dimanche 9 septembre 2007

La propriété, c'est le vol.


Consécutivement à de récents malheurs, le Parti Socialiste explore les différentes pistes de sa rénovation idéologique, résumée en une formule par son premier secrétaire : Le Grand Soir, c'est fini! (l'humour, toujours l'humour).

Florilège :

Manuel Valls, dont Sarkozy voulait faire un ministre (mais Manuel se voit un meilleur destin) : Nous devons dire que le travail est une valeur, que nous ne sommes pas favorables à une société de l'assistanat. Nous devons tirer le bilan sur les 35 heures, être au clair sur les retraites...

François Hollande, le consensuel (en un seul mot) : Le PS ne peut plus dire 'on va rétablir les 35 heures'.

Gaetan Gorce, le centre mouvant (et le cerveau mou) des majorités socialistes : pour « la recherche de convergences avec la majorité » sur certains sujets comme la réforme des retraites.

Dominique Stauss-Kahn, candidat de l'establishment planétaire à la présidence du FMI : Rien n’est tabou : sur le financement des retraites, l’évolution du système de santé, la réforme du marché du travail, la reconfiguration territoriale des services publics

Odette Duriez, ségoléniste des confins franco-belges : trop de social tue le socialisme.

DSK, jamais à court de pensées profondes : Il n’y a pas d’avenir pour la gauche dans une vision trop étroitement sociale(...).

(Remarquez que « largement sociale », ça serait peut-être pas mieux)

Le temps n’est plus où la gauche pouvait se contenter d’être le porte-parole du seul prolétariat dans un monde injuste.

Et qui donc pour tenir compagnie au prolétariat dans ce monde d'injustice?

C'est Manuel Valls qui le précise : Nous devons être le parti de l'entreprise et des entrepreneurs, créateurs de richesses.

A cet instant du débat, il est temps de faire une pause.

En dépit de diverses scories sur lesquelles on n'insistera pas (paupérisation relative et absolue, chômage de masse et allongement de la durée du travail, par exemple) on pouvait, jusqu'à ces dernières années, se trouver d'accord avec le PS dans la confiance qu'il accorde aux capitalistes pour édifier le socialisme.

En effet, le capitalisme développant la production, les richesses s'accroissaient.

Elles profitaient surtout aux riches (ce qui est normal pour des richesses), mais ils en avaient les bras tellement chargés en courant les mettre au coffre qu'ils en laissaient tout le temps tomber par terre.

Et les pauvres, habitués à vivre à plat ventre et dans la poussière, étaient aux premières loges pour en profiter.

Tout le monde était content.

Mais les meilleures choses ont une fin.

Depuis pas mal d'années, c'est plus tout à fait ça.

Les taux de croissance font la tronche, 1%, 2%, 1,8 cette année?.

Il n'y en a plus pour tout le monde.

Et voici qu'on en apprend une bien bonne.

Vous connaissez tous la Bourse de Paris, dont l'utilité première est de permettre aux entreprises de trouver des financements en émettant des actions.

Figurez-vous que l'année dernière, elle a fonctionné à l'envers.

Les entreprises y ont perdu des capacités d'auto-financement.

Les entreprises cotées sur Euronext Paris ont levé en 2006 un total de 37,5 milliards d'euros. Les entreprises du seul CAC 40 (un sous-ensemble d'Euronext) ont rendu à leurs actionnaires 39 milliards d'euros, soit un déficit de 1,5 milliard d'euros. (J-B Schimdt in Le Monde du 20/08/07).

En 2004 et 2005, pareil.

Au NYSE (bourse de New York), même phénomène.


Manifestement les rentiers, dont on avait presque oublié l'existence tant l'Etat les avait roulés dans la farine au siècle dernier sont revenus en force depuis quelque temps.


Je rappelle le principe de la rente, selon Ricardo
(18 avril 1772-11 septembre 1823) :

soit le domaine d'un riche propriétaire terrien (le rentier) où bossent un fermier (le capitaliste, qui achête les outils et paie les salaires) et les ouvriers agricoles (les prolétaires).

Quelle est la part qui revient au rentier?

Réponse : tout ce qui reste une fois qu'on a payé le travail, c'est-à-dire les frais du capitaliste.

Plus la terre est fertile, plus la rente est élevée.

Les revenus du travail, eux, ne bougent pas : ils sont les mêmes d'une terre à l'autre, et bien évidemment alignés sur la terre cultivée la moins fertile, celle qui permet à peine de payer le travail.

Dans ces conditions, le rentier est un ennemi naturel de la hausse des salaires et de l'investissement risqué, qui, en augmentant le coût du travail, lui tondent la laine sur le dos.

Il s'oppose à la fois aux capitalistes et aux prolétaires, tout comme ces derniers s'opposent entre eux : voilà, selon Marx (Le Capital, chap 3) les trois classes qui se trouvent en opposition dans le cadre de la société moderne les travailleurs salariés, les capitalistes industriels et les propriétaires fonciers.

(On étend aujourd'hui la notion de rente à tout profit résultant d'une situation non-concurrentielle, par exemple un monopole de fait (Microsoft), ou le prestige d'une marque (Porshe, 18% de rentabilité), ou l'immobilier en centre-ville : autant de terres plus fertiles que les autres.)


Le rentier est économiquement un parasite (Proudhon : la propriété, c'est le vol), mais il a un rôle social : il est la propriété, c'est-à-dire l'Etat (Stirner : il n'y a de propriété que de l'Etat) quand celui-ci ne se constitue pas en pouvoir séparé.

(Dans le système féodal, la seigneurie est à la fois une propriété et une division administrative.)

L'Ancien Régime fut ainsi l'Etat des rentiers, qu'il fallut abattre pour permettre la révolution industrielle.

La République est (fut?) l'Etat des capitalistes, qui spolièrent la rente autant que possible, par des décrets ou par l'inflation, avant de se retrouver eux-mêmes coincés, au début des années 70, par la baisse continue des taux de profit et sa conséquence, l'hyper-inflation.

Ils crurent retrouver des marges de manoeuvre avec le néo-libéralisme, par la réduction du rôle de leurs propres Etats, par la rupture de leur alliance conflictuelle avec le prolétariat et par la rigueur monétaire.

Ils en retrouvèrent en effet : ces conditions permirent la mondialisation, mais aussi le développement de la rente, et voici les rentiers de retour, qui détournent la richesse à leur profit.

Qu'en font-ils?

De l'Etat, bien sûr : ils achètent de la propriété, et en font monter les prix, excluant peu à peu tous les autres : les entreprises passent sous contrôle de fonds monétaires, et les pauvres n'arrivent plus à se loger.

Accessoirement, ils installent aussi plus de police, plus d'injustice, et moins de droits.

C'est pourquoi le moment est bien mal choisi par le PS pour, après avoir voulu l'euro, demander aux salariés d'en rabattre sur leurs exigences.

Les surprofits ainsi réalisés sur les salaires n'iront pas à l'investissement mais à la rente, qui en a un urgent besoin puisque les prix de ce qu'elle achète ne cessent de monter, et que c'est à ce prix seulement qu'elle peut dominer le monde.

Telle est la malédiction du Parti Socialiste : quand ils ont voulu défendre les travailleurs, c'est le capitalisme qu'ils ont favorisé, et maintenant qu'ils veulent défendre les capitalistes, c'est à la rente qu'ils font des cadeaux.


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