dimanche 12 août 2007

Nîmes et Nerval



En arrivant à Nîmes, il pleuvait.
Ces choses-là n'arrivent qu'à moi.
Et je me mis aussitôt à penser à Nerval (dont les liens avec la Rome française ne sont pas minces).
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:Ma seule étoile est morte, - et mon luth constelléPorte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
etc...etc...
A propos, je me suis livré à une petite enquête concernant ce sonnet, et je n'hésite pas à vous en livrer le détail.
Vous savez peut-être qu'on se demande encore ce que Nerval a bien pu vouloir y dire. Métempsycose? Alchimie? Description de gravures? Déjantage complet? (il faut dire que le doux Gérard était déjà bien allumé lorsqu'il l'a publié, deux mois plus tard il se suicidait)
Les commentaires académiques sont cependant d'accord sur un point, le premier quatrain est noir : le ténébreux (noir), le prince d'Aquitaine (le prince Noir), étoile morte (lumière noire), soleil noir (no comment), mélancolie (du grec melos, noir).
Pour veuf, ils trouvent le deuil en noir, et inconsolé un truc du genre broyer du noir, explications qui m'ont semblées assez faibles.
J'empoigne donc le dictionnaire éthymologique de Dauzat et je vais à inconsolé : il n'y a rien. Et guère plus à consoler, sauf le latin consolare.
Je cours au dico de latin, pas grand chose non plus : consolare = consoler.
D'autres, à ce stade, auraient abandonné, mais j'étais né pour vendre des aspirateurs au porte-à-porte : j'insiste.
Je cherche donc à solare. Bien entendu, le mot n'existe pas (habituelle déception!) mais je rencontre de suite solari = consoler, avec dans la foulée solacium ou solatium = consolation, et surtout solatio = exposition au soleil.
Enfin une piste!
Est-ce la bonne? L'accentuation est la même pour solatio et solatium (avec un a long), il sont donc de même origine. Reste un problème (car lorsqu'on n'y connais rien tout fait problème), la racine commune est soit sol (le soleil), soit solus (le sol): dans un cas c'est gagné, et dans l'autre perdu.
Je retourne à solari et bingo! Je trouve l'expression latine solari lacrimas = sécher les larmes. C'est bien le soleil!
Donc inconsolé, ce n'est pas être d'humeur sombre, mais être privé de soleil.
Et consolé, (ramené) au soleil.
Du coup, je refais un petit tour chez Dauzat pour veuf, qui est quand même bizarre, entre ses deux tirets (pourquoi?), et veuf = vide, privé de. Expression incomplète, d'où les tirets.
Tout marche : on peut lire
Je suis le ténébreux, - le privé de, - le privé de soleil
et plus loin
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as (amené?) le soleil.
Tandis que constellé est la même chose, en plus froid et en moins lumineux, que consolé, puisqu'il s'agit d'étoiles à la place du soleil.
Du coup, le quatrain n'est plus tout noir, mais noir et blanc : Nerval y parle de mort et renaissance (ou résurrection? errance aux enfers?), en tous cas pas strictement de deuil.


EL DESDICHADO
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:Ma seule étoile est morte, - et mon luth constelléPorte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,La fleur qui plaisait tant à mon coeur désoléEt la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus?... Lusignan ou Biron?Mon front est rouge encor du baiser de la reine;J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron:Modulant tour à tour sur la lyre d'OrphéeLes soupirs de la sainte et les cris de la fée.


Quel rapport avec Nîmes? me direz-vous.
J'y viens.
Orphée est allé rechercher chez Hadès Eurydice.
Nerval traverse deux fois l'Achéron, fleuve-frontière des enfers, pour chercher tour à tour deux gonzesses, la sainte et la fée (la pute, si vous voulez). N'y voyez rien de symbolique.
Il s'agit des deux femmes de sa vie, Adrienne d'abord (à peine entrevue), puis Aurelia (qui lui rappelait Adrienne), évoquées dans Les Filles Du Feu et Aurélia, et décédées, quand à leurs modèles, en 1840 et 1842.
Il les avait vraiment revues : il avait des hallucinations, et protestait à ce sujet qu'il n'était pas aliéné mais poète.
C'est Adrienne le rapport avec Nîmes.
En débarquant du TGV, on tombe sur l'Avenue Feuchères, qui va de la gare aux arènes, belle voie carrossable, deux promenades, deux contre-allées, hôtels, préfecture, commissariat central, collège de jeunes filles, bref l'artère de prestige de la ville au XIXè siècle.
D'ordinaire, ces avenues portent des noms de grande classe, genre Victor Hugo, Gambetta ou De Gaulle.
Vous avouerez que Feuchères, ça laisse songeur.
Une gloire locale?
Pas du tout, il s'agit d'un parisien. Le général-baron Adrien de Feuchères est né et mort à Paname.
Mais il a en connu la disgrace d'être nommé à Nîmes, après avoir fait partie du gratin, à l'état-major du prince de Condé.
Et en définitive il a fini par s'y plaire, dit-on.
Le dernier des Condé, père du duc d'Enghien, avait passé la Révolution et l'Empire dans des pays circumvoisins de la République régicide.
En Angleterre, il s'était épris d'une miss à la cuisse légère qui répondait au doux nom de Sophia Dawes.
Il l'avait faite éduquer et il l'avait ramené en France au moment de la Restauration.
Problème cependant : comment se faire accompagner d'une pute à la cour sans trop scandaliser?
Le prince est aussi général : il avise un traineur de sabre assez bas de plafond pour avaler les pires bobards (il s'agit de Feuchères), et l'enfume à propos d'une fille naturelle à lui qu'il veut absolument marier (Sophia, donc). Affaire conclue : mariage et jolie dot (1818), titre de baron (1819), Adrien devient aide de camp du prince (1820), et la baronne de Feuchères ne quitte plus son vieux papa qui la présente à la cour.
Condé est à l'époque l'homme le plus riche de France, et Sophia devient une reine du tout-Paris.
En 1822, catastrophe! Feuchères apprend que son épouse n'est pas de sang royal, mais une ex-prostituée, et qu'elle est la maîtresse du prince de Condé. Il prend très mal la chose, rend la dot (1824), se sépare officiellement (1827), fait du scandale, et finit par atterrir à Nîmes (1835).
A Paris, Condé défend comme il peut sa chère Sophia, il l'arrose de pognon, de châteaux, de titres nobiliaires, pour elle et sa famille. On l'admet de nouveau à la cour.
Enfin, en 1830, elle hérite, 2 millions et une demi-douzaine de châteaux, car le prince est mort.
On l'a retrouvé pendu à l'espagnolette d'une fenêtre dans une pièce fermée de l'intérieur.
S'agit-il vraiment d'un suicide?
Les pieds touchent le sol, le noeud n'est pas serré.
Un policier démontre qu'avec une ficelle on peut, de l'extérieur, tirer le verrou de la porte.
Sophia est inculpée de meurtre.
Le roi (Louis-Philippe) est également soupçonné : son fils, le duc d'Aumale, est héritier principal du dernier des Condé, avec 60 briques et le domaine de Chantilly.
Dans ces conditions, l'affaire est classée sans suite, et la version du suicide entérinée.
(Il s'agissait probablement d'un jeu sexuel qui avait mal tourné, et que Sophia avait cru utile de maquiller en suicide pour éviter les emmerdes.)
En 1840, la belle calanche à son tour, et son veuf, Adrien de Feuchères, hérite de sa fortune.
Il a toujours la haine.
Il ne veut toucher à l'argent du vice et du crime.
C'est Nîmes qui en profitera.
Il couvre la ville d'oeuvres pieuses ou charitables, l'Evéché, le Consistoire, l'hospice, l'hôpital, l'église Ste-Perpétue, les orphelins de l'armée et les victimes des inondations, tout est bon pour dépenser la thune péniblement gagnée avec ses fesses par Sophia.
Les nîmois n'en reviennent pas d'être tombés sur un tel Père Noël, et lui élèvent une statue de son vivant. A sa mort, aucune hésitation, c'est l'avenue de la gare qui portera son nom.
Parmi les châteaux dont il avait hérité se trouvait la résidence ordinaire de la baronne Adrien de Feuchères, à Mortefontaine.
Nerval habitait la maison d'à côté, et c'est dans le parc du domaine qu' il l'avait aperçue et frolée : Adrienne, sa première émotion amoureuse. Toute sa vie, il en a poursuivi le fantôme.
Peut-être est-ce encore elle dont il parle, dans ce château sous Louis XIII
Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;
Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que, dans une autre existence peut-être, J'ai déjà vue... et dont je me souviens !
En janvier 1855, Nerval laisse un mot pour sa tante, qui l'hébergeait à Paris :
« Ne m'attends pas ce soir car la nuit sera noire et blanche. »
Le lendemain, on le retrouva pendu à la grille du soupirail d'un bouge. Ses pieds touchaient presque le sol et il avait utilisé un cordon de corset.


Au fait, dernier détail, concernant El Desdichado : Lusignan était marié à la fée Mélusine, originaire de Grande-Bretagne, et qui avait été transformée en sirène (ou dragon) en punition du meurtre de son père, le roi. Elle est aussi la Dame Blanche, annonciatrice de mort.

4 commentaires:

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