jeudi 3 juillet 2008

Naboleon Sarcosi



La dernière fois que je suis allé à l'Elysée, c'est Brice qui m'a reçu.
Nicolas était là, mais perdu dans ses pensées.
Il avait la main droite glissée dans son gilet, au niveau de l'estomac, la main gauche derrière le dos, et faisait les cent pas au fond de la pièce, l'air agité.
Il portait sur la tête un drôle de petit chapeau, fait d'une feuille de journal pliée en triangle (Libération, je crois).
-C'est étrange, ce journal sur la tête...
ça lui arrive souvent?
-De plus en plus fréquemment, ces derniers temps.
Je dois avouer qu'il m'inquiète.

Nicolas avait découvert un balai dans un placard, et s'était mis à le chevaucher.
-On dirait Napoléon à la bataille d'Austerlitz, remarquais-je.
-Le Prézydent a beaucoup d'admiration pour son arrière-grand-oncle, l'Empereur.
-Son oncle? Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
Tout le monde sait que les Sarkozy...
-Sont Corses.
Vous l'ignoriez?
-Tout autant que leur parenté avec les Bonaparte.
-A vrai dire, il ne s'agit pas d'une parenté officielle.
-Je me disais aussi...
-Elle n'en est pas moins incontestable.
Cela remonte à quelques temps, déjà.
Aux alentours de l'année 1768...
-Oulala, vous n'allez pas me faire un cours d'histoire...
-Si ça ne vous intéresse pas, j'arrête tout de suite.
-Je vous en prie, poursuivez.

-En 1768, disais-je, les Sarcosi (de Naghi-Bogsa, près d'Ajaccio) étaient extrêmement liés avec les Buonaparte (eux-mêmes d'Ajaccio).
Carlo Buonaparte (le père de l'Empereur), bien qu'il fût déjà marié, était tombé amoureux de Nicola Sarcosi (une (petite) brune piquante qui n'avait pas 20 ans).
Elle devint sa maîtresse.
De cette liaison naquirent deux garçons.
L'ainé, Nabulione, eut le destin que vous savez.
(Letizia Buonaparte, tenue dans l'ignorance des infidélités de son mari, n'a jamais su que cet enfant n'était pas d'elle).
Le cadet, Fantutte, fut élevé par sa mère.
Il fit une carrière de chanteur d'opéra.
Sarcosi Fantutte se produisit à Paris, New-York, Londres (non, pas Londres), Milan, Vienne et Budapest, où il se fixa.
C'était le trisaïeul de Pal Sarkosy qui, fuyant le communisme en 1945
(Pal fut atrocement supplicié par les bolcheviques),
se réfugia à Paris, où est né Nicolas.
Le reste, vous le devinez sans peine.
-Pas vraiment.
-C'est pourtant simple.
Depuis quelques années Nicolas développe les potentialités inscrites à son patrimoine génétique.
Le plus souvent, cette évolution se produit sans à-coups.
Parfois, c'est par crises, comme vous pouvez le constater aujourd'hui.
-Admettons.
Etes-vous bien certain que le Prézydent descend réellement de Charles Bonaparte?
-Le doute n'est pas permis.
Brice courut à un tiroir, et en extirpa un vieux papier jauni.
-Voyez vous-même.
C'était l'acte de naissance original de (je cite)
Talonnettycz Sarkozy (notez la magyarisation du patronyme, déjà),
fils de Fantutte Sarkozy , artiste lyrique,
neveu de Napoléon Premier, Empereur des Français,
trisaïeul de Nicolas Sarkozy, "Elnöke a Francia Köztársaságnak"
(Président de la République Française).
Fait ce jour, 16 janvier 1820, à Budapest
etc... etc....

Brice triomphait :
-D'ailleurs, leur ressemblance est tout à fait frappante : même taille...
-N'exagérons rien, l'Empereur faisait tout de même 1m67.
-(Vous n'allez pas chipoter pour quelques centimètres)... bruns aux yeux bleus...
-C'est un fait.
-... dominateurs...
-Les colères du Petit Caporal étaient redoutables!
-...divorcés..
-... puis épousant chacun de leur côté une princesse tudesque ou une Bruni Tedeschi!
-Ils ont tous les deux fait leurs débuts dans la Police, l'un comme général de l'Intérieur, et l'autre comme ministre du même.
-Le répression des émeutes populaires est encore la meilleure école de gouvernement.
-Rapidité de mouvement, intimidation tous azimuts et maximum de feu sur l'ennemi principal : le Prézydent agit toujours comme eût fait l'Empereur.
-Il est vrai que la campagne qu'il a menée contre les acquis sociaux est un modèle du genre, étudié maintenant dans toutes les écoles de guerre.
-Une pure merveille!
On le vit dans la même année attaquer, successivement ou en même temps, le service minimum, les universités, les régimes spéciaux, les 35 heures et les retraites.
-L'ennemi ne savait plus sur quel front faire face.
-Et lorsque les grèves, inévitables, survinrent, il fit donner la Garde, journaux radio-télévisés et flashs d'information.
Ce ne fut plus, dans la France entière, qu'un seul cri : Prises d'otages!
-Un assaut d'une audace folle!
Du jamais vu, pas même en 68, dans une démocratie.
-L'ennemi surpris, et ses lignes brisées, déserta la bataille.
-D'ailleurs, on ne l'a plus revu depuis.
-Et je vous ferai remarquer que les ressemblances ne s'arrêtent pas là.
Prenez la question religieuse, par exemple.
Napoléon fut au Caire protecteur de l'Islam, et en Europe signataire du Concordat.
-Ah bon?
-Sarkozy a organisé l'islam de France, et dénoncé en présence du Pape les abus de la laïcité.
Nous avons affaire au même projet social : la paix civile par l'opium du peuple.
-Ou l'éternelle alliance de la matraque et du goupillon.
-Je ne vous le fais pas dire.
Regardez aussi les mesures prises par nos deux grands petits hommes en matière de Justice.
Napoléon avait mis les juges sous tutelle.
Qu'a fait Nicolas? Il leur a envoyé Rachida Dati.
-Qui tente de soumettre les magistrats au pouvoir exécutif...
-Exactement.
Il en va de même du problème des Noirs.
L'Empereur avait rétabli leur esclavage.
Et le Prézydent déclaré à Dakar qu'ils n'étaient bons à rien.
-S'ils étaient bons à quelque chose, on aurait pu les laisser travailler librement?
-Je vois que vous saisissez vite.
Quant à la liberté de la presse...
-N'en parlons pas : Nicolas Sarkozy annonce lui-même à tout le monde qu'il va changer tout ça.
-Suivant en cela l'auguste exemple de son grand-oncle, qui ne tolérait que les journaux à sa louange.
La Police secrète vous intéresse?
-Ah Fouché, Vidocq!
Jamais la Sûreté ne fut si belle que sous l'Empire.
Il y avait des espions partout...
-... et l'on traitait en terroristes les moindres opposants.
Or voyez ce qu'il se passe : Nicolas vient de créer la DCRI.
-Kézako?
-Il s'agit en fait d'une fusion de la DST, specialisée dans la lutte anti-terroriste, avec les Renseignements Généraux, qui surveillent l'opinion publique.
Or, devinez quoi : la DCRI jouit de tous les passe-droits accordés autrefois à la seule DST.
-Vous voulez dire que toute la police de renseignement bénéficie maintenant du secret défense?
-Et peut impunément s'arranger de la loi!
N'est-ce pas magnifique?
-C'est splendide!
-La population sera surveillée avec les instruments mis au point pour la lutte anti-terroriste.
Les premiers bénéficiaires de ce traitement de faveur ont été désignés : il s'agit des mouvements sociaux.

Nicolas avait rangé son cheval, et le petit bonhomme nous observait maintenant du coin de l'oeil.
Brice me donna un vif coup de coude :
-Attention, il nous regarde.
Dites quelque chose, voyons!
-Bonjour, Nicolas,
tentais-je timidement.
Le prézydent gardait un air soupçonneux.
-Vous allez bien, Nicolas?
bredouillai-je.
-Pourquoi m'appelez-vous Nicolas?
ça vous fait rire, Nicolas?
Le Petit Nicolas vous fait rire?
Sachez que je vais changer tout ça!
-Croyez bien, Révérendissime Splendeur...
-C'est fini, Nicolas, terminé, kaput!
-Mais, Votre Grandeur, pardon, Votre Eminence...
-Vous apprendrez bientôt comment je m'appelle!
-Je n'en doute pas, Votre Majesté...
-Le sang des Bonaparte coule dans mes veines!
C'est légitimement qu'à compter de ce jour je prends le nom de...
-Naboléon?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Prems ! Si tu te retrouves dans un cul-de-basse-fosse suite à l'article, je suis prêt à faire un concert de soutien dans l'arrière salle de la Gryffe... :-)

Gérard Amate a dit…

A tout de suite, j'arrive.