lundi 20 juillet 2009

Tracfin Is Watching You


J'ai un peu raté l'affaire Julien Dray, à cause de mes trois mois d'absence, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Comme tu sais, Tracfin (les feuks de la finance) a soupçonné le replet dirigeant socialiste de s'être gavé aux frais de la Fidl (les lycéens) et d'SOS Racisme (pour les plus âgés).
Ces associations lui auraient offert les coûteux produits de l'horlogerie helvétique qui font l'orgueil de sa vêture.
Je n'ai rien contre Julien Dray.
Je reconnais facilement qu'il n'a pas un physique de chippendale, et je comprends tout à fait que l'ostension de breloques onéreuses puisse le consoler des injures que lui a faites la nature.
Il n'est pas le seul dans ce cas.
L'exemple vient de haut.
D'ailleurs, rien ne prouve qu'on ait acheté ces petits bijoux avec les subventions reçues par la Fidl et SOS Racisme; et de toutes façons, je préfère que mes impôts servent à faire plaisir, plutôt qu'à abrutir la jeunesse, ou à détourner vers des problèmes sociétaux l'attention que mérite la lutte des classes.
Non, dans l'affaire Tracfin-Julien Dray, c'est Tracfin qui m'intéresse.

Tracfin (ou, si vous préférez, Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins) est un organisme gouvernemental dépendant des ministres de l'Economie et du Budget (en l'occurrence, Christine Lagarde et Eric Woerth).
C'est le pendant financier de la DNAT (Direction Nationale Anti Terroriste, célèbre pour avoir arrêté Julien Coupat) et de la Cour d'Assises Spéciale (qu'il est inutile de présenter depuis l'affaire Colonna).
Elle a pour mission principale la lutte contre le blanchiment des capitaux (issus des trafics de stupéfiants) et le financement du terrorisme.
On a depuis précisé que cela concerne la fraude aux intérêts financiers des communautés européennes, le crime organisé, et le produit de la corruption.
Tracfin n'enquête pas vraiment. Sa spécialité, c'est de recueillir des dénonciations.
Depuis mai dernier, celles-ci sont devenues obligatoires (on n'arrête pas le progrès moral).
Les professionnels de la finance, de la comptabilité et du droit sont tenus de les effectuer.
Les investigations plus profondes sont confiées aux soins de l'Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière qui est le répondant de Tracfin au ministère de l'Intérieur. Les deux organismes ont été fondés le même jour, le 9 mai 1990, pour traiter ensemble des mêmes questions.
Les missions de l'OCRGDF concernent le blanchiment de fonds, les aspects financiers du crime organisé, les fraudes aux intérêts financiers de l'UE, la répression du financement du terrorisme.

Et, me diras-tu, Julien Dray dans tout ça?
Justement : bien que portant la barbe, il ne ressemble pas à Oussama Ben Laden.
La Fidl n'est probablement pas une antenne d'El Qaida, non plus qu'SOS Racisme le représentant en France du Cartel de Medelin.
A priori, on voit mal en quoi les supposées malversations de Julien constituent une priorité pour Tracfin.
A posteriori, on le comprend vite.
Tracfin, c'est en tout et pour tout 52 fonctionnaires, en comptant le chef, le sous-chef, les sous-fifres, la standardiste et les secrétaires.
L'année dernière, cette vaillante équipe a examiné 14 565 dossiers de dénonciation.
Il est peu probable qu'elle ait eu le temps de s'intéresser à tous, mais elle en a tout de même transmis 359 à la justice.
Pour 2009, Julien Dray fait partie des heureux élus.
Tout comme, il y a deux ans, Denis Gautier-Sauvagnac et L'UIMM avaient décroché le gros lot (bien qu'on n'ait jamais pu prouver les liens du Medef avec la Rote Armee Fraktion).
En réalité, tu l'auras remarqué, les exploits de Tracfin dans le domaine de l'anti-terrorisme et du trafic de stupéfiants sont assez minces.
En 2008, les soupçons à ce propos concernaient une somme totale de 614 000 euros, ce qui est ridicule, et n'ont, semble-t-il, aboutis à rien puisqu'on n'en a pas plus entendu parler.
C'est d'ailleurs bien naturel.
Tant qu'à dénoncer quelqu'un, mieux vaut ne pas choisir un terroriste ou un parrain de la mafia.
Ces gens-là sont atrocement jaloux de leur tranquillité.
Il est tout à fait normal que les dénonciations concernent avant tout des personnes n'ayant rien à voir avec ces dangereuses activités.
Ce qui laisse à Tracfin tout le loisir de s'en occuper, pour le plus grand malheur des dirigeants socialistes ou ceux du patronat entrés en rébellion à l'égard du pouvoir en place.
.
Car, en réalité, Tracfin n'a pas la possibilité de communiquer directement ses dossiers à la justice.
Il lui faut, pour cela, l'aval du ministre de l'Economie : autant dire, par les temps qui courent, celui de Nicolas Sarkozy.
Qui sans doute, n'est pas mis au courant de tout.
Mais dans le cas de Julien Dray, comme autrefois celui de DGS, à tous les coups, si.
Il avait gardé trois ans sous le coude le scandale de l'UIMM, et ne l'avait fait sortir qu'au moment de la fusion UNEDIC-ANPE et de la réforme de la représentativité syndicale, auxquelles cette organisation patronale prétendait s'opposer.
J'ignore à quelle époque son regard fut attiré par les tic-tac bling-bling resplendissant au poignet de son ami Julien.
A mon avis très tôt, car le sujet l'intéresse.
L'affaire ne sort qu'aujourd'hui car, après la faillite de Martine Aubry à la tête du PS, il convient de se remettre à taper sur Ségolène Royal.

Tu me diras que tout cela ne te concerne pas, ils n'ont qu'à se tuer entre eux, y a pas de perte humaine.
Certes.
Mais il y a la méthode.
Tracfin, tu l'as remarqué, est une instance policière, bien qu'implantée au ministère de l'économie.
La loi de mai 2009, qui oblige à effectuer des dénonciations ailleurs qu'en justice, innove : dorénavant, le citoyen ne doit plus seulement rendre des comptes à la justice. Il en doit aussi à la police.
Et pas seulement à propos d'importants personnages, ou de trafiquants louches.
L'obligation de dénoncer concerne toutes les infractions ou fraudes passibles de plus d'un an d'emprisonnement.
Je vais t'expliquer : un bon exemple vaut mieux qu'un long discours.
Suppose que tu vendes sur E-Bay quelques menues horreurs achetées autrefois dans un moment d'égarement.
Et que tu oublies de signaler, dans ta déclaration de revenus, cette petite rentrée d'argent.
C'est cinq ans, le minimum pour fraude fiscale.
Et ainsi de suite.
Tu comprends facilement qu'à peu près tous les habitants de notre beau pays auront un jour leur dossier chez Tracfin.
Qui ne pourra certes pas s'occuper de tout le monde.
Mais qui fera un effort pour les cas les plus intéressants, qui auront reçu l'aval du pouvoir en place.
Tu me diras qu'aucun tribunal ne te condamnerait pour n'avoir pas déclaré la poignée d'euros de ton occasionnelle brocante.
Je te le souhaite, encore que ces temps-ci ils soient de plus en plus sévères.
Mais tu oublies que c'est Tracfin qui s'occupe de toi.
Il n'a besoin d'aucun mandat pour fouiller dans ton compte en banque sans même que tu sois au courant.
La loi l'y autorise, car elle permet à l'anti-terrorisme ce qu'elle interdit habituellement au nom de la défense des libertés individuelles.
Si tu n'as rien à te reprocher, tant mieux pour toi.
Mais si l'on trouve des dons clandestins effectués par ta vieille mère à l'occasion de ton anniversaire, ton cas s'aggrave.

Ainsi va la vie dans un Etat policier.
Il ne met pas tout le monde en prison.
Il ne t'y mettra probablement pas, je te rassure, tu es trop gentil(le) pour ça.
Mais il y met qui il veut.
Il n'a qu'à choisir.
Puisque là où la police a tous les droits, tout le monde est coupable.
Et Julien Dray plus encore que le commun des mortels.

8 commentaires:

Gérard Amate a dit…

Euh... On m'informe que le produit des bagnoles d'occases n'est pas imposable.
Alors mettons que ce soit la console Louis XV de belle-maman que vous auriez lâchement mis sur E-Bay...

LEKOZAK a dit…

Votre article commence très bien, comme vous le soulignez si élégamment, Julien Dray n'est pas beau.
Cela se gâte ensuite rapidement. Le soutien aux accusés est souvent cruel, je ris encore du comité qui défendait l'innocence de Véronique Courjault.
Je vous conseille la lecture du Monde d'aujourd'hui "les mauvais comptes de Julien Dray". Extraits: entre 2005 et 2008, M. Dray a perçu 1 631 417 euros, tous revenus confondus. Dans la même période, il a dépensé 2 087 678 euros. "Je ne suis pas un irresponsable dépensier, je ne suis en rien un homme qui vit dans la luxure". Je jette un voile pudique sur la comptabilité de la FIDL et de SOS-Racisme la lecture du Monde me donne déjà la nausée.
Votre démonstration statistique est imparable: 14000 dénonciations 360 affaires traitées par 52 fonctionnaires, on comprend qu'ils préfèrent attendre un coup de téléphone de l'Elysée plutôt que de trier le courrier. A le bel avantage d'avoir une grille de lecture unique et obsessionnelle pour expliquer le monde... le complot de l'Etat policier, la belle affaire. Certains on comme vous leur dada: les communistes, les francs-maçons, les étrangers, les plombiers polonais, la CIA, le gouvernement de Washington qui oppresse le peuple... A ce sujet d'ailleurs vos collègues conspirationnistes américains eux ont déjà posé des bombes.

Anonyme a dit…

@LEKOZAK

C'est pas J Dray qui l'occupe c'est TRACFIN, c'est écrit...

Un autre anonyme a dit…

@LEKOZAK

Il vaut mieux lire (et relire) ce à à quoi on répond avant de publier : cet article n'est pas une défense de Julien Dray, sauf sur une note d'humour au début.

LEKOZAK a dit…

Mes bons amis, il me semble que j'ai fait deux paragraphes, le premier sur le sieur Dray et le dernier sur le reste.
De plus s'il me venait l'envie de répondre sur une partie du sujet, je pense que je ne vous en demanderais pas l'autorisation.

Un autre anonyme a dit…

Oui le cosaque, nous avions comprit votre rôle de Monsieur Jourdain procédurier et ordurier ne sachant pas ou il écrit ni à qui il s'adresse en réalité.

On tâchait juste de vous le faire comprendre poliment. Mes hommages à la commode Louis XV et à votre infirmière.

Gérard Amate a dit…

Cher Lekozak,
L'Etat policier n'est pas une conspiration, juste une pente naturelle à tout Etat. Les constitutions démocratiques y mettent des arrêts que, parfois, certains gouvernants font sauter. Nous sommes, en Sarkozie dans ce cas de figure : je vous concède bien volontiers que ce n'est pas nouveau, même si ça s'aggrave en ce moment. Ce n'est pas une raison pour trouver ça normal.

Anonyme a dit…

Merci pour le post utile! Je n'aurais pas eu ce le contraire!