samedi 9 juin 2007

L'Interview de Kouchner



Léon Noël avait une mauvaise nouvelle pour Amar Rama :

-Tu sais qu'on doit supprimer un fonctionnaire sur deux? J'ai pensé à toi.

Amar leva deux yeux inquiets de dessus la bière où ils étaient plongés :

-C'est-à-dire, patron?

-On dégraisse, plus besoin d'indics, les joggers qu'on voit partout font le détour par la Maison, le civisme renait, on ne sait plus quoi faire des dénonciations. T'es viré.

-Vous allez pas me jeter à la rue, quand même, s'indigna Amar,

-Rassure-toi, flic un jour, flic toujours, on te recase dans le privé.

-Détective? Concierge? Vigile? Après tout, pourquoi pas ...

-Mieux que ça, journaliste!

-Alors là, je vous arrête tout de suite, patron, il n'en est pas question. J'ai ma fierté.

-On t'a trouvé une feuille boursière, « Super Repus », le Quotidien des Gavés (le QG), c'est ça ou rien.

-Je sais pas écrire, s'entêtait Amar d'un air buté.

-Pas grave, tu feras les interviews.


Deux jours plus tard, Amar Rama était à pied d'oeuvre chez le ministre des Affaires étrangères.


Super Repus : -Monsieur Kouchner...

Bernard Kouchner : -Je vous en prie, pas de cérémonie, les amis m'appellent Koucouche.

-Monsieur Koucouche, vous étiez conseiller de campagne de Ségolène Royal pendant la Présidentielle, et vous voici ministre de Sarkozy. Comment expliquez vous cette soudaine conversion?

-Oh, c'est une histoire bien banale, voyez-vous.

Je faisais mon jogging tranquillement, comme tous les matins, lorsque tout d'un coup une lumière aveuglante se fit. Je trébuchai, mon sac de riz tomba à terre et j'entendis une voix terrible qui disait : -Koucouche, Koucouche, pourquoi Me persécutes-tu?

Pris de terreur, je me prosternai :

-Pitié, Seigneur, que voulez-vous de moi?

-Reprends ton riz et pars évangéliser les nations, va porter Ma Bonne Parole aux quatre coins du monde.

C'est ainsi que je devins Son ministre, le ministre des Affaires étrangères.

-Justement, vous voulez être à ce poste le ministre du devoir d'ingérence. Vous laissera-t-on faire?

-Prézydent Nique (Ar Rahman, le Très Miséricordieux) a pourvu à tout : les Affaires européennes ont été dévolues à Simplet...

-...Atchoum?

-...à Prof, je crois...

-...Joyeux?

-...à Jouyet, c'est ça! et les Affaires africaines à Hortefeux (aka Brice de Nike). Les Affaires sérieuses (USA, Russia, China, India and so on) sont du ressort de Prézydent Nike, il me reste les Affaires strictement étrangères, c'est à dire celles qui ne nous regardent pas. Or comment ça s'appelle, s'occuper de ce qui ne nous regarde pas?

-Je vois mal, sur le coup, mais Prions le Seigneur, et Il m'éclairera. Si j'osais, je lui sacrifierais bien une libation.

-Le bourbon est dans le tabernacle, sous la photo officielle, la Bud et le Coca à côté, servez-vous.

-Merci, je voudrais pas vous déranger , je prends juste le bourbon, fit Amar en ramenant la bouteille.

-L'Ingérence! Voilà comment ça s'appelle, s'ocuper de ce qui nous regarde pas, ça s'appelle de l'ingérence! En me faisant ministre des Affaires Dont Tout Le Monde Se Fout, Prézydent Nique (que Son Nom soit loué dans les siècles des siècles) m'a clairement investi ministre du Devoir d'Ingérence.

-Je vois, approuva Rama en se resservant. Vous faites des pieds et des mains pour qu'un armée salvatrice de vies humaines débarque au Darfour. N'est-ce pas un but trop ambitieux?

-Cela se fera : j'ai le soutien total du Président.

-Le Prézydent (loué soit l'Eternel des Armées) est d'accord avec vous?

-Ne confondons pas tout, je vous parle du Président (Bush), pas du Prézydent (Nique) qui, bien sûr me soutient aussi, le Prézydent (Al Moudjib, Celui Qui Exauce) n'a rien à refuser au Président (Bush).

-Magnifique! Les Etats-Unis ne nous avaient pas habitués à tout cet altruisme!

-N'exagérons rien, cela fait longtemps, que les Usa interviennent pour sauver la Paix, la Démocratie, et apporter un peu de bonheur à l'humanité souffrante : regardez l'Irak, ça date pas d'hier, sans parler du Vietnam, la Somalie, la Serbie, j'en passe et des meilleurs.

Savez-vous bien où se situe le Darfour?

-Vous savez, moi, la géographie...

-Au Soudan (Axe du Mal)! Vous voyez l'Arabie?

-A peu près...

-A droite, y a l'Iran...

-Si vous voulez...

-Et à gauche le Soudan.

-C'est pas pensable! Si près que ça?

-Comme je vous le dit. Le Président est formel : il sauvera ce pays!

-C'est bien aimable à lui.

-On y fera de l'humanitaire!

-C'est bien naturel.

-De gré ou de force!

-De force, c'est plus sûr, remarqua Amar en vidant son verre.

Et là Koucouche se dressa soudain sur son fauteuil en hurlant, bras levé :

-Jusqu'à sa TOTAL DEZDRUKZION!

Amar, qui refaisait le plein, faillit en verser à côté :

-Comme en Irak, vous voulez dire?

Epuisé, Koucouche se laissa retomber :

-Hélas non... Les fourbes de Kartoum n'ont encore envahi personne. Il faut y aller en souplesse, le Président ne peut rien tout seul, et c'est là que j'interviens. French doctor! Ambulance prioritaire! Laissez passer la Croix-Rouge! Ni vu ni connu, j'envoie les paras régler la circulation, et les tanks surveiller les chauffards aux carrefours, au nom du Prézydent (Gloire à toi, As Salam, la Paix, la Sécurité, le Salut).

-Vous croyez que ça marchera?

-Prézydent Nique (Béni sois-tu Al Aziz, le Tout-Puissant, l'Irrésistible) y veillera.

-Non, je veux dire, vous croyez que les pays du coin et le Soudan d'abord vont marcher dans la combine?

-La science de gouverner est toute dans l'art de dorer les pilules, disait Adolphe.

-Adolphe?

-Thiers.

...et le succès seul juge de ce qui est bien ou mal.

-Encore Adolphe?

-Nein, Adolf.

Mais je bavarde, je bavarde et l'heure tourne. Une dernière question?

-Deux, si vous permettez, j'ai pas fini la bouteille. Et d'abord, Koucouche, où en êtes-vous politiquement?

-.Comme disait Benoit, « je suis un libéral. La nouvelle réalité de demain, répétons-le, sera capitaliste. La vraie histoire du capitalisme ne commence que maintenant. Le socialisme n'a plus une chance de s'imposer. Il s'agit de choisir entre un passé presque mort et des possibilités illimitées d'avenir... »

-Benoit?

-Benito, si vous préférez.

-Et la dernière question : quelles sont les valeurs qui guident votre action?

- Permettez-moi de vous répondre par une autre citation du grand homme : « Vivre courageusement, dangereusement ; avoir du dégoût pour la vie confortable et molle, être toujours prêt à oser, tant dans la vie privée que dans la vie collective ; aimer la vérité et avoir le mensonge en horreur ; aimer la sincérité franche et avoir en horreur tout ce qui est sournois... »

-Benito, Benito...Il s'agit de Benito Seidici (XVI)?

-Pas du tout : Benito Mussolini. Je vois que vous avez terminé le bourbon : auf wiedersehen!

-Arrivederci! Et merci beaucoup. Niklah Ou Akbar!

-Tout le plaisir était pour moi. Niklah Ou Akbar!

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