vendredi 14 décembre 2007

L'Ogre


Je ne sais pas si vous savez, mais il paraît que le mot «ogre» vient de «hongrois» (ou peut-être d'orcus, l'enfer, en latin).

Car les hongrois, les huns, comme plus tard les mongols, avaient la réputation de manger les enfants

On rôtissait énormément le vaincu, à l'époque.

Par exemple, à la Première Croisade, lors du siège d'Antioche, les croisés s'étaient un peu nourri des paysans du coin qu'ils avaient rencontrés.

C'est du moins ce que racontent les chroniqueurs arabes.

(Les chroniqueurs chrétiens disent, eux, qu'ils avaient seulement fait semblant de les manger, pour décourager les assiégés.)

Pour en revenir aux Hongrois, ils sont comme nous : même si leurs ancêtres ont parfois donné dans l'anthropophagie, il s'agit aujourd'hui de gens calmes, parfaitement civilisés.

On leur doit le goulash, le paprika, et surtout (c'est mon préféré), Franz Liszt.

Ils vivent pacifiquement, sur les bords du Danube ou du lac Balaton, entourés de voisins qu'ils n'effraient plus du tout.

Tel n'est pas le cas des ogres.

Les ogres font toujours peur, spécialement aux enfants mais aussi à de nombreux adultes.

L'ogre ne s'est absolument pas arrangé avec le temps.

De temps en temps, c'est la surprise, on ouvre le journal, et l'on apprend qu'Untel a dévoré sa voisine, ou ses parents, ou des touristes qui passaient par là.

La plupart du temps, il s'agit d'individus tout à fait normaux, avec un travail, une maison, un frigo, sauf que lorsque la police vient ouvrir le frigo, elle y trouve du fémur d'enfant, de la tête de blonde ou du cuissot de vieille.

Prenez Nicolas Sarkozy, par exemple.

Il est petit, il a l'air gentil, il a un bon boulot.

Qui donc aurait pu soupçonner qu'il se nourrit de chair humaine?

C'est pourtant le cas.

Déjà pendant les élections présidentielles (il était ministre de la police, à l'époque).

Cesare Battisti, l'écrivain, l'ancien gauchiste.

L'Italie le réclamait, pour un séjour à perpète en prison.

Lui, il était au Brésil (car en France, on lui avait supprimé l'asile politique).

Donc, ça ne nous regardait plus.

Et bien Nicolas avait téléporté ses keufs jusqu'à Rio de Janeiro pour attraper Cesare et le mettre au frigo.

Devant lequel aboyaient pas mal de journalistes et les chiens affamés de Jean-Marie Le Pen.

Aussitôt élu, Nicolas s'est jeté sur Sonja, Marina, Christian, tous réfugiés politiques, qu'il conserve au frais, à Fresnes ou la Santé.

Pour offrir aux voisins, l'Allemagne ou l'Italie (Nicolas a le coeur sur la main).

Nicolas n'est pas égoïste, il pense d'abord aux autres, à tous ceux qui ont faim.

Mais il faut bien qu'il se nourrisse, lui aussi.

Lui, il s'était réservé Yvan Colonna.

La gourmandise est le vilain défaut de notre président.

En effet (il faut que je vous dise), les ogres d'aujourd'hui mangent de moins en moins d'enfants, dont la chair est si tendre.

L'évolution des moeurs a peu à peu rendue taboue la viande des petits innocents.

Faute de mieux, l'ogre moderne se rabat sur d'autres innocents, de plus ou moins bonne qualité.

Battisti, par exemple, se prétend innocent, mais il a été jugé par contumace et n'a pu se défendre, on ne peut donc pas savoir s'il est vraiment innocent, on est dans le brouillard.

Christian et Sonja offrent encore moins de garanties.

Certes, ils sont en prison et crient leur innocence, mais pour un crime qui n'a même pas encore été jugé.

Comment savoir s'ils sont assez tendres?

Tandis que Colonna, ça c'est du premier choix.

Pour autant qu'on puisse faire confiance à la justice française, le doute n'est pas permis, tout a été examiné, dans un procés qui a duré plusieurs semaines.

Aucune preuve matérielle, aucun témoin qui le reconnaisse (et le seul témoin qui ait vu de très près l'assassin fut catégorique, il ne s'agissait pas d'Yvan Colonna); le seul expert cité, le médecin-légiste, dédouane Colonna, lequel (pour l'anecdote) avait en plus un alibi.

Vous me direz que, pendant quatre semaines, le tribunal a demandé au prévenu de faire la preuve définitive qu'il était innocent, et qu'il n'y est pas tout à fait arrivé.

Je ne veux pas ergoter, genre c'est à l'accusation de faire la preuve de la culpabilité, et non à l'accusé celle de son innocence.

Mais je te ferai remarquer, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère, que toi non plus tu ne peux pas faire la preuve que tu n'as pas tué le préfet Erignac, et moi-même, j'ai des doutes à mon sujet, car il m'arrive parfois de ne pas me souvenir du tout de ce que j'ai fait la veille, surtout les samedis et dimanches matins, vers midi.

L'innocence est difficile.

Plus difficile à prouver que tout le reste.

On ne peux jamais être sûr de la qualité de la viande (à part quand il s'agit de bébés nouveaux-nés).

Nonobstant cet incontournable bémol, Yvan Colonna présentait les meilleures garanties de fraicheur qu'on puisse imaginer.

Ce qui n'avait pas échappé à l'oeil exercé de notre président : n'avait-il pas jeté son dévolu sur ce rare gibier quatre ans avant qu'il soit jugé (lorsque, ministre de la police, il avait considéré l'affaire bouclée avec l'arrestation de Colonna)?

La police, dont il était l'idole, a su lui préparer cette proie désirée.

La cour d'assises spéciale, réputée pour ses spécialités, la lui a mitonnée comme elle sait le faire.


Un détail choque encore, dans toute cette histoire, c'est la composition de cette cour d'assises.

Elle est sans jury, sept juges professionnels en tiennent lieu, déploiement extraordinaire de fonctionnaires à l'heure où justement on cherche à en réduire le nombre.

Or ces juges ont condamné Colonna, sans preuve, en s'appuyant uniquement sur leur intime conviction.

On comprend qu'ils aient voulu faire plaisir, et ça nous rassure tous que Nicolas Sarkozy ait si bel appétit, c'est un signe de santé.

Mais ne pouvions-nous lui offrir un aussi bon repas sans faire tant de dépenses?

Est-il nécessaire de faire de longues études de droit pour en définitive juger d'après d'intimes convictions?

A-t-on vraiment besoin pour cela de faire appel à des spécialistes?

Pour ce qui est des convictions, nous sommes en république, toutes sont légitimes, du moment qu'elles ne sont pas criminelles.

Je suis persuadé que sept Sdf triés sur le volet auraient parfaitement fait l'affaire.

Ils se seraient contentés du vivre et du couvert pendant quatre semaines, avec en prime quelques billets de 20 euros, pour les récompenser d'un jugement mené à bonne fins.

Colonna ne s'en serait pas plus mal porté.

Le président se serait tout autant régalé.

Et le budget de l'Etat en aurait été soulagé.

1 commentaire:

Tim a dit…

J'ai toujours trouvé choquant que Sarkozy juge Colonna publiquement, via les médias, avant l'issue du procès. Mais j'ai jamais compris pourquoi il le faisait. Je veux dire, c'est clair qu'il est influent s'il le veut et que la suprématie de la justice s'en est pris un coup (c'est pas son année, soit dit en passant). Mais quel intérêt Sarkozy peut-il avoir à foutre son nez dans cette affaire?