samedi 12 mai 2007

Le Lundi, C'est Sarkozy (Les Autres Jours Aussi)


Léon Noël, qui était en congés, descendait en sifflotant le cours Oujtexplose.

Jamais le mois de mai ne lui avait semblé si beau. Il flottait dans l'air léger un sentiment d'ivresse, provoqué par la montée des sèves et l'élection de Nicolas Sarkozy.

Il arriva enfin Chez Raymond et Suzanne, le flash ball bar de la rue Lavaleur.

Le CRS (oui, les habitués ne disent pas Chez Raymond et Suzanne, ils acronyment), le CRS, donc, était bourré comme un matin de tiercé.

Une foule mélée y célébrait sa joie : vieux retraités du commissariat voisin, blondes secrétaires des bureaux de la Préfecture, jeunes gardiens de la Paix, étudiants de l'école de Police, fraternisaient avec les étrangers en situation régulière (Passez donc nous voir à la Maison, on vérifiera tout ça) qui essuyaient les tables et servaient les consommations.

Seul au sein de cette liesse, Amar Rama tirait la gueule. Il avait étalé devant lui Le Monde (laissé par un suspect qu'on venait d'embarquer) et se rongeait les sangs en parcourant le quotidien de l'Anti-France.

La présence de Léon ne le dérida pas :

-J'angoisse, patron, selon l'éditorial de ce torchon, Nicolas n'arrivera jamais à appliquer son programme.

-Pure propagande! (Garçon! Une bouteille d'Old Nick et deux verres!) D'ailleurs on vient d'arrêter Colombani. Les liens de ce terroriste corse avec El Qaida sont prouvés. Il est en route pour Guantanamo.

La nouvelle ne rassura Rama qu'à moitié :

-Ces chacals prétendent que l'électorat du Travailler Plus Pour Gagner Plus est composé (je cite) à 58% d'inactifs, rentiers et retraités.

-Le travail crée des richesses pour le pays tout entier, fit doctement Léon. Il est normal que les plus chauds partisans du boulot soient ceux qu'il fatigue le moins.

-Je vous arrête tout de suite, patron, Nick a bien promis de « réhabiliter » la Valeur Travail. Si les travailleurs sont mieux payés, ça se fera sur le dos des pauvres vieux, des petits rentiers et des actionnaires pressurés.

-Ne confondons pas tout.

Nike n'a jamais promis d'augmenter la valeur DU travail.

Loin de là.

Au contraire.

(Garçon! Remettez-nous ça!)

Lorsque le travail est une valeur en soi, il n'y a plus besoin de le payer, car il porte en lui-même sa récompense.

-Ne plus payer le travail? s'étrangla Rama. C'est impossible!

-Ça l'est quand il s'agit des Rmistes et des chômeurs. On les enverra bosser pour pas un rond de plus.

-Et quand les patrons verront rappliquer ces employés quasi gratuits....

-.....ça deviendra compliqué de demander une augmentation de salaire, en effet.

La valeur travail est le plus sûr rempart contre la montée (toujours) trop rapide de la valeur du travail.

Amar avait encore du mal à y croire :

-Mais ...Et la France qui se lève tôt? Nique a bien spécifié que toutes ces mesures profiteraient d'abord à elle.

-Soyons clairs : les inactifs qui ont assuré l'élection du Président ne sont pas tous de la première jeunesse.

-Le grand age amène la sagesse : 75% des plus de 65 ans ont voté Nicolas, remarqua philosophiquement Rama.

-Et c'est bien connu, reprit Léon, on perd le sommeil à mesure qu'on vieillit.

Les vieux ont beau se coucher après Ushuaïa, à cinq heures du mat' ils ont déjà remis le dentier et attendent de pied ferme l'infirmière et l'aide ménagère (ces feignasses) : la voilà, la France qui se lève tôt!

Il ne s'agit absolument pas de la racaille nycthémère qu'on voit dormir debout (peut-on dire qu'ils sont vraiment levés?) le matin dans les transports en commun.

-Heureusement que vous êtes là, patron, fit Rama en jetant le journal sur une table voisine. Ça m'a remonté le moral, il faut dire que j'en bave, en ce moment.

-Allons, Amar, pas de faiblesse coupable! En ces jours d'espoir et de renouveau, ne pensons qu'à la célébration de notre Président.

-Mais je ne pense qu'à ça, justement, protesta Amar. C'est rapport à mon cousin.

-Quel cousin?

-Sabbas, le fils de mon oncle Bou Ayaoub, il est allé célébrer avec tous ces voyous le soir de l'élection.

-Ceux qui ont agressé les CRS à coups de tête (que les policiers paraient comme ils pouvaient, en interposant leurs matraques)?

-Sabbas n'y était pour rien, il s'est laissé entrainer, et on l'a arrêté avec les autres..

-Comparution immédiate? Quatre mois ferme, j'imagine, c'est le nouveau tarif manif (tout augmente). Mais pourquoi s'inquiéter? La zonzon est tendance, il n'y a que des jeunes, il s'y fera des potes.

-Vous n'y êtes pas du tout. On l'accuse d'avoir brûlé une école.

-Aïe!

-Et vous savez ce qu'on dit : qui brûle l'école brûle une taule.

-Détèrioration de stalag, ça va chercher loin.

-Loin? Vous voulez dire perpète! C'est assimilé à insulte...

-...envers le Chef de l'Etat, je sais, conclut sombrement Léon.

-Comment a-t-il pu faire une connerie pareille, sanglotait Amar en se tordant les mains d'angoisse.

-Les mauvaises fréquentations. Je présume que l'oncle Bou Ayaoub vit en HLM?

-En effet.

-Ces gens-là ne sont pas humains.

-Vous exagérez...

-A la vue du moindre uniforme, ils vomissent à longs jets, leurs têtes se mettent à tourner à 360 °, et ils profèrent des horreurs en langue sémitique.

-Mais on peut les exorciser?

-Peine perdue, c'est génétique (Nicolas Sarkozy, Mon Combat, Plon Editeur, page 666). Ils ne sont pas possédés. Il s'agit d'une autre race (opus cité, page 1).

-Sabbas n'est pas comme eux! Ce n'est pas un E.T., c'est mon petit cousin! s'insurgea Amar.

-Ah oui? Il aime les "riches" (sic), les commerçants, la police?

-En tous cas il ne vomit pas sur eux. C'est à peine s'il crache, et jamais au visage, toujours de loin, car à l'école, il a appris le respect. Il vénérait ses maîtres, jamais un mauvais geste, jamais un coup de trop. Je comprends pas : pourquoi une école, oui pourquoi?

-Tu lui as demandé?

-Il m'a écrit depuis la taule, ça explique qu'il était à la manif, mais rien sur l'incendie :


Nous c'est la racaille, on reste enfermés dehors

En ville ils ont la thune, ils se pointent en Benz

Nous, quand on va pointer, c'est à l'ANPE

Ils baisent des gonzesses sapées marque et bon genre

Qui nous giflent à peine on tente une demande

Les bougeois font chauffer leurs cartes aux tireuses

Pas nous : on a des fois pas de quoi pour le bus

Les banquiers sont leurs potes et aussi les bistrots

Les keufs sont du côté de ces mecs pleins de maille

Ils se plaignent qu'on est des abrutis hostiles

Mais ils nous parlent mal et nous font des contrôles

Au bahut on a droit aux leçons de morale

Les profs disent qu'il faut qu'on respecte les gens

C'est ça la République, on y est tous égaux!


-Bref, les jérémiades habituelles, commenta Léon. Et rien qui explique sa passion des allumettes, selon toi?

-Pourquoi? Vous voyez un truc?

-(Garçon! Une bouteille de Beefeater!) La censure du courrier! Il a forcément masqué ses propos, décodons la lettre :


C'est ça la République, on y est tous égaux!

Les profs disent qu'il faut qu'on respecte les gens

Au bahut on a droit aux leçons de morale

Mais ils nous parlent mal et nous font des contrôles

Ils se plaignent qu'on est des abrutis hostiles

Les keufs sont du côté de ces mecs pleins de maille

Les banquiers sont leurs potes et aussi les bistrots

Pas nous : on a des fois pas de quoi pour le bus

Les bougeois font chauffer leurs cartes aux tireuses

Qui nous giflent à peine on tente une demande

Ils baisent des gonzesses sapées marque et bon genre

Nous, quand on va pointer, c'est à l'ANPE

En ville ils ont la thune, ils se pointent en Benz

Nous c'est la racaille, on reste enfermés dehors


Ton cousin est tombé victime d'une hallucination répandue. Il a confondu les keufs et les profs. Et pourtant, les écoles ne sont pas des prisons!

-C'est vrai, elles accueuillent tout le monde!

-Et on n'en sort pas au bout de 6 mois!

-C'est du lourd.

-Sans espoir d'amnistie.

-Y a pas photo.


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