mardi 23 septembre 2008

La Belle Affaire du Crédit Lyonnais


J'ai des potes qui franchement s'inquiètent des 700 milliards de dollars avancés par la Fed pour sauver le système bancaire américain.
Car nous avons tous en France le fondement douloureux, 
lorsque nous pensons au Crédit Lyonnais, 
à sa structure de défaisance (le CDR)
pour laquelle nous avons raqué en impôts des sommes astronomiques, 
et 15 ans après ça continue, il a encore fallu allonger 400 briques à Nanar ce mois-ci.
(Alors que Fadela n'a pas eu un flèche pour le Plan Marshall des banlieues, au motif qu'il n'y a plus un rond.
Remarquez, ça ne l'empêche pas d'être heureuse, et c'est tant mieux pour elle).

J'ai des potes, donc, qui s'inquiètent un peu pour les amerloques, et surtout pour eux-mêmes : des fois que les yankees nous présentent la douloureuse (comme ils en ont la détestable habitude).
700 milliards de dollars c'est, à la louche, 250 fois ce qui était prévu au départ pour notre Crédit Lyonnais (12,4 milliards de francs).
On a beau respecter le gigantisme américain, on se dit que la planète entière va y passer : ils n'y arriveront jamais tout seuls.

Et bien, je tiens à rassurer tout le monde, 
Ca m'étonnerait que ça leur coûte autant, toutes proportions gardées, que le Crédit Lyonnais.
Dans leur cas, ça devrait s'arranger.
A la longue, tout s'arrange.
Même l'immobilier.
La population augmente, et pas le sol national.
Il suffit d'attendre.
Les affaires reprendront bien un jour.
Comme elles auraient repris pour le Crédit Lyonnais.
Sauf qu'entre temps il est mort.
C'est cette triste histoire que j'aimerais vous raconter.

Ca se passait aux temps heureux de la Mittérandie.
Il faisait beau pendant l'été, le PS était à gauche, on nageait en plein socialisme.
L'Etat veillait à soulager les misères.
Il avait nationalisé les banques, afin qu'elles viennent en aide aux plus nécessiteux.
Chacune avait sa spécialité.

Le Crédit Lyonnais servait alors de caisse de secours pour milliardaires dans le besoin.
Il sauva les Lagardère de la faillite (après la débacle de la 5).
(On se demande ce que serait devenu Arnaud, le frère du prézydent, sans cette courageuse intervention).
Et surtout il aida quelques jeunes sans le sou, tels Bernard Arnault (aujourd'hui 13 ème fortune mondiale, et témoin de mariage de Nicolas Sarkozy) François Pinault (pas très loin derrière Bernard, et qui fait du vélo avec Nico) ou Vincent Bolloré (beaucoup plus modeste, seulement 13ème fortune française, mais maintenant qu'il prête yacht et jet au prézydent, sa situation va peut-être s'améliorer).
Sans le sou, c'est manière de parler. 
Disons pas très très riches, au départ.
Mais le système des "poulies bretonnes" (c'est à cause de Vincent qu'on les appelle comme ça : il est breton, d'origine) leur a permis d'utiliser bien plus d'argent qu'ils n'en avaient.
Comme l'expliquent les spécialistes, à l'article "poulie bretonne" :

L'exemple type  est celui de Vincent Bolloré qui en 1988 constitue une cascade de six holdings. Il détient 60% de Finfranline, qui possède 51% d'Omnium Bolloré, qui possède 51% de la Financière V (comme Vincent) qui possède 51% de Sofibol (comme Bolloré), qui possède 51% de la Financière de l'Odet, qui possède 51% d'Albatros   Investissements, qui possède enfin 40% de Bolloré Technologies (cf. Raulin et Lecadre, Vincent Bolloré, p. 111). Ce montage (...) permet à Vincent Bolloré avec 50 millions de francs, soit 1,3% du capital de Bolloré Technologies, d'avoir tout pouvoir sur un groupe de 3 milliards de francs de capitalisation boursière. (http://www.boursilex.com)

Idem pour Bernard Arnault :

Groupe Arnault contrôle 85,6% de Financière Agache, qui possède 98,6% de Bon Marché Holding, qui contrôle 58,9% de Christian Dior, qui contrôle 100% de Financière Jean Goujon, qui possède 42,5% de LVMH.

En 1991 la cascade de holding comptera 11 étages.


Ces astucieux montages permettent de dépouiller peu à peu les autres actionnaires, par des jeux d'écriture (le transfert d'actifs d'une société à une autre de la holding) ou par des rachats de capital (aux frais des sociétés elles-mêmes).

Encore faut-il trouver des pigeons consentants :

Banques et assurances viennent en minoritaires aux différents niveaux (de la holding), et acceptent ce rôle sans mettre en place des mécanismes de sortie les associant pleinement aux plus values. De façon générale ce sont principalement  les banques, alors nationalisées, et en particulier le Crédit Lyonnais et des institutions à capitaux publics qui participent à ces montages.

Le but étant de faire la fortune d'autrui.

Pour assurer la grandeur de la France.

Et lui donner les capitalistes d'envergure mondiale que cette fière nation mérite.


Il est, dans ces conditions, parfaitement compréhensible que les investissements consentis par le Crédit Lyonnais lui soient un jour retombés sur la gueule.

Une crise de l'immobilier (le CL avait beaucoup investi dans le secteur) et deux escroqueries (SASEA et MGM) plus tard (c'est dur de faire la différence entre affairistes pleins d'avenir et gibier de potence bientôt en taule), le Crédit Lyonnais était au bord de la faillite.


L'Etat aurait pu le sauver, par l'un des moyens mis en oeuvre cette année aux USA pour sauver Bear Stearns, Fanny Mae, Freddy Mac, Merryl Linch, AIG etc...

Ou simplement en recapitalisant (puisqu'il était seul actionnaire de cette banque nationalisée).


Mais cette année-là (1993) était aussi la première année de la seconde cohabitation, gouvernement Balladur.

Quand Nicolas Sarkozy était ministre du budget.

Et justement, question budget, ça n'allait pas.

Le sauvetage du Crédit Lyonnais revenait trop cher, disait-on.

(La banque avait perdu, sans espoir de retour, 15 milliards de francs).

Le PS n'insistait pas beaucoup, il cherchait encore où était l'erreur.

Et la droite voulait à tout prix la peau des nationalisations.

Ce fut, en conséquence, la défaisance qui fut choisie

(Elle consistait à mettre dans un consortium valeurs et dettes du Crédit Lyonnais, vendre les uns pour rembourser les autres, et si ça ne suffisait pas, l'Etat payait la différence)

Vidant ainsi la banque de sa substance.

Et la privatisant sans la privatiser.

Que du bonheur!

Le CDR (Consortium De Réalisation) fut constitué.

Et se mit aussitôt au travail.

Les années passèrent, discrètes.

On n'entendait plus beaucoup parler du CDR.

Quand un beau jour....

En 2000, un rapport de la Cour des comptes estimera entre 110 et 120 milliard de franc (valeur 1999) le coût de la défaisance.


Comment?

Il y avait eu des frais.

Énormément de frais.

Et surtout, les petits protégés du Crédit Lyonnais étaient repassés par là.


Je vous donne un seul exemple, Pinault, bien éclairant.

Le CDR possédait en 1995 24,5% de sa holding Artémis.

Ces 24,5% étaient alors  évalués à 6 milliards de franc.

Grand seigneur, Pinault en offrait 1.

L'affaire traine un peu.

Chirac est élu.

On propose à Pinault d'emporter le tout pour 1,5 milliards.

Il temporise encore.

Et en mars 97, catastrophe : dissolution de l'assemblée et arrivée de la gauche au pouvoir.

DSK rectifie le prix : c'est 4,1 milliards.

DSK, vous avez dit?

Ouf! vous m'avez fait peur.

J'avais cru Vladimir Oulianov.

Pinault s'exécute.

Car, à ce moment là, la part du Crédit Lyonnais dans Artémis vaut 12,8 milliards.

Pinault qui voulait à l'origine gratter 5 milliards au contribuable 

(qu'il n'est pas lui-même : il ne paye d'impôt sur le revenu que depuis cette même année 1997)

au final en extorque 8.

Pour le reste,1,5 ou 4,1 milliards, qui s'en soucie?

Pas lui, en tous cas.

Car il n'a de toutes façons pas allongé un seul centime.

C'est le Crédit Lyonnais lui-même qui lui a avancé la somme.

Emprunt qu'il remboursera peu après, avec les profits dégagés par cette splendide opération.


Ce n'était pas alors de la vente que pratiquait le CDR, mais du don.

Il lui fut difficile, dans ces conditions, de faire rentrer la thune.

On parle aujourd'hui de 20 milliards d'euros de pertes, c'est-à-dire 130 milliards de francs.

Toutes essuyées par toi, happy taxpayer.


Tu perdis aussi, cher contribuable, ta banque dans cette affaire (elle était à toi, puisqu'elle était propriété de la nation, et ce depuis 1945).

Corps et biens.

Un véritable évanouissement.

(Son nom-même a été effacé, c'est désormais la LCL, filiale du Crédit Agricole.)

Avec pour seule consolation, la satisfaction d'avoir quelques nouveaux amis.

Pinault, compagnon de cyclisme du Prézydent.

Arnault toujours là quand Nicolas se marie.

Lagardère, le "frère" du Guide.

Bolloré, qui fait du bateau (et aussi de l'avion).

Et même Nanar, le fils maudit, qui eut droit aussi à sa part de gâteau.

Tu n'es plus seul.

Car il s'agit d'amis sûrs.

Ils ont des télés, des radios, des journaux.

Ils viennent tous les jours te tenir compagnie.

Et t'aider à comprendre.

Sauf, bien sûr, quand c'est trop compliqué et qu'eux-mêmes se trompent.


Par exemple les 700 milliards de dollars de la structure de défaisance mise en place par l'administration américaine.

Ils ont peur que ça tourne à la catastrophe, comme avec le Crédit Lyonnais.

Que tout disparaisse.

Mais ils confondent, on se demande bien pourquoi.

La structure de défaisance américaine n'a pas grand chose à voir avec le CDR.

Elle a pour objectif d'aider les banques à traverser la crise.

Et non d'en déchirer une pour la distribuer aux familiers du Prince.

Ce sera, forcément, beaucoup moins douloureux.

Et, pour le contribuable, nettement moins onéreux.


5 commentaires:

Anonyme a dit…

La crise financière née aux USA c'est justement tout le gigantisme américain.
Les Français ont réussi l'exploit du Crédit Lyonnais
Aux USA, c'est 100 fois le Crédit Lyonnais.
Au jeu des plus cons, les USA, avouons gagnent souvent.

Et ce n'est que le début. (cf commentaire du directeur de la Fed et du président démocrate de la commission bancaire très pessimistes sur le plan de mesures)

Gérard Amate a dit…

Salut, cpolitics! Content de te revoir.
La différence, c'est que le Crédit Lyonnais était nationalisé et que l'Etat, qui voulait privatiser les banques, a voulu faire la démonstration de son incapacité à gérer celles-ci : plus le CL coûtait au contribuable, mieux c'était.
Aux US, il s'agit de banques privées.
On ne veut surtout pas les nationaliser : moins elles coûteront, mieux ce sera.
C'est pour cela qu'au final, la facture ne sera pas du tout la même : je ne suis pas sûr que la crise US coûtera plus cher que le CL.
Sauf, bien sûr, si le système craque (mais c'est une autre histoire).

Anonyme a dit…

salut,
J'ai lu attentivement ce que tu as écrit et c'est très intéressant.
J'ai presque tout compris en lisant mais je ne suis pas sûre, hélas, de pouvoir ré-expliquer à d'autres.
C'est vraiment calé!
Ce que je ne comprends pas toutefois - et c'est, me semble-t-il, l'essentiel de ta démonstration :( - c'est que cela coûterait moins au contribuable américain que le CL.
Sur ce coup-là, peut-être, mais je ne vois pas que la chute va s'arrêter comme cela et que les spéculateurs vont disparaître dans la nature, sans tenter de se refaire une santé.
Et, là encore, il faudra renflouer, non?
Ce n'est pas un peu le tonneau des Danaïdes, ce truc?

Anonyme a dit…

Tout pareil qu'emcee pour moi. Merci pour cet éclairage.
Dans le même genre ce truc m'a l'air passionnant aussi http://vimeo.com/1711304#5403245311911734465

Qu'en pensez-vous ?

Gérard Amate a dit…

Ben oui : 80% du pognon créé viennent des lignes de crédit accordées par les banques (et que les états reprennent à leur compte en ces temps de crise). Ceci dit, ce pognon n'est pas le même que le notre, il n'en circule que très peu dans la vraie vie : il est "placé".
Sa destruction actuelle n'est pas en soi une vraie perte. Elle n'est dangereuse qu'en raison du désordre qu'elle crée.