en cash.

Distraire 5,64 millions d'euros quand on a soi-même, par son épouse, le caviar à l'oeil, voilà qui frise l'inélégance.

Une enquête est ouverte.

Une enquête préliminaire, je vous rassure.

Le parquet se penche sur la question de savoir si chouraver 5,64 millions d'euros constitue un délit ou pas.

A la lettre, ça ne fait aucun doute.

Mais dans l'esprit, quand un riche se gave, c'est la plupart du temps pour aider les pauvres à s'en sortir.

Ne condamnons pas trop vite.


Châpitre Deux : l'enquête commence


Denis Gauthier-Sauvagnac est un être exquis.

Il ne se drogue pas.

Il ne rate jamais la messe.

Il voussoie son entourage.

Il utilise l'imparfait du subjonctif.

Ses amis n'ont pas peur de risquer leur carrière pour le défendre :

Yvon Jacob, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) déclare :

"Denis Gautier-Sauvagnac est un homme d'une parfaite honnêteté, il ne peut rien lui être reproché à titre personnel"

D'autant plus que Denis Gautier-Sauvagnac est un homme prudent : il n'a jamais étouffé la thune lui-même.

C'est une sous-fifre (elle avait procuration) qui se pointait à la BNP avec le chêque, cosigné Gautier-sauvagnac et Dominique Gaillard (du Medef et d'Axa), et qui ramenait le cash au patron, des broutilles, une misère, pas plus de 200 plaques à la fois.

Vous trouvez ça sèrieux, une escroquerie qui se présente avec déjà deux complices inutiles?

Supposons plutôt qu'il s'agissait de garants en cas d'embrouille : le détournement de fonds, fait sous témoins, apparaît ainsi comme un usage naturel à l'Uimm, et non comme l'indélicatesse particulière de son président.

Châpitre Trois : les hypothèses

Pourquoi le Medef (ou l'Uimm) a-t-il besoin d'un cash levé par chèques, si ce n'est pour occulter les destinataires?

Des call-girls à l'usage du staff directorial?

On l'aurait su.

Des explosifs pour El-Qaida?

Ça m'étonnerait.

Du financement pour l'Ump?

Le parti au pouvoir n'est pas à ce point dans la gêne.

Qui est suffisamment crétin, pauvre et ripou pour accepter du patronat la braise brûlante de ses caisses noires?

Les milices antigrévistes ne coûtent tout de même pas si cher

Dans le même ordre d'idées, nettement plus onéreux, sans doute, mais de meilleure réputation et bien plus efficaces, il y a les syndicats.

Qui ont ausstôt crié leur innocence :

«la CFE-CGC n'a jamais été impliquée»

«La CFTC Métaux dément catégoriquement»

«la CFDT métallurgie se dit "stupéfaite"»

FO Métaux : "nous n'avons rien à nous reprocher, nous n'avons donc pas à nous justifier"

La CGT : «aucun commentaire sur cette affaire»

Ah! les braves gens...



Chapitre quatre : les balances passent à table

Quelques uns se vengent, d'autres se chient dessus, moralité, ça fuite de partout :

Plusieurs sources, patronales et syndicales, soupçonnent l'UIMM d'avoir utilisé les importantes sommes d'argent retirées en liquide pour obtenir des signatures syndicales dans des accords de branche, voire interprofessionnels.

"Mais il ne s'agit pas véritablement d'un achat de signatures, cela correspond à des pratiques ancestrales dans le monde du paritarisme", analyse un négociateur patronal.

Le conseiller d'État Raphaël Hadas-Lebel : «Certaines ressources dont bénéficient les organisations syndicales relèvent de procédures dont la légalité (...) est pour le moins discutable»


Il faudrait "en profiter pour poser (la question du financement des organisations syndicales) et mettre les choses à plat en toute transparence comme l'ont fait les partis politiques", estime le président de la CGC métallurgie, Gabriel Ortero.

Bernard Van Craeynest, toujours la CGC qui, manifestement, se sent spécialement visée :

«Je ferais observer que ce n'est pas le premier dossier où il y a des problèmes de financement des organisations syndicales et où on met tout le monde dans le même panier, alors que la CFE-CGC n'a jamais été impliquée dans différents dossiers»

On veut bien le croire, et une conclusion s'impose : ils palpent tous.

On le savait un peu, remarquez :

Part des cotisations dans les budgets syndicaux

CGT 34 %, FO 57 %, CFDT 50 %, CFTC, 20 %, CGC 40 %

Le reste c'est des subventions.

Auxquelles il faut ajouter les prestations en nature, locaux, personnels détachés, et la gestion ou cogestion d'organismes sociaux, ainsi que les prébendes en tous genres.

On estime à 83 ou 85% la part payée directement ou indirectement par l'Etat et les collectivités locales dans le fonctionnement des syndicats.

Dans les autres pays européens, c'est exactement le contraire : les cotisations couvrent 80 à 90% des besoins.


On savait donc un peu, voyez-vous, que nos syndicats français ne seraient jamais bien cruels à l'égard de l'Etat, et qu'ils ne mordraient pas la main qui les nourrit.

On sait maintenant que le patronat français a lui aussi des droits légitimes à la gratitude des organisations ouvrières.

Et plus importants que prévus, puisqu'en définitive on apprendra que ce ne sont pas 5, 64 millions d'euros qui ont disparu des caisses de l'Uimm, mais 15.

Une paille


Chapitre cinq : l'enquête rebondit


Au fait, comment s'appelle la championne de vertu qui traque les arrangements bricolés par le Medef au bénéfice des syndicats?

Catherine Lagarde (qu'il ne faut pas confondre avec Louise Michel).

La ministre des finances leur a mis la Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) au cul.

Elle n'avait, semble-t-il, rien de plus urgent à faire en ce moment.

Remarquez, elle n'a pas eu à se donner beaucoup de peine, l'affaire avait été ficelée et tenue sous le coude depuis 2005.

Par le ministre des Finances de l'époque, Nicolas Sarkozy.

Et d'ailleurs, l'enquête de la Tracfin a été diligentée, nous apprend le Figaro, «sous les regards attentifs des trois derniers ministres, Nicolas Sarkozy, Thierry Breton et Christine Lagarde».

Si je puis me permettre une remarque personnelle, il n'a pas probablement pas monté que des dossiers sur le Medef, le petit Nicolas.

Entre son passage aux Finances et ses séjours à l'Intèrieur, il a dû se mettre au courant de pas mal de choses.

D'ailleur, c'est bien simple, il regorge d'amis.

Qui lui payent l'appart ou des vacances dans la quiétude des montagnes yankees (où il invite Rachida Dati, ministre de la Justice, qui lui est tellement dévouée).

Car ces affaires-là se conduisent en souplesse, il n'est pas question de jouer les brutales.

Prenez François Chérèque, par exemple, dont la Cfdt cogère l'Unedic avec le Medef, six mois chacun, à tour de rôle.

Lui et son pote Gautier-Sauvagnac voulaient hier encore lever des barricades contre la fusion de l'Unedic avec l'Anpe.

Il y réfléchira à deux fois tout seul dans son coin, pendant que l'enquête avance, et qu'après avoir trouvé le corrupteur elle recherche les corrompus

Et puis il y a toutes ces fatigantes négociations à venir, les retraites, les heures sup', le droit de grève, les fonctionnaires...

Vous les connaissez pas, vous, les Thibaud, Mailly, Aschieri, Chérèque et consorts, c'est des pénibles quand ils s'y mettent, sans cesse à menacer de lacher leurs pauvres sur le gouvernement.

On n'a jamais, en pareil cas, trop d'arguments à faire valoir.

Donnant-donnant.

Comme l'observait Yvon Jacob, qui ne veut pas qu'on jette la pierre à Gautier-sauvagnac (il est derrière) : "Je trouve cette affaire extrêmement étrange. On peut se demander si elle ne vise pas à essayer de troubler le bon déroulement des négociations en cours".

Tandis que Gabriel Ortero se demande pourquoi tant de haine envers les organisations syndicales «alors même que celles-ci sont engagées, à la demande du gouvernement, sur tous les fronts».

Ces deux-là, c'est bien net, ne signeront les accords qu'à condition qu'on arrête de les emmerder.


Chapitre six : épilogue


Pour ce qui est de la fameuse grève du 18 octobre, que la fonction publique attendait, en riposte à un train de mesures antisociales jamais vu depuis, au bas mot, la lointaine époque du Maréchal Pétain,

sept syndicats de la fonction publique sur huit ne se sont pas associés à la journée du 18 octobre et ont convenu lundi de "se revoir le 26 octobre" pour "décider des modalités d'une action nationale à la mi-novembre" en riposte à la politique gouvernementale.

Les fédérations décident donc "de se revoir le 26 octobre pour décider des modalités d'une action nationale à la mi-novembre, indépendamment des initiatives décidées d'ici là", conclut le communiqué signé par la CGT, la CFDT, FO, l'UNSA, la FSU, la CFTC et Solidaires. AP»


Deux syndicats, à ma connaissance, ont inscrit dans leurs statuts leur refus des subventions : il s'agit de la CNT et de la CNT-AIT.


Les passages en italiques de ce post signalent les coupures de presse.

Aucun commentaire: