samedi 17 mai 2008
La Féria de Nîmes
Je poste en retard : j'étais à la Féria (de Nîmes).
C'est un besoin intellectuel (la sociologie).
Je lis dans les évolutions de la Féria celles de notre société toute entière.
Certains objecteront que j'en sais beaucoup moins en socio que n'importe qui s'intéressant, même de très loin, à la question.
C'est un fait.
Mais à ceux-là je répondrai que j'ai nettement plus bu à la Féria que la plupart des ivrognes ne le font.
Je puis donc en parler savamment.
Pendant longtemps, la réputation de la Féria ne dépassa guère les frontières du Gard.
On y lachait des taureaux.
On y applaudissait El Cordobes.
Pour mettre un peu d'ambiance, on jetait des pétards.
Puis vinrent les années 70, De Gaulle et Pompidou,
leur état policier (saviez-vous qu'après 68 il était délictueux de se promener en ville à plus de trois?),
leurs cités dortoirs (une idée lumineuse qu'avait eue le Général, ce grand homme)
leurs autoroutes à péage (un progrès directement inspiré du Moyen age),
et chacun sa bagnole pour aller bosser.
La jeunesse, qui cherchait les occasions de se retrouver malgré les circonstances, commença à affluer de toute la région, Narbonne, Montpellier, Béziers, en deuche, en 4L, en Simca 1000.
Le phénomène empira sous Giscard.
Ce fut, au début des années 80, le triomphe de la Féria : un million et demi de personnes déambulant ivre-morte et sans but dans les rues d'une ville de 135 000 habitants.
Il n'y avait à l'époque aucune bodega, aucune manifestation culturelle, aucune personne honorable au sein de cette fête.
C'est bien simple : on y buvait à l'oeil.
Le pastis et la sangria étaient servis au mètre.
Il en restait toujours quatre ou cinq verres sur le comptoir.
Il n'y avait qu'à les vider.
Le stupre et la fornication se pratiquaient à tous les coins de rue, et l'on venait même du Nord (Lyon, Stockholm, Berlin) pour y participer.
Pas un keuf dans les rues, car leur simple présence déclenchait des émeutes.
Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
C'était, en quelque sorte, le peuple vaincu de Mai 68 qui de nouveau tenait la rue.
Jusqu'à ce que la gauche arrivât au pouvoir, réalisant la symbiose des élans populaires et des impératifs économiques.
La bourgeoisie éclairée de cette époque considéra la Féria avec énormément de sympathie.
Elle résolut de la rationaliser.
Et de l'étendre.
Le grand boulevard qui menait aux arènes fut loué sur ses deux berges aux marchands de comestibles et de boissons, interdisant ainsi le libre accès aux bistros qui le bordaient, et diminuant de moitié la voie piétonne.
Un grand embouteillage de passants s'ensuivit.
On mettait des heures à remonter le Victor Hugo.
C'était prévu et fait exprès : plus loin, un peu à l'extérieur du centre, la plus grande esplanade de la ville, où se tenait habituellement la fête foraine, avait été entièrement louée aux marchands de frites, de paella, et d'atroce sangria.
On comptait que le peuple, dont les goûts sont grossiers, s'y amasse d'instinct.
Il n'y vint pas.
(Plus tard, cet agrandissement de la Féria fut supprimé.)
En ville même, on avait autorisé les bodegas, à la mode espagnole, afin que les consommateurs se retrouvassent entre eux.
Elles étaient chères.
N'y entrait pas qui voulait (il y avait des gardiens).
Certaines ne s'ouvraient qu'aux riches, d'autres aux personnalités du Tout-Paris.
Il fallait supplier ou connaitre pour y avoir accès.
Enfin, toutes ces améliorations ayant suscité des aigreurs, des dangers et des fraudes, les policiers réapparurent pour remettre de l'ordre.
On recentra l'intérêt de la fête sur le toro, le torero, la tauromachie, et toutes ces valeurs que le franquisme en Espagne avait portées à leur point le plus haut.
On fit passer de 3 à 8 jours la durée de la fête.
Et toutes ces dispositions prises, on se prépara à un triomphe commercial.
Le résultat ne se fit pas attendre.
La Féria dérapa tout de suite à 1,2 millions, puis 1 million de visiteurs, avant de chuter à 750 000, 400 000, 150 000 et ces derniers temps 100 000 participants.
Même la bourgeoisie, qui l'avait faite à son image, n'y venait plus.
Les bodegas faisaient faillite les unes après les autres.
La mairie ne trouvait plus personne à qui louer le trottoir.
Les arènes étaient en déficit.
Il y avait trois férias dans l'année, on en abattit une et la deuxième ne fut sauvée que de justesse.
Et lorsque Raffarin supprima le lundi de Pentecôte, le commerçant nîmois se vit perdu.
Grâce à Dieu, et une volonté sans faille, ces terreurs aujourd'hui se dissipent.
En cette année de week-ends retrouvés, on a mis le paquet pour faire venir les gens.
6 jours de corridas, les meilleurs matadors et les meilleurs toros!
On n'a pas hésité, et mis la fête foraine en même temps que la Féria, sur l'avenue Jean-Jaurès!
On a fait disparaître des rues (et c'était un crève-coeur) la police en uniforme!
Surtout, on n'a pas lésiné sur les concerts gratuits.
Il faut dire que c'était moins une.
Car le dernier carré des amateurs de Féria avait cette année disparu.
La génération de quadragénaires suffisamment fortunés pour s'offrir quelques jours de Féria, n'y met maintenant plus les pieds.
Mais un flot de jeunesses, attiré par la surabondance programmatique, est au dernier moment venu compenser cette perte cruelle.
Le doute n'est pas permis : ils ont stoppé l'hémorragie.
Ces jeunes-là, toutefois, sont bizarres.
Ils ne ressemblent pas aux jeunes précédents.
La tauromachie les indiffère.
La bodega les révulse.
Le circuit des marchands ne leur procure aucun bonheur.
Cette année, tout a changé.
On a circulé facilement sur le Victor-Hugo, on entrait sans problème au Prolé, on discutait au calme dans la rue Jean-Reboul.
Les jeunes emplissaient le quartier situé entre les concerts de la Placette et ceux de la Maison carrée.
Ils buvaient dans des lieux sombres leurs bouteilles achetées ailleurs.
Ils se baladaient parmi les rues sans charme et sans commerce du faubourg.
Et n'allaient jamais se coucher.
Il y en avait autant à 4 heures du matin qu'au sortir des corridas.
Qui attendaient quoi?
Probablement d'être, à nouveau, un peuple dans la rue.
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16 commentaires:
Pour réussir le concours de celui qui se bourre la gueule le plus?
Combien d'accident de la route en marge de la Féria à cause de l'alcool?
Une fête bon enfant qui termine au fil des ans par un spectacle affligeant de jeunes bourrés à en faire un coma éthylique.
Par contre les commerçants et le lobby des vins & spiritueux se frottent surement les mains.
Je n'ai pas de stats pour te répondre.
La féria est un monstre, mais pas celui qu'on croit.
Je sais vaguement que le taux de délits baisse pendant la fête et que, bizarrement, il n'y a pas d'accidents de la route mortels (qu'est-ce qui fait rouler trop vite, l'alcool ou le stress?).
Pareil pour les comas éthyliques : il n'y en a pas spécialement.
Ce n'est pas que les gens se retiennent.
Mais ils marchent et se bourrent sur plusieurs heures : les quantités d'alcool arrivent lentement, ils s'écroulent avant d'ingurgiter l'irréparable.
Pour le commerce, pas de blème : c'est une honte, à tous les niveaux.
Mais c'est un autre sujet : le mien était seulement de dire ce qui avait changé cette année.
Salut!
Je suis allée à la féria pour la première fois l'an dernier. Et j'avais un peu été déçue. Nous avons passé des heures à arpenter la ville de long en large pour finir soit dans des trucs surpeuplés et bruyants (et pas forcément agréables), soit dans des bars accessibles mais assez sordides.
La fête programmée n'est pas toujours une fête. Loin de là.
En revanche, j'ai aussi assisté à une corrida pour la première fois (pour me faire une opinion, en fait, question de parler de ce que je connais).
Intéressant.
Très Cher Gérard,
je pensais nos positions irréconciliables, et il faut bien admettre que je n'avais jusqu'à ce jour pas trouvé le moindre point de convergence entre nous. C'est fini ! Enfin un point d'accord.
Nous sommes des c'étaitmieuxavantquistes. Des réactionnaires quoi. Bon, moi j'en fais un point d'honneur (d'être réac); c'est quand même une grosse différence...
JPB
Moi, j'estime qu'il y a plein de trucs qui étaient mieux avant (et même encore récemment), ou bien moins pire: l'environnement, les services publics, la protection sociale, les droits des citoyens, les libertés individuelles, etc.
C'est un constat. Car il s'agit là du résultat d'une politique délibérée.
Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'on est "réactionnaire".
D'ailleurs, quelle notion peut bien revêtir ce terme à l'heure actuelle quand ceux qui reviennent à l'obscurantisme moyen-âgeux prétendent le faire au nom de la "modernité" et de la "liberté" et accusent les défenseurs des droits des citoyens de "conservateurs"?
Quant à dire qu'un événement annuel a changé de physionomie, en quoi cela relèverait-il de la réaction?
Très cher Jean-Paul,
C'est ce qui vous trompe.
Ce post, vous l'aurez remarqué, souligne combien une situation de rente (et le commerce en féria en est une jusqu'à la caricature)entrave l'activité humaine, et empêche la satisfaction des besoins.
A l'instar du soviétisme, et pour les mêmes raisons, la propriété privée est condamnée.
L'anarchie seule pourra réaliser les promesses d'abondance heureuse dont le capitalisme est porteur.
C'est donc vers des lendemains qui chantent que se tournent mes regards.
Et non vers ce passé vénéneux que chérissait Brasillac.
BrasillacH, pardon.
Très Cher Gérard,
je n'ai jamais lu Brasillach et ne saurais donc dire s'il était réactionnaire. Il me semblait, pour ce que j'en ai entendu, plutôt favorable à un homme nouveau, c'est-à-dire, selon ma vision des choses, qu'il était d'une certaine façon progressiste.
Mais bien entendu il me faudrait commencer par lire Brasillach pour défendre avec conviction ce point de vue, ou pour changer d'avis.
Je vous avoue que ce n'est pas trop ma pente (de lire Brasillach)et en cela je suis bien le petit-bourgeois, que nous sommes tous (La Dictature de la petite-bourgeoisie), qui a défini un espace du Bien au-delà duquel il s'interdit de s'aventurer. Et pourtant j'ai l'impression d'avoir dilaté cet espace incommensurablement plus que beaucoup. C'est dire...
En ce qui concerne la propriété privée, si vous deviez avoir raison, j'espère qu'elle "tiendra" au moins jusqu'à ma mort. C'est comme pour mon pays, s'il devait disparaître, je ne voudrais plus être là pour voir ça,
JPB.
Vous voyez que mes lendemains à moi ne chantent guère.
Je crois que la première phrase de Notre Avant-Guerre (je ne me souviens pas si c'est le bon titre, bref son bouquin paru en Livre de Poche) est un truc du genre "il y a des gens doués pour le passé".
Pour ma part, je vis encore après la disparition de mon pays, l'Afrique Mineure, et je ne m'en porte pas plus mal, bien qu"en exil.
bises
G
Bon, je lis Notre Avant-Guerre et je vous invite à l'apéro pour vous donner mon point de vue. Je ne suis pas sûr que celui-ci vous intéresse beaucoup, je compte plus sur l'apéro.
D'après Wikipédia, de Gaulle aurait dit qu'il ne laissait pas fusiller Brasillach à cause de ses orientations sexuelles. Brasillach était pédé ?
"Il y a des gens doués pour le passé." Ça dépend de la suite...
Ah ! Pourquoi sont-ils si peu nombreux ?
Pour l'apéro ça marche, même si tu as pas tout fini le bouquin.
Brasillach était en effet un intellectuel charmant et, même si au jour d'haujourd'hui on l'aurait fusillé plutôt deux fois qu'une, sa condamnation scandalisa le monde des lettres. Malraux eut beau intercéder, rien n'y fit. A quelque chose malheur est bon : ses bouquins, talentueux, ne cassaient pas des briques. Ses poèmes de Fresnes, où il attendit sa grâce puis sa mort, sont les meilleurs du genre depuis André Chénier.
Par exemple samedi 31 ?
JPB.
OK samedi 31, vers 18h
Ça marche. Pas besoin de confirmer.
Y'aura du fromage, du pâté et du saucisson. Et du pastis.
Votre frère (ton frère ? On se tutoie, me rappelle pas)est le bienvenu.
Ca va aller pour vous, les gars?
Ouah, le prétexte! "Ca fait rien si t'as pas lu le truc prise de tête, on aura de quoi discuter avec le jaune et les cacahuètes".
'tin, je la vois loin la révo, à ce compte-là! ;-D
Bon, on vous laisse entre vous
Y a des trucs que personne d'autre ne peut comprendre.
Et Brasillach en fait partie ...
"'tin, je la vois loin la révo, à ce compte-là!"
Dieu vous entende !
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