vendredi 19 octobre 2007

La Caisse Noire


Mardi 16/10, Laurence Parisot se faisait sévèrement tacler par Yvon Gattaz.

C'était le jour où Les Echos sortaient l'info, à propos de la caisse noire de l'IUMM (alimentée, croyait-on, à hauteur de 5,64 millions d'euros, retirés en liquide, ces 6 dernières années, par Gautier-Sauvagnac), dont voici deux extraits :

A la fin des années 1990, il se disait dans l'entourage de Jean Gandois, puis d'Ernest-Antoine Seillière, que son montant (celui de la caisse noire) atteignait 1 milliard de francs, soit un peu plus de 150 millions d'euros. Aujourd'hui, il s'agit d'un portefeuille dont la valeur de marché s'élève à 160 millions d'euros.

Ouch!

Mais ce n'est pas tout. La cagnotte de l'UIMM se compose d'autres fonds dont la valeur comptable se chiffre en centaines de millions d'euros supplémentaires.

Re-ouch!

Il ne s'agit pas d'un bricolage (on en est aujourd'hui à 800 millions d'euros).

Laurence, qui n'avait pas caché tout ignorer de l'IUMM («le Medef est totalement étranger à cette affaire. L’UIMM n’est pas une filiale, mais un adhérent parmi 600 autres, et il n’y a aucun lien de tutelle entre les deux»), se dit alors stupéfaite de ce qu'elle découvrait en même temps que nous : "Cette affaire et ces révélations, ça me fait l'effet de la révélation d'un secret de famille. C'est quelque chose que nous ignorions totalement pour l'UIMM et que sûrement nous ignorons pour d'autres".

Aussi sec, Yvon Gattaz (l'un de ses prédécesseurs à la présidence du patronat) se fendait d'une interview à France-Inter, où il déclare que l'argent "donné de la main à la main" par le patronat avait toujours été un mode de "financement normal" des syndicats.

"Il faut appeler un chat, un chat. (...) Il était de tradition dès 1884 qu'il y eût une caisse qui alimentait les syndicats"

"Ce n'était pas arroser pour peser [dans les négociations salariales], c'est un financement normal"

Ce faisant, il fait un sort aux hypothèses des médias, pas pressés de dénoncer les relations illégitimes qu'entretiennent syndicat patronal et syndicats de salariés.

Et qui, après avoir parlé de malversations individuelles, ont évoqué une caisse de secours pour soutenir les patrons victimes de grève, ou le financement de partis politiques : selon Gattaz, l'utilisation de la caisse noire comme caisse de secours a été marginale, et elle ne sert plus depuis longtemps à financer les partis politiques.

Yvon Gattaz n'est pas un rigolo.

Président du CNPF de 81 à 86, dirigeant syndical le plus reçu par François Mittérand (« L’histoire jugera sans doute, écrit Yvon Gattaz, que les socialistes, partis en 1981 pour terrasser les patrons, les ont partiellement épargnés et ont terminé en 1986… en ayant terrassé les communistes »), unique leader patronal à être de l'Institut et, pour finir, président d'honneur du Medef, Yvon Gattaz jouit d'un respect particulier, qu'il a trouvé utile d'envoyer dans les dents de Laurence Parisot.

(Pas au courant?

L'IUMM, un adhérent parmi 600 autres?

Et l'Histoire, tu la connais pas, non plus, Laurence? Ecoute donc Onc'Yvon) :

Tout commence il y a 143 ans, en 1864, Napoléon III est empereur, il a un faible pour les ouvriers.

Cette année-là, à Londres, Karl Marx fonde l'Association Internationale des Travailleurs, et à Paris, la loi Ollivier supprime le délit de coalition et de grève.

Aussitôt, les maîtres de forges créent le Comité des forges, premier syndicat patronal français.

1884 : loi Waldeck-Rousseau, encadrant le syndicalisme.

1886 : Création de la FNS (Fédération Nationale des Syndicats), d'inspiration guesdiste.


1887 Création des premiers syndicats chrétiens (qui deviendront la Cftc puis, en 1964, la Cfdt)


1892 : Création de la Fédération des Bourses du travail


En 1895, la CGT se constitue, à partir de la FNS et des Bourses du travail.

En 1901, le Comité des forges agrège d'autres industries et devient l'IUMM.

En 1902, l'échelon confédéral de la CGT devient opérationnel.

En 1919, création de la CFTFC, bénie par l'Eglise et protégée par le patronat.

En 1940, l'IUMM est dissoute par Pétain.

A la Libération, le gouvernement demande au patronat de créer le CNPF (devenu Medef en 1998).

(En 1948, éclatement de la CGT, avec la constitution de FO et le départ de la FEN.)

Et c'est ainsi que jusqu'à Laurence Parisot, le CNPF puis le Medef ont été dirigés par des membres de l'IUMM, qui est au centre et à l'origine du syndicalisme patronal.

Cette statisticienne (elle est PDG de l'Ifop) aura donc du mal à nous faire avaler que l'IUMM ne représente qu'1/600 ième du Medef, lequel aurait ignoré des pratiques remontant sans discontinuer, selon Gattaz, au XIXé siècle.

Le premier souci du syndicalisme patronal a toujours été de détruire et corrompre le syndicalisme ouvrier, en lui suscitant des concurrents tels que la CFTC-CFDT, en soutenant toutes les scissions, telle celle de FO, et en créant des syndicats-maison, telle la défunte CSL qui régnait autrefois dans les usines de Peugeot, Citroën et Simca.

Et le tout avec une remarquable constance : le paysage syndical français est aujourd'hui le plus éclaté d'Europe, et le taux de syndicalisation parmi les plus bas.

On ne saurait dire que cette activité singulière du syndicalisme patronal en constitue un aspect marginal (qu'on pourrait ignorer, donc) : elle est au coeur de sa stratégie.

Toutefois, ce n'est pas sous cet aspect que les medias ont d'abord envisagé l'affaire Gautier-Sauvagnac. On a longtemps espéré qu'il s'agisse d'une banale escroquerie, et l'expression «détournement de fonds» est encore employée à ce sujet.

Il a fallu «Les Echos» (qui n'appartiennent pas encore à LVMH et restent, pour l'heure, indépendants) pour révéler qu'il n'était pas question de 5,64 M d'euros, ni 15, ni même 20, mais de centaines et, pour démarrer, 160.

Quand on en arrive à de tels chiffres, on quitte le domaine de l'escroquerie pour entrer dans celui des affaires.

C'est bien ainsi que l'entendent dorénavant les médias, qui abandonnent l'hypothèse criminelle, et posent respectueusement la question qui tue, non pas celle de la vénalité des syndicats, mais celle d'une réforme de leur financement.

En gros, la thèse est la suivante : les syndicats sont irréprochables, mais à la base, il y a des problèmes de fonctionnement, de financement (et des petits arrangements).

Je vous laisse déguster l'interview d'un spécialiste de ces questions :

Dominique Andolfatto - Auteur des « Syndicats en France » (La Documentation française, 2007).

A quoi peut servir l'argent secret de l'UIMM ?

Le plus probable est que cet argent soit d'abord utilisé par des patrons pour financer des interlocuteurs syndicaux réceptifs. Un patron a besoin d'un représentant syndical, de quelqu'un à qui parler. Il n'y a rien de pire pour lui que les grèves sauvages, où personne n'accepte de discuter. Dans le privé, rien n'est prévu pour financer ces permanents. Le système de l'UIMM sert sans doute à faire vivre ce « dialogue » dans la métallurgie. Même si, vu l'importance des sommes, on ne peut écarter l'hypothèse que des fonds soient allés vers des politiques ou des organisations syndicales.

Financement d'individus, donc? Et pas d'organisations?

Doumé Andolfato a peut-être l'habitude d'être salarié au black et en cash, mais tel n'est pas le cas des permanents syndicaux : ils sont rémunérés par le syndicat ou l'entreprise, et la thune leur arrive par virement bancaire.

Si le cash de l'IUMM sert à les payer, il doit alors, nécessairement, transiter par les syndicats.

N'imaginons pas, bien sûr, que les archontes de l'IUMM et du MEDEF qui courent aux medias défendre Gautier-Sauvagnac le font par amour de la justice et de la vérité. Ils le font parcequ'ils sont mouillés jusqu'au cou dans cette affaire, et n'ont pas envie de finir leurs jours dans une peau de bouc émissaire.

A part ça, l'omerta reste de règle.

Ils demeurent évasifs quand aux détails de ces financements qu'ils évoquent.

Mais il arrive qu'un journaliste leur tire quelques vers du nez, au détour d'une question vicieuse, comme dans l'interview fameuse où Daniel Devawrin (de l'IUMM) avait affirmé que la caisse noire servait à « fluidifier les relations sociales », et à rien d'autre :

D'où proviennent ces fonds ?

Cet argent est constitué par des cotisations volontaires et supplémentaires, il ne s'agit en aucun cas des cotisations annuelles des adhérents. Au-delà de leurs cotisations normales, ces adhérents, uniquement des entreprises, versaient d'autres cotisations, dûment déclarées – et pas en espèces – sur un compte bancaire, pour contribuer à la mission de l'UIMM. Ces sommes n'ont absolument rien d'occulte, ce n'est pas de l'argent sale, et les retraits eux-mêmes n'ont rien non plus d'occulte.

Les contributeurs étaient-ils des constructeurs automobiles pour l'essentiel ?

Pas pour l'essentiel, n'importe quel adhérent pouvait contribuer. Faurecia que j'ai eu le privilège de présider pendant des années, a été l'un d'entre-eux.

Comme Faurecia est un équipementier automobile appartenant à Peugeot, on voit que le contre-exemple de Devawrin ne va pas pisser loin.

On peut supposer que ces généreux contributeurs à la caisse noire de l'IUMM avaient eux-mêmes quelques besoins de fluidification sociale dans leurs entreprises.

Ainsi, on ne peut que féliciter Renault des progrès faits dans ses usines par des syndicats (ici) clientélistes : FO est devenue à Flins, aux dernières élections professionnelles, la première organisation syndicale tous collèges confondus (45,40%) (ça doit les changer de la CGT) quand au Technocentre de Guyancourt (9700 personnes) la CFE/CGC a remporté 6 sièges sur les 13 à pourvoir, devenant même en cumul des voix, tous collèges confondus, la première organisation syndicale du Technocentre.

L'ennui, avec le clientélisme, c'est qu'il coûte (enfin tout est relatif, il coûte quand même moins cher qu'une grève sauvage).

De la même façon, Peugeot a trouvé une terre d'accueil pour les milices autodissoutes de sa CSL (autrefois 42,5 % des voix) : il s'agit de FO, avec laquelle la CSL a fusionné. Gageons que ces nouveaux adhérents ne sont pas arrivés les mains vides chez leurs camarades (qui ont risqué leur réputation en leur offrant asile, ça vaut bien une petite compensation).

Comme on voit, le syndicalisme français se bonifie de tous côtés.

Sa domestication avance.

Sa légitimité s'accroit.

On va pouvoir tourner la page.

Comme dit Laurence Parisot

"Je propose aujourd'hui d'ouvrir rapidement une phase de délibération sociale" entre organisations patronales et syndicales qui devra inclure ces critères : "la transparence, le financement, la représentativité et l'espace contractuel", "il faut abandonner le concept de l'entreprise assiégée (...) et embrasser totalement l'idée d'une entreprise ouverte". "Nous revendiquons clairement pour toutes les organisations la gouvernance démocratique et la transparence financière", a-t-elle ajouté. "C'est à ce prix que nous passerons dans la nouvelle ère que nous appelons de nos voeux", une nouvelle ère "pour toutes les organisations syndicales et les ONG également, c'est-à-dire pour tous ceux qui prétendent contribuer à l'élaboration de l'intérêt général", a dit la présidente du Medef.

Reste un problème : qui pour présider l'ONG « Syndicats de France », maintenant que l'abbé Pierre est mort?

Bernard Kouchner?

(A suivre...)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article qui fait bien la différence entre syndicats d'initiatives patronales et vrais syndicats.

Toutefois, je me demande si ces méthodes n'appartiennent pas au passé. Et je me demande si la caisse noire n'avait pas ses dernières années un rôle beaucoup plus simple.

Il ne faut pas oublier que les "organisations patronales" ne rassemblent pas des personnes mais des entreprises. Or, la comptabilité des entreprises est relativement bien contrôlée.

Que penser d'un système qui permet de transférer légalement de l'argent depuis la comptabilité des entreprises vers une organisation qui n'est pas tenue de publier sa comptabilité ?

L'UIMM mieux que la Suisse ?
--
Jean Ploi

Gérard Amate a dit…

Il existe en effet de vrais syndicats, mais je n'en dirais pas autant des confédérations, qui ne se vivent pas comme des contre-pouvoirs, mais comme des participants au pouvoir.
Ton idée d'une IUMM-Suisse est drôle et pertinente : ceci dit, une entreprise bien gérée ne fait jamais de bénéfice.