dimanche 1 avril 2007

Le Sid


Eve-Anna referma posément son tube de rouge à lèvre, et décrocha le téléphone qui sonnait depuis une minute :

-C'est pour vous, Léon... Rama la Balance vous attend au bar de la Cigale, avenue Paul Ricard.

Amar Rama se leva d'enthousiasme à l'arrivée de Léon Noël :

-ça fait du bien de vous voir, patron, je rentre de Nîmes, la feria, et j'ai plus un flèche, vous savez ce que c'est...

-Non, je ne sais pas, et je ne financerai pas tes loisirs dispendieux, pas un sou, pas un verre. (Garçon! Un demi pour moi, et rien pour l'ivrogne à côté).

-Vous êtes dur, patron, pleurnicha l'indic, dire que j'avais de l'info exclusive pour vous...

Léon esquiva l'attaque :

-Encore des tuyaux crevés pour m'arracher la thune...

-Un crime et une émeute étouffés par la police, ça vous intéresse?

-La police étouffer une affaire? Je n'en crois pas un mot, s'indigna Léon.
Tu bois quoi?

-Un 51! Vous connaissez Nîmes, patron?

-J'y ai fait l'Ecole de Police, c'était le bon temps...

-J'ai des cousins là-bas, on se voit aux ferias, précisa Amar en sifflant son pastis (Garçon! Un autre, s'il vous plait!). Ils crèchent pas loin de votre Ecole, à la Cité Provence, vous voyez?

-Tout à fait : on y faisait nos Travaux Pratiques. Et ce crime, alors?

-J'y viens : c''était à Provence, ce week-end. Sidi Idis, ça vous dit quelque chose?

-Pas le moins du monde (Garçon, remettez-nous ça!).

-Mais si, insista Amar, le Sid, le fils à Diego, le pied-noir...

-Tu veux parler de Diego, le militant FN qui vivait avec la grosse Fatima, ce type qui ne buvait que des Berger blancs?

-Vous me croirez si vous voulez, mais j'en ai jamais bu, je sais pas à quoi ça ressemble...

-C'est de l'anisette (Garçon, deux Berger blancs!). Tu m'en diras des nouvelles...

-Pas mal : ça glisse tout seul (Garçon, deux autres!). Donc, le Sid, Sisi Idis, je vous fais l'historique, devait se marier avec l'Aziza : une punkette de la cité, mini-jupe, collants déchirés, percings, cheveux rouges, faut dire qu'elle avait été élevée par sa mère, son dab était barré au Maroc ou je sais pas où.
Bref, deux mois avant la noce, le vieux, dab Abad, se souvient de sa gosse et rapplique, soi-disant pour assister à la cérémonie.

-Quoi de plus normal, en effet? (Garçon, le plein!)

-Il rencontre les parents du fiancé...

-C'est bien naturel, en pareille occasion...

-...et envoie deux claques à Diego, le dab au Sid, qui se voit oblgé de venger son père.

-Pénible obligation, mais qui est toute à son honneur..

-Si bien que le samedi de la feria, pendant que toute la ville picolait sans penser à mal, on retrouve Abad au bord de la route, à 500 m de la cité, la gorge ouverte d'une oreille à l'autre, on aurait cru qu'il riait dans sa barbe.

-Quelle horreur! N'insiste pas ou je vais tourner de l'oeil (Garçon! Un rhum, vite!)

-(Deux!) Moi c'est pareil : rien que d'y penser, j'ai des vapeurs.

-Ouf! Ça fait du bien... s'exclama Léon dès qu'il fut remis de son émotion (Garçon! Deux autres!)

Tout de même, ajouta-t-il, cette hâte du Sid à égorger son futur beau-père me semble bien suspecte. Fallait-il vraiment en venir à cette extrémité? Le motif parait léger.

-Comme vous y allez, patron! Et le respect? Abad avait manqué de respect, le Sid pouvait pas s'écraser, Où irait-on? si on laissait les gens faire n'importe quoi!

-Manqué de respect à Diego? Tu plaisantes, je suppose. Tout le monde lui crachait à la figure, à Diego! Même au bistro, il n'était pas tranquille, il finissait ses apéros à la buvette de l'Ecole de Police (qui, soit dit en passant, était à l'époque le plus gros débit de boisson du département)!

Il nous informait intarissablement, Diego, on était au courant de tout, à la fin on ne l'écoutait plus, il aurait fallu arrêter tout le quartier, entre les dealeurs de teuch de la place du marché, les vols à l'étalage, les conduites en état d'ivresse, les détournements de mineure et le travail au black, il avait toujours un truc à raconter. Ce n'était plus un indic, mais une légende vivante, un symbole, le Mozart de la délation, et comme si ça ne suffisait pas, il collait en plein jour les affiches du Front!

Les gosses le suivaient dans la rue en lui jetant des cailloux et, si tu veux mon avis, il n'en avait rien à cirer qu'on lui manque de respect. (Garçon! Deux anisettes!)

-Je dis pas (Merci... Tenez, mettez-en deux autres tout de suite, ça vous évitera de revenir), mais avec Abad, il était tombé sur un cas : vous l'auriez vu, le dab d'Aziza, revenu de voyage barbu jusqu'à la moele, enturbanné de la tronche, tout en djellaba des pieds à la tête, et loquace avec ça, à traiter les gens d'apostats, de satans, d'impudiques, un allumé comme on en voit peu, il était pas là depuis trois jours que la moitié du quartier voulait lui rentrer dedans, même l'imam changeait de trottoir quand il le voyait arriver.

-Quel affreux personnage! (Garçon, remettez-nous ça!)

-L'embrouille était fatale, poursuivit Amar. Lorsque le Diego et lui se sont rencontrés, à cause du mariage, l'entrevue en est vite arrivée aux manches de pioche. Diego, bourré de longue, a pas eu le dessus et s'en est allé râler auprès de son fiston : honneur, islam et Pernod-Ricard, il n'en fallait pas plus pour arriver au drame, voilà l'explication.

-C'est assez convainquant, avoua Léon, mais j'émets un bémol : aller ouvrir sa belle-famille pour deux gifles de trop me paraît une outrance... Et la police, dans tout ça?

-Si on changeait? A la fin, le Berger, il empâte la bouche (Garçon, deux Casa!).
Les keufs, j'y viens : ça les aurait bien emmerdés d'aller cueuillir le Sid, qui était le fils d'un ami, et les vrais amis, c'est rare, surtout ceux des poulets. Heureusement pour tout le monde, il y a eu le même soir la bagarre avec les Maures.

-Quel rapport?

-L'alibi du Sid, patron! Je vous explique...

Les mecs des deux grosses barres de Provence, l'Estérel et Les Maures, avaient des histoires à régler, et l'Estérel, justement, c'est les voisins directs du Ventoux, l'immeuble où crèchent Diego et le Sid, boulevard des Troubadours.

Ce soir là les Maures font une descente à l'Estérel, et commencent à tout casser pour entamer la conversation. Les lascars de l'Estérel, débordés, appellent au secours le Ventoux, et la baston devient sérieuse, du sous-sol au huitième, ça courait dans tous les sens. Les Maures à la fin se sont barrés en pleurant leur mère, et quand les keufs se sont pointés (un bon moment après la bagarre), le Sid venait juste d'arriver, retour d'égorgement : il avait appris la nouvelle de l'attaque des Maures, et avait rappliqué pour aider les copains.

Tout le monde a juré qu'il y était depuis le début, et les flics ont fait semblant d'avaler ce bobard.

-Tout est bien qui finit bien! s'exclama Léon, soulagé par ce happy-end. Il n'aurait plus manqué que ce généreux garçon passe sa vie en taule pour avoir défendu l'honneur de son père! Tiens, je t'offre un pot! Du Côtes, ça te va?

-Tout à fait (Garçon! Deux pots de Côtes!).

-La Chance a complètement protégé le Sid! remarqua Léon, admiratif. Car en plus, j'imagine qu'il échappe au mariage?

-Alors là, pas du tout, patron! La date est pas changée, c'est pour dans quinze jours, et j'irai, on m'a invité.

-Dis donc, elle est gonflée! Comment elle s'appelle, déjà?

-Aziza. Au début, elle l'avait mauvaise, il fallait plus lui parler du Sid, et encore moins de se marier avec, mais elle a pardonné presque de suite après : une brave petite, en définitive, soupe-au-lait, mais bon fond.

-Mes doutes renaissent, souffla Léon, accablé. Es-tu bien certain qu'Aziza déplorait le décès de son père?

-Pour ça oui, patron, affirma Amar. Quand le Sid est venu s'excuser, tout sourire, avec un bouquet de mimosas qu'il avait arraché dans un parc au passage, vous auriez vu comme elle l'a reçu! C'était au marché du samedi, tout le quartier assistait à la scène. Moi j'ai pas pu, j'étais occupé au comptoir, mais tout le monde en parlait, et en tendant l'oreille, à droite, à gauche, j'ai reconstitué sa gueulante, elle a des mots qui trompent pas.

Amar fouillait ses poches :

-J'avais noté tout ça sur un bout de papier, c'était pas facile à remettre en ordre. Ah! le voilà :


Même si tu rappliques avec du mimosa...

Tu peux faire une croix sur le cul d'Aziza!

Alors là pour le coup plus jamais tu me niques!

Si je te vois ramper plein d'idées pacifiques,

Entends-moi bien, jamais, je te pardonnerai

D'avoir tué mon père, je te pisse à la raie,

Hors de ma vue, bâtard, ne reviens pas avant

Que ma colère tombe, ton cas va s'aggravant

Je veux plus rien entendre, ne me demande plus

Je n'ai qu'un cri : vengeance! Au revoir et salut


Léon n'avait pas quitté son air soupçonneux :

-Et combien de temps après ce poignant cri du coeur a-t-elle accepté de se marier quand même?

-Je peux pas vous dire, pas longtemps en tous cas : depuis la claque jusqu'à à la réconciliation, l'affaire a été réglée dans la journée.

-En passant par le meurtre, l'attaque des Maures, et l'enquête des flics?

-Absolument.

-Alors là c'en est trop! bondit Léon. Que le Sid aille découper le père à sa promise pour une giffle de trop, c'était déjà extrèmement exagéré de sa part... mais qu'en plus Aziza pourrisse l'assassin et tout de suite après se refiance avec lui, ça devient incroyable!

-Incroyable? s'insurgea Amar. Tout le marché a été témoin de l'engueulade! Le Sid et son mimosa passaient pas inaperçus! Et pourtant ils se marient, oui, patron, ils se marient, car l'amour est plus fort que tout! triomphait Amar. Ça vous en bouche un coin, hein?

Léon calma cet exalté :

-Réfléchis un peu au lieu de proférer des stupidités, et prenons un rosé, ça contient du phosphore (Garçon! Une bouteille de Tavel!).

Ne m'as-tu pas dit qu'Abad s'était fait beaucoup d'ennemis avec ses convictions religieuses?

-Halte là, patron! Il prêchait, il taquinait, ça pouvait énerver, mais de là à lui faire la peau...

-Il n'avait pris aucune mesure à l'encontre de sa fille?

-Au contraire! Par exemple, il lui avait fait enlever ses percings à la lèvre et aux sourcils, elle était bien mieux après, sans toute cette ferraille qui la défigurait.

-C'est tout? Et la crête rouge, il la lui avait laissée?

-Probablement. De toutes façons, elle avait le foulard, on pouvait pas voir.

-Et la mini-jupe, les bas-résille?

-Pareil, avec le caftan, pas moyen de savoir ce qu'elle portait dessous.

-Et elle était contente d'avoir changé de déguisement?

-On peut pas dire qu'on l'entendait se plaindre : elle sortait plus.

-Ne m'en dis pas plus, l'affaire est claire : Aziza, si tu veux mon avis, ne devait pas rigoler tous les jours, enfermée dans l'appart habillée en soeur Thérésa. Elle devait même commencer à flipper sérieusement à l'idée que son père s'incruste : d'où la rapidité avec laquelle elle s'est remise de sa disparition brutale. Et voilà pourquoi, conclut Léon, elle n'a même pas retardé son mariage.

-Bien imaginé, applaudit Amar, mais si elle était soulagée de reperdre son père, pourquoi a-t-elle autant gueulé après le Sid, au marché? C'était pas pour la frime; la preuve : le mariage. Vous voyez bien que votre explication tient pas.

Léon reprit un verre, l'air soucieux, quand une lueur d'intelligence passa dans ses yeux vitreux :

-Dis donc, le marché, à Provence, il a lieu en soirée?

-Ben non, le marché, c'est le samedi matin. Pourquoi?

-Tu m'as bien dit que le meurtre avait eu lieu en pleine feria, le samedi soir?

-Où voulez-vous en venir? (Garçon! Un guignolet!)

-(Deux!) Comment expliques-tu qu'Aziza, le samedi matin, ait reproché au Sid un assassinat qu'il n'allait commettre que plus tard dans la soirée?

-Patron, bafouilla Amar, c'est pas sympa de votre part de chercher à m'embrouiller quand on est au bistrot. Vous préférez pas qu'on remette les raisonnements à plus tard?

-Justement, parlons-en, de ton déplorable éthylisme. Tu n'aurais pas profité de la feria pour dépasser les limites du raisonnable?

-Vous m'outragez, j'en suis pas à avoir des visions (Garçon! Un demi!). Cette engueulade, j'y étais, je faisais l'apéro juste à côté, je l'ai pas rêvée.

-Tu ne l'as pas rêvée, je veux bien, expliqua doucement Léon, mais elle ne pouvait pas avoir le motif que tu avances, Dab Abad n'était pas encore mort.

-Pourtant, lorsque j'ai demandé aux gens ce qu'il se passait, c'est bien ce qu'ils m'ont dit.

-Par bribes.

-Bien sûr, par bribes, j'aurais voulu vous y voir. Si vous croyez que c'est facile, d'arracher les rencards : les gens se font méfiants, surtout ceux des cités.

-Je ne te jette pas la pierre, je connais les difficultés de ton sacerdoce. Mais es-tu bien sûr d'avoir remis tous ces renseignements dans le bon ordre?

-J'en vois pas d'autre, se renfrogna Amar, vexé

-Ça crève pourtant les yeux : samedi dernier, le Sid vient voir sa douce pendant qu'elle est au marché, pas pour s'excuser, puisqu'il n'a encore tué personne, mais pour la rencontrer : normal, elle ne sort plus depuis qu'Abad est revenu au domicile conjugal : s'il veut la voir, c'est ici ou jamais...

-(Garçon, deux cachaças!) Faites pas attention, patron, je bois mais je vous écoute .

-...Elle ne décolère plus depuis qu'on l'a enfermé, le Sid, qui la connait bien, lui a apporté des fleurs pour l'amadouer. Elle le repousse en précisant qu'elle n'a pas besoin de fleurs, mais d'un mec assez courageux pour crever dab Abad!

-Quoi? S'étouffa Amar en avalant de travers. Vous voulez dire que...???

-Le Sid essaie de négocier, lui demande de se calmer, ce qui, bien entendu, énerve encore plus la paricide, et c'est là qu'elle explose, prenant l'assistance à témoin :


Je n'ai qu'un cri : vengeance! Au revoir et salut

Je veux plus rien entendre, ne me demande plus

Que ma colère tombe, ton cas va s'agravant

Hors de ma vue, bâtard, ne reviens pas avant

D'avoir tué mon père, je te pisse à la raie,

Entends-moi bien, jamais, je te pardonnerai

Si je te vois ramper plein d'idées pacifiques

Alors là pour le coup plus jamais tu me niques

Tu peux faire une croix sur le cul d'Aziza!

Même si tu rappliques avec du mimosa...


Tétanisé par cette révélation, Amar n'arrivait plus à soulever son verre. D'atroces pensées semblaient l'assaillir.

Léon tenta de le rassurer :

-Allons, ne t'en fais pas, ils sont jeunes, ils sont beaux, l'avenir est à eux, ils auront vite oublié ces douloureux commencements.

-Je ne m'inquiète pas pour eux, patron, mais seulement pour le Sid. Quel avenir, pour lui dans les liens conjugaux?

-Ah ça! Il ne faudrait pas qu'il s'amuse à contrarier Aziza trop souvent... La petite a du caractère.





Même si tu rappliques avec du mimosa...

Tu peux faire une croix sur le cul d'Aziza!

Alors là pour le coup plus jamais tu me niques!

Si je te vois ramper plein d'idées pacifiques,

Entends-moi bien, jamais, je te pardonnerai

D'avoir tué mon père, je te pisse à la raie,

Hors de ma vue, bâtard, ne reviens pas avant

Que ma colère tombe, ton cas va s'aggravant

Je veux plus rien entendre, ne me demande plus

Je n'ai qu'un cri : vengeance! Au revoir et salut

Je n'ai qu'un cri : vengeance! Au revoir et salut

Je veux plus rien entendre, ne me demande plus

Que ma colère tombe, ton cas va s'agravant

Hors de ma vue, bâtard, ne reviens pas avant

D'avoir tué mon père, je te pisse à la raie,

Entends-moi bien, jamais, je te pardonnerai

Si je te vois ramper plein d'idées pacifiques

Alors là pour le coup plus jamais tu me niques

Tu peux faire une croix sur le cul d'Aziza!

Même si tu rappliques avec du mimosa...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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