mardi 30 septembre 2008

Pendant La Crise, Le Fichage Continue


En rentrant de Toulon, la semaine dernière, Nicolas s'est arrêté à la maison.
Il avait le moral à plat :
-Je comprends pas, j'ai pas réussi à les bouger.
Que des UMP, pourtant! Un plein zénith!

-C'est à cause de la crise : ils ont tous du pognon en Bourse, et des soucis par dessus la tête.
-Je n'ai pourtant pas mégoté sur l'argumentaire.
-Un performance époustouflante, comme d'habitude.
-"Refonder le capitalisme", on ne pouvait pas faire mieux comme programme!
-C'est la réflexion que je me suis faite : il n'a pas peur d'enrhumer la salle.
-Et "opposer l’effort du travailleur à l’argent facile de la spéculation" , c'était pas beau, peut-être?
-J'ai failli en pleurer d'émotion.
-Et ça : "Les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage au moins sanctionnés financièrement"!
-Justement, je me demande si ça n'a pas refroidi l'assistance : faire payer les riches.
-M'enfin! Il n'en a jamais été question.
 "On ne peut pas se contenter de faire payer les actionnaires, les clients et les salariés les plus modestes en exonérant les principaux responsables."
Voilà ce que j'ai dit.
-Pour vous, les principaux responsables de ce naufrage?
-Ne sont pas les actionnaires! ça tombe sous le sens.
Pas plus d'ailleurs que les clients de ces banques d'affaires en faillite.
-Il est vrai qu'il s'agit eux aussi d'actionnaires et détenteurs de diverses valeurs boursières.
-Ce qui les innocente définitivement.
Permettez que je vous explique.
Il y a un axiome économique de base.
Lorsqu'un crime est commis, cherchez le salarié.
-Vous voulez dire que les employés de banque sont à l'origine de la crise financière?
-Je ne parlais pas, cette fois-ci, des "salariés les plus modestes".
-Ah bon?
-On les paye trop cher, mais ça ne saurait durer.
Ce sont les autres qui posent problème.
-Les patrons?
-Et cadres en tous genres.
Leurs émoluments pharamineux constituent un vrai scandale!
-En tous cas, une étrange exception dans l'univers salarial.
-Certains gagnent autant, et souvent plus qu'un actionnaire!
-C'est toute l'ambiguïté de leur situation : les stock-options en font d'importants actionnaires.
-Alors qu'en réalité ils travaillent : ils se lèvent tous les matins pour aller au bureau.
Tout ceci n'est pas normal.
-Je me souviens : "Opposer l’effort du travailleur à l’argent facile de la spéculation".
-L'argent du travailleur n'a pas à être facile.
C'est un mauvais exemple pour tous les employés.
-D'ailleurs, on en entend râler, parfois.
-Si ces messieurs ont envie de devenir riches, ils n'ont qu'à faire comme tout le monde : acheter leurs actions.
Avec de la thune honnêtement gagnée par héritage, ou dans la rente, ou avec des dividendes.
Et non par d'obscures combines salariales qui sapent l'édifice moral de notre société.
-Certes, mais comment empêcher ces abus?
-A tout problème il y a une solution (et c'est toujours la même) : envoyer la police.
C'est la raison pour laquelle je veux traquer les responsables.
-Êtes-vous certain que nos services poulaillers soient compétents en la matière?
-Qui d'autre le serait?
L'économie repose sur la confiance, et rien n'est plus rassurant que de voir la milice patrouiller trois par trois, armée jusqu'aux dents.
-Tel est en effet le génie particulier de votre prézydence : partout des keufs, bien visibles.
-Et des espions surtout, bien cachés.
-C'est-à-dire?
-Tu as déjà entendu parler de la DST, des RG?
-Fusionnés en DCRI depuis juillet dernier? 
Tout le monde en parle, à cause de la réunion de leurs fichiers : EDVIGE.
-Pas EDVIGE, EDVIRSP.
-Moi aussi j'ai un clavier qwerty, ça me joue des tours.
-Meuh non! 
C'est la différence entre RG (le G d'EDVIGE) et DST (le S d'EDVIRSP).
Les Renseignements Généraux, tout le monde râlait d'être fiché.
La DST, plus personne ne l'ouvre : Défense et Sécurité du Territoire.
-Il est vrai que la DCRI est dirigée par l'ancien patron de la DST.
-Je ne te le fais pas dire.
Et la DGSE, la DRM, la DPSD, tu connais?
-J'ai, comme tout le monde, vu "Le Caire, Nid d'Espions".
-Ces différents services secrets étaient autrefois coordonnés, avec la DCRI, au sein du SGDN (Secrétariat Général de la Défense Nationale)
-Un peu de solidarité ne fait jamais de mal.
-Sous l'autorité du Premier Ministre.
-Quoi de plus naturel qu'un contrôle du Parlement sur toutes ces activités?
-Et bien, c'est terminé.
Depuis la réforme de la Constitution, le contrôle final dépend de l'Elysée.
-Cette réforme n'avait-elle pas pour objet de donner plus de pouvoir au Parlement?
-Le patron s'appelle Bernard Bajolet, coordinateur des services de renseignements auprès du président de la République.
-Du moment qu'il ne fait que coordonner...
-On a viré tout le monde, à la DRM, à la DPSD, à la DGSE.
On a remplacé les dirigeants.
-Ah bon?
Mais le rapport avec la crise financière?
-Le 7 septembre, on a aussi viré Francis Werner, directeur de Tracfin.
-Tracfin?
Mais n'est-ce pas ce courageux commando de fonctionnaires intègres qui avait découvert le scandale de l'Uimm?
Ne me dites pas qu'ils font eux aussi partie des services secrets!
-C'est Bernard Bajolet qui en a la supervision.
-Mais enfin, pourquoi virer Francis Werner? 
Ne donnait-il pas satisfaction?
-Francis a été efficace, rapide et obéissant.
J'ai pris mes fonctions le 16 mai 2007. 
Le 15 juin 2007, Tracfin bouclait, après l'avoir déterré, le dossier de l'Uimm, en attente depuis 3 ans.
On ne peut pas lui reprocher d'avoir traîné.
-Mais alors, pourquoi?
-Je trouve que le nouveau fait plus sérieux.
Jean-Baptiste Carpentier est économiste et magistrat (anti-terroriste, je te rassure).
Alors que Francis était moniteur de tennis (mais aussi énarque, ne t'affole pas).
C'est tout de même mieux maintenant.
Et puis, de toutes façons, l'affaire de l'Uimm est terminée.
-Je croyais qu'elle était toujours aux mains des juges.
-Elle n'avait pour objet que de me soumettre Medef et syndicats.
Maintenant que c'est fait, il est temps de passer à autre chose.
Tu vois en tous cas que rien ne m'échappe.
j'ai les moyens d'agir.
-Sur la crise financière, par exemple?
-Franchement, est-ce qu'il y a écrit sur mon front Réserve Fédérale Américaine ou Banque Centrale Européenne?
-Je dois reconnaître que non.
-Est-ce pour cela que les Français m'ont élu?
-C'est plutôt, en effet, pour les protéger des Arabes.
-Et des Arabes, il n'y en a pas que dans les HLM.
Il y en a partout.
-Vous n'exagérez pas un peu?
-Tu n'as jamais entendu parler des pétro-dollars, ces devises barbues qui passent leur temps à réciter le Coran et à taguer les cages d'escalier?
-Vous croyez?
-C'est la raison pour laquelle j'ai mis de la police partout, en banlieue, dans les cités, dans l'administration, les journaux, les radios, les télés, au Medef et dans les syndicats, au PS et à l'UMP, au milieu des gens comme parmi les comptes en banques, tout le monde est fiché, EDVIGE, EDVIRSP ou CRISTINA.
Et je m'en occupe personnellement.

(Le prézydent fut pris d'un rire sardonique) :
-D'un geste, je détruis qui je veux.

-Et vous croyez que ça sert à grand chose?
-En tous cas, ça fait du bien.
-Non, je veux dire : vous croyez que ça sert à grand chose dans la crise actuelle?
-C'est primordial : l'actionnaire a d'énormes besoins de sécurité.
-Et si malgré tout, cela ne suffisait pas?
-Regarde un peu l'ex-URSS.
Tout a sombré.
Mais pas la police, qui était un modèle du genre (et une source d'inspiration pour toutes les polices du monde).
Elle a sauvé l'essentiel : elle-même.
Et tout s'est arrangé.
Elle dirige de nouveau la Russie.
-Mais la Russie est une dictature!
-Un césarisme, n'exagérons rien.
Comme Bonaparte, comme De Gaulle.
Comme Moi.
Je suis, en ma qualité de prézydent, en charge de l'essentiel :
moi-même.
Je ne faillirai pas à mon devoir.

Et sur ces bonnes paroles, le prézydent s'en fut vers d'autres aventures.

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