samedi 7 avril 2007

Ada Soros




Eve-Anna s'était absentée en raison des soldes. Léon Noël n'avait eu d'autre recours que de rejoindre Amar Rama au PMU de la rue Lavaleur.

Ils étaient là à boire des demis, lorsqu'une petite vieille entra, trainant un caddy qu'elle stoppa près du comptoir. Elle commanda une Suze sifflée en un clin d'oeil, puis une autre, et encore une autre. Cette bonne chose de faite, l'ancêtre respira un grand coup, paya et ressortit.

-Belle santé! remarqua Amar, vous avez vu la grand-mère, patron?

-Ada Soros! s'exclama rêveusement Léon. Je la croyais morte depuis longtemps.

-Vous la connaissez?

-Qui ne connait pas Ada, la tueuse de terroristes, la purificatrice ? Elle était de la maison, commissariat central, c'est elle qui a abattu l'anarchiste allemand Natan Renner.

-Ah bon? En parlant des Schleux, si on essayait leur mousse?

-(Garçon, deux Lowenbrau!) Tu n'as pas connu, peut-être, tu es trop jeune. La bande à Renner terrorisait l'Allemagne, des voyous qui ne respectaient rien, s'attaquaient aux ministres, kidnappaient les patrons,

-Ne me dites pas, qu'il y avait du désordre en Bochie! s'exclama Amar, horrifié.

-Hélas oui, on en était là... et comme si ça ne suffisait pas, ces bandits se voulaient partageux, assoiffés de communisme, et ils distribuaient à la racaille le fruit de leurs rapines.

-Alors là, ç'est plus du vol, c'est de la mise-à-sac, de la piraterie, fit sentencieusement Amar (Garçon, deux autres!), et les pirates, pas la peine de les juger, faut les buter sur place.

-C'était bien l'opinion d'Ada Soros. Un jour que Renner et sa bande étaient entrés dans une banque, elle a surgi derrière eux et a descendu Otto d'une balle dans la nuque. Du jour au lendemain Ada est devenue l'idole des journeaux, une star invitée sur les plateaux télé, une légende vivante.

-Attendez, c'était pas sur elle, la chanson de Sardou?

-Ada Ma Douce (paroles de Pierre Delanoé)? Mais bien sûr....

-C'était comment déjà?

Léon se leva péniblement de sa chaise et se mit à chanter :


Elle l'a abattu en plein Crédit Lyonnais

Il volait assuré de remplir son devoir

Il était sans pitié pour arracher la thune

Aux riches qui vivaient de loyers et de rentes

Il taxait leur pognon mais c'était pour le rendre

Aux pauvres qui bossaient et ne possédaient rien

Il avait déclaré une guerre sociale

Un statut de bandit officiel le couvrait

Il oeuvrait ce jour-là en braquant dans la banque

Ada Soros guettait, revolver à la main


Amar effaçait une larme qui coulait sur sa joue :

-Je prendrais bien du shnaps, pour me remonter, et rester dans la note.

-On va rajouter deux bières, ça va bien ensemble (Garçon! Deux shnaps et deux Spaten!)

-Et vous disiez, patron, qu'Ada était allée faire du zèle en Allemagne?

-Ah! Pas du tout! L'exécution de Natan Renner à eu lieu tout près d'ici, à l'agence de la rue Tâteur.

-Que faisaient chez nous Renner et sa bande d'égorgeurs?

-En fait il y était depuis trente ans. Il avait trouvé refuge à Lyon après avoir été soupçonné du meurtre d'Otto Uhu, le patron des patrons allemands.

-En clando?

-Il avait obtenu des papiers au nom de Lebel, et travaillait au Crédit Lyonnais. Marié, quatre enfants, employé modèle, il avait laissé tomber le terrorisme. Sans l'acharnement d'Ada à lui faire payer ses crimes, on ne l'aurait jamais retrouvé.

-(Garçon! remettez-nous ça!) Non, non! Continuez, patron, cette histoire me passionne. Comment a-t-elle retrouvé Renner?

-Le perfectionnisme du criminel a fini par le trahir. Bon père, bon époux, serviteur zélé de ses employeurs, il y avait dans tout cela une méticulosité qui rappelait trop la manière dont Renner préparait ses attentats. Il n'était pas jusqu'à la minutie avec laquelle Lebel exerçait son métier qui ne rappelât les braquages de l'anarchiste.

-Et alors?

-Elle l'a pisté, repéré ses habitudes, et un jour qu'il allait s'installer au guichet, ce fut à peu près comme l'a dit Sardou.

Léon vida son verre et se leva à nouveau :


Ada Soros guettait, revolver à la main

Il oeuvrait ce jour-là en braquant dans la banque

Un statut de bandit officiel le couvrait

Il avait déclaré une guerre sociale

Aux pauvres qui bossaient et ne possédaient rien

Il taxait leur pognon mais c'était pour le rendre

Aux riches qui vivaient de loyers et de rentes

Il était sans pitié pour arracher la thune

Il volait assuré de remplir son devoir

Elle l'a abattu en plein Crédit Lyonnais


(Garçon! Deux Gueuses!), il faut bien fêter ça...


Amar faisait une drôle de tête, et l'arrivée des bières ne le dérida pas :

-Mais, patron, vous m'aviez pas dit qu'il s'agissait d'un authentique repenti! C'est dégueulasse de buter un père de famille pendant qu'il est au boulot! Lebel n'avait plus rien à voir avec le Renner des années sanglantes. Pourquoi pas le laisser tranquille?

-Tu oublies le caractère particulièrement odieux des crimes de Natan Renner. L'assassinat d'Otto Uhu, le patron des patrons n'est pas de ceux qu'on pardonne facilement.

-Il y avait prescription, s'entêta Amar. Trente ans, c'est prescription, on aurait dû l'inculper de meurtre, cette horrible vieille...

Léon l'interrompit froidement :

-Tu délires, Amar. Ada était officier de police, et donc en état de légitime défense lorsqu'elle a tiré. Tu bois trop, l'alcool te monte à la tête, j'arrête de te payer des verres.

-C'est rien, patron, fit Amar effrayé, juste un peu d'émotion, à cause de la chanson, ce pauvre Lebel, si consciencieux, ça n'a rien à voir avec la bière. Ada a eu bien du courage...

-J'accepte tes excuses (Garçon, deux Duvel!). D'ailleurs la question de la prescription s'est posée, il y a eu enquête et procès.

-J'espère que ça s'est bien passé, s'enquiéta prudemment Amar.

-Sans problème. Renner était accusé de génocide, son crime imprescriptible, et son arrestation règlementaire.

Amar faillit s'étouffer en avalant de travers :

-De génocide?

-Le tribunal a en effet considéré que la qualité de patron se transmettait héréditairement, expliqua Léon.

Bouygues, Lagardère ou Dassault, Pdg respectivement des groupes Bouygues, Lagardère et Dassault, ne sont-ils pas les fils de Bouygues, Lagardère et Dassault, fondateurs des groupes Bouygues, Lagardère et Dassault, et ne destinent-ils pas leurs enfants à prendre leur succession quand le moment sera venu?

Cette engeance n'est-elle pas éduquée ensemble et ne se marient-ils pas entre eux? La combattre relève du plus bestial racisme.

-Mais c'est n'importe quoi! s'insurgea Amar en finissant sa bière. On pourrait en dire autant des pauvres : regardez mon cas, je suis au RMI, mon père était manoeuvre, mon fils est nul en classe, et de génération en génération on n'aura jamais de quoi se payer un verre, hélas!

-Ce n'est absolument pas la même chose! Les pauvres ne supportent pas la richesse d'autrui, tandis que les riches n'ont rien contre la pauvreté. Ils la respectent, au contraire, ils font tout pour la préserver.(Garçon! remettez-nous ça!)

-Vu sous cet angle...

-Le tribunal, dans sa grande sagesse a estimé que les patrons étaient moins un groupe socio-professionnel qu'une minorité allogène, menacée à tout moment d'extermination par des populations hostiles. Tuer ne serait-ce qu'un seul patron en raison de son appartenance au patronat constituait un crime génocidaire.

En conséquence les poursuites pour l'assassinat d'Otto Uhu ne pouvaient être éteintes, et l'arrestation, malheureusement tragique, de Natan Renner se justifiait pleinement. Ada fut relaxée et décorée dans la foulée de l'Ordre des Volailles, avec palmes.

Amar, peu convaincu, ruminait encore.

-Tout de même, patron, il y a des patrons qui ne doivent leur réussite qu'à eux-mêmes, vous par exemple...

-Exemple trop rare, et Bill Gates est a contrario le troisième du nom.

D'ailleurs, cela ne change rien, on peut se convertir au judaïsme, intégrer une tribu tzigane ou se faire accepter parmi les indiens d'Amazonie. Il n'en reste pas moins que les criminels désireux de détruire ces gens-là sont des génocideurs.

-Alors là ça m'en bouche un coin. (Garçon, une chope de bière et une chope de schnaps!)

Vous avez raison, la bière ne me vaut rien, je passe à la mirabelle, s'excusa Amar en affichant un air maladif.



Elle l'a abattu en plein Crédit Lyonnais

Il volait assuré de remplir son devoir

Il était sans pitié pour arracher la thune

Aux riches qui vivaient de loyers et de rentes

Il taxait leur pognon mais c'était pour le rendre

Aux pauvres qui bossaient et ne possédaient rien

Il avait déclaré une guerre sociale

Un statut de bandit officiel le couvrait

Il oeuvrait ce jour-là en braquant dans la banque

Ada Soros guettait, revolver à la main

Ada Soros guettait, revolver à la main

Il oeuvrait ce jour-là en braquant dans la banque

Un statut de bandit officiel le couvrait

Il avait déclaré une guerre sociale

Aux pauvres qui bossaient et ne possédaient rien

Il taxait leur pognon mais c'était pour le rendre

Aux riches qui vivaient de loyers et de rentes

Il était sans pitié pour arracher la thune

Il volait assuré de remplir son devoir

Elle l'a abattu en plein Crédit Lyonnais

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