lundi 31 août 2009

Dreyfus et Colonna (bis)


Aujourd'hui et demain arrive en librairie un livre particulièrement cher à mon coeur : le mien.
Il s'intitule "L'affaire Colonna", "Une bataille de presse".
Il raconte comment la presse nationale a rendu compte du procès en appel d'Yvan Colonna.
Il montre qu'en l'occurrence c'est la presse liée au PS, Libé, le Nouvel Obs, etc..., qui s'est faite la championne de la raison d'Etat, la défenderesse des polices, et la laudatrice des tribunaux spéciaux; tandis qu'à droite, on était plutôt scandalisé des manquements au droit, à la justice, et au respect des principes démocratiques que ce procès révélait.
Je ne vous la cache pas : on m'a dit qu'il y avait peu de chances, dans ces conditions, qu'on promeuve beaucoup ce livre dans les journaux.
Alors, autant que je la fasse moi-même.
N'y voyez pas un acharnement narcissique.
J'ai écrit ce bouquin pour contribuer à ce qu'on n'oublie pas Yvan Colonna au fond de son trou.
Ce n'est pas maintenant que je vais lâcher le morceau.
En voici un petit passage qui peut se lire à part :

Dreyfus et Colonna

Lorsque Me Pascal Garbarini, avocat de Colonna, avait qualifié ce dernier de "Dreyfus corse", François Hollande avait déclaré sur RTL : Cette comparaison me choque. Dreyfus a été condamné par une parodie de justice, un déni de justice, il a été victime d'un complot contre la vérité.(...) Cette comparaison est moralement inacceptable et politiquement intenable.

Le rappel au moralement et au politiquement corrects pour interdire toute comparaison s'imposait, car, en vérité, les ressemblances étaient frappantes.

Les deux condamnés étaient passés devant des tribunaux d'exception dont le jury était composé de magistrats, à la fois juges et jurés : militaires pour le capitaine Dreyfus, civils pour le berger Colonna. Leur culpabilité avait été affirmée en public, et avant tout jugement par des membres du gouvernement. Pour le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, Yvan Colonna avait été l'assassin. Pour celui de la Guerre, le général Mercier, Alfred Dreyfus était un espion.

Arthur Meyer, dans Le Gaulois, posa à l'époque cette question : " Quelle liberté restera-t-il au Conseil de Guerre appelé à juger ce prévenu ?" On se fit la même réflexion tout au long des deux procès Colonna : quelle liberté restait-il à la Cour d'Assises Spéciale, maintenant que Nicolas Sarkozy était devenu chef de l'État ?

Les condamnations de Dreyfus et Colonna n'avaient d'abord scandalisé personne. La presse n'y avait pas vu grand-chose à redire. Jean-Pierre Chevènement s'en était félicité. Jean-Jaurès s'était écrié à la Chambre : "... pourquoi laisser ce misérable traître en vie ?"

On avait condamné Dreyfus sur la foi d'expertises graphologiques contestables, et de témoignages émanant de l'armée. Pour Colonna, on s'était contenté de ceux de la police. Les expertises quant à elles lui étaient favorables, ainsi que tous les autres témoignages.

Dans les deux cas, un autre suspect s'était dénoncé du crime dont on les accusait. Alessandri, après avoir été condamné comme coauteur de l'assassinat, avait déclaré être le tireur. Esterhazy, après avoir été acquitté à l'unanimité d'avoir écrit le bordereau, avait confié à la presse qu'il en était l'auteur. On ne voulut croire ni le premier ni le second, et c'était pour le même motif : il s'agissait d'aveux gratuits.

Les aveux tardifs d'Esterhazy étaient sans conséquence pour lui, puisqu'on ne revient pas sur la chose jugée. Ils parurent suspects : en toute logique, cet espion aurait dû continuer à se prétendre innocent. Or il venait s'accuser d'avoir commis l'acte pour lequel on avait envoyé Dreyfus au bagne. S'il tenait tant à le sauver, c'est qu'il était son complice et, en réalité, son subordonné. Il sacrifiait sa réputation pour protéger son chef.

C'est ainsi que les anti-dreyfusards retournèrent en preuve de culpabilité l'aveu d'Esterhazy innocentant Dreyfus. De la même façon, les partisans de l'ordre avaient retourné l'aveu d'Alessandri : il ne risquait plus grand-chose, puisqu'il avait été déjà condamné à la plus lourde peine, à tenter de sauver la star du groupe. C'était bien la preuve de la place éminente qu'avait eue Colonna au sein du commando.

Les condamnations de Dreyfus et Colonna reposaient avant tout sur la conviction des enquêteurs. On en vint, dans les deux cas, à douter de ces derniers. À l'origine de la culpabilité de Dreyfus, il y avait eu le colonel Henry, et à celle de Colonna, le commandant Lebbos. Tous deux furent convaincus d'avoir fabriqué des faux durant l'enquête, et l'on s'aperçut un peu tard qu'il s'agissait de menteurs sans scrupule.

À un siècle de distance, le commandant Picquart pour Dreyfus, le commissaire Vinolas pour Colonna, tentèrent d'explorer d'autres pistes que celle de la culpabilité de l'accusé. Picquart s'occupa d'Esterhzy, Vinolas des membres du commando jamais inquiétés. Tous deux furent amplement moqués et diffamés, et se trouvèrent en butte à l'hostilité de leur hiérarchie. Leurs suppositions furent écartées par la justice.

Si Colonna fut condamné sur la base d'aveux anciens démentis à la barre, la condamnation de Dreyfus fut justifiée par des aveux qu'il aurait fait hors tribunal, au capitaine Lebrun-Renault, et qui sont entrés dans l'Histoire sous le nom de "légende des aveux".

Les juges qui avaient condamné Colonna n'avaient pu le faire sur ce qu'on avait vu pendant le procès. Celui-ci n'avait absolument pas démontré la culpabilité de l'accusé. On a parfois supposé qu'ils disposaient d'informations confidentielles, de nature à établir une conviction si contraire au déroulement des débats. Les juges qui condamnèrent Dreyfus avaient eu à leur disposition un dossier des services secrets dont on ignore encore le contenu. Ce qu'on en connaît par des révélations qu'en fit le général Mercier, ne prouvait pas la culpabilité du capitaine, mais, faute d'être contredit, il aida à en établir la conviction. Le président du Conseil de Guerre, Maurel, devait déclarer au second procès Dreyfus, qu'un seul de ces documents du dossier secret lui "fut suffisant". Il est établi aujourd'hui que la pièce principale de ce dossier, une lettre de l'attaché militaire de l'ambassade d'Allemagne, qui contenait l'expression "canaille de D...", ne concernait pas Dreyfus.

La particularité de l'Affaire Dreyfus fut de se dérouler en pleine vague d'antisémitisme. Depuis la publication de "La France Juive" de Drumont, en 1885, neuf ans avant le début de l'Affaire, celui-ci déferlait. En 1892, il eut son journal, "La Libre Parole" qui, le premier, signala qu'un juif était soupçonné d'espionnage. Tout au long de l'Affaire, ce même journal servit pour preuves de culpabilité les poncifs les plus lamentables de l'antisémitisme : le mensonge juif, la solidarité juive, la trahison juive, et l'absence de sentiment national français.

Un même argumentaire fut employé durant le procès en appel d'Yvan Colonna. Faute de preuve, et pour expliquer qu'aucun témoignage n'accablait l'accusé, on parla d'omerta corse, de mafia corse, de solidarité corse et de clan Colonna. Cette variante à l'usage des Corses de la xénophobie n'a pas la même portée politique que l'antisémitisme, mais elle en a eu la même fonction. Elle servit d'ultima ratio à ceux qui, dans leur désir de faire condamner un homme, ne trouvait plus la raison dans leur camp. Elle ne suscita pas beaucoup d'indignation en France, sauf en Corse, naturellement, et parmi la famille Colonna ainsi traitée d'organisation mafieuse.

La différence entre les Affaires Dreyfus et Colonna n'est pas dans l'iniquité dont les accusés furent victimes. À quelque chose près ce fut le même, et l'ironie de l'histoire veut qu'il y ait eu des ressemblances jusque dans les détails de ces affaires.

La différence réside dans l'indignation que cette iniquité provoqua. Il n'y eut pour Colonna que quelques journalistes et une opinion publique que les principales personnalités politiques du pays et les intellectuels les plus connus ignorèrent souverainement. Autre temps, autres moeurs, la cause de Dreyfus avait été largement défendue. Il est inutile ici d'évoquer Zola, qui fit de la prison pour elle, ni Clémenceau, Jaurès, ou Péguy, mais le leader de l'extrême-droite bonapartiste, l'antisémite Paul de Cassagnac, demandait dès 1896 la révision du procès : Par cela même que le châtiment encouru est plus effroyable, plus mérité et n'entraîne aucune compassion, il ne faudrait pas (...) qu'un doute subsistât, doute horrible, épouvantable, et qui autorise à se demander parfois, avec terreur, si réellement, si effectivement, et malgré toutes les précautions dont on s'est entouré, malgré l'honneur et le patriotisme des juges, il n'y a pas là-bas, à l'île du Diable, quelqu'un qui agonise dans un supplice moral surhumain et qui serait innocent ! Ce doute à lui seul est une chose effrayante.

Pour l'instant, il n'a pas effrayé grand monde parmi les partisans de l'ordre au XXIe siècle, au premier rang desquels il faut désormais compter ceux qui se réclament encore de Jaurès, de Zola, de la tradition républicaine, et de tous les combats pour la justice et les droits humains : les Socialistes. Voici pourquoi, après quatre ans d'emprisonnement, la condamnation d'Yvan Colonna fut confirmée, alors qu'après le même temps de relégation en Guyane, Alfred Dreyfus recouvrait la liberté. Il avait bénéficié de larges soutiens dans la classe politique, et particulièrement celui d'une gauche qui, aujourd'hui, préfère se porter au secours de la raison d'Etat.


6 commentaires:

Gagou a dit…

Je voulais pas être le premier à laisser un commentaire mais les jours passent et c'est toujours pas la foule...
Y'a plus de commentaires sous l'article de Corse-matin (mais faut dire qu'il y'a une photo... :-) ). Merci pour le livre.

Gérard Amate a dit…

Ce post fait un bide.
Je vais arrêter les nobles causes.
Dès le prochain, je me remets à tirer sur les ambulances : le PS, en l'occurrence.
Par la suite ce sera sur ceux qui déplorent que la CGT soit aujourd'hui un ennemi de classe, comme si elle avait été, du temps de Joseph et de Georges, autre chose.

marie-ange Marie a dit…

Mais non, ce post ne fait pas un bide...Il faut juste nous laisser le temps d'en prendre connaissance...
Pour abonder dans le sens de votre article, je rajouterai cette phrase extraite de la lettre "J'accuse" d'Emile Zola:
"Ah!Le néant de cet acte d'accusation!Qu'un homme ait pu être condamné sur cet acte, c'est un prodige d'iniquité" Cette déclaration peut sans aucun doute, s'appliquer à l'acte d'accusation contre Yvan Colonna;absence de preuve matérielle, aucun témoin occulaire ne le reconnait (bien au contraire, l'un d'entre eux est sûr que ce n'est pas lui), l'expertise balistique démontre que le tireur est plus grand que l'accusé...Toute la théorie de l'accusation est basée sur des aveux rétractés...Aveux qui avant même d'être rétractés sont contradictoires et incohérents, comme le souligne Stéphane Durand-Souffland dans son article paru dans le Figaro et dont le titre se suffit à lui-même: "Le don d'ubiquité d'Yvan Colonna n'émeut pas les assises". Théorie de l'accusation mise à mal également par les déclarations du 7eme patron du raid Amaury de Hautecloque qui affirme dans son livre paru récemment, que Stéphane et Yvan Colonna ont fait l'objet de surveillances étroites de février à avril 1999, soit bien avant les GAV;or, selon l'accusation, le nom d'Yvan Colonna est apparu spontanément lors de ces garde à vue...Un journaliste P.Madelin, présent lors des audiences rapporte sur son blog qu'il a entendu "le préfet Christian Lambert, patron du raid en 2003, soutenir sous la foi du serment que le raid n'avait jamais bénéficié auparavant de la moindre information sur Yvan Colonna"...De plus ces surveillances ne figurent pas dans la procédure judiciaire, et c'est donc là un manquement au principe du contradictoire...
Et pourtant Yvan Colonna a été condamné à la peine la plus lourde, presque dans une totale indifférence mais "sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d'Etat".Comme Dreyfus...
A propos je viens d'acheter votre livre; je n'en ai entendu que du bien....
Amicalement,

Gérard Amate a dit…

Merci, Marie-Ange, de vos bonnes paroles, elles mettent du baume au coeur. Je vous assure qu'à part en Corse, la promo du bouquin est un vrai chemin de croix. "Ils" ne l'ont même pas signalé dans Livre-Hebdo, le catalogue qui sert aux libraires pour commander les nouveautés!
Pauvre Yvan, il y a vraiment du monde qui veut qu'on l'oublie au fond de son trou.

Marie-ange Marie a dit…

Je viens d'achever la lecture de votre livre; me vient à l'esprit cette phrase de Camus:
" Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse".
Merci, de l'avoir si bien décryptée.

Anonyme a dit…

Décrypter, c'est un grand mot pour un si mince travail. Mais écrire l'histoire, une histoire qu'ils préféraient oublier, ça oui, ce livre l'a fait.
G A