dimanche 18 mars 2007

L'assassinat de Sarkozy


Eve-Anna rangeait les bières en bas du frigo dans le bureau. On étouffait sans clim, et Léon Noël s'approchait derrière elle (pour un peu de fraîcheur), quand le téléphone coupa net ce moment de plaisir.

C'était Amar Rama, son indic dévoué, il était de passage et l'attendait en bas, au bar de la Calanque, avec son air minable et des yeux suppliants.

-Salut, Rama, je te préviens, c'est pas la peine de me demander une Kro, t'auras rien, j'en ai marre.

-Plaisantez pas, patron! J'ai trop les boules, j'arrête la mousse, je me mets au Coca.

Léon le regarda, soupçonneux, et commanda à boire

-Pas trop de whisky dans le coca, s'inquiéta Amar en interpelant le serveur, le Campbell me fait du mal, j'arrive plus à le tordre.

Puis, se retournant vers Léon :

-Je suis dégoûté, patron, vous avez vu le procés?

-Lequel? L'affaire Anissina Madam?

-Non, Bob Laval, fit Amar, en retenant un sanglot.

-????

-Le lascar qui a fumé Nicolas Sarkozy, ajouta-t-il, au bord des larmes, tu te souviens de rien, toi, alors?

-Calme-toi, bien sûr je me souviens, Bob Laval, l'Assassin de l'Espoir avait titré Libé, le dément à moitié fou qui a tué le ministre de l'intérieur l'année dernière, dans un meeting à Lyon. On avait parlé à l'époque d'aliénation mentale.

-On en parle toujours : irresponsable, qu'ils disent... Ses avocats plaident, les experts savent pas, la télé se demande, et si ça continue, ce salopard va s'en tirer avec des vacances en HP.

-Je comprends, fit sombrement Léon, moi aussi, ça me révolte : un ou deux ans logé, nourri, blanchi, aux frais de l'Etat, dans un immeuble ultra-moderne au fond d'un parc arboré, confié aux soins d'infirmières libidineuses et complaisantes, choyé comme un héros par ces fonctionnaires syndiqués : rapidement guéri dans cet environnement favorable, le criminel sortira de l'hôpital pour se répendre à la télé, et vendre un livre de souvenirs traduit en trente-cinq langues, dont les royalties lui permettront de sêcher les larmes du remord au soleil d'une plage tropicale réservée aux milliardaires.

C'est trop injuste, pauvre, pauvre Nicolas.

-Miskine, renchérissait Amar en levant les yeux au plafond, Nicoula Emmiskine, du Ciel tu nous regardes, et tu n'es pas vengé!!!

Il s'écroula sur son verre, la casquette à l'envers, terrassé de chagrin, et le vida d'un trait (le verre, pas le chagrin, hélas, et la soif persistait).

Léon Noël se fit apaisant :

Allons, allons, ressaisis-toi, on en a vu d'autres. Tu reprends la même chose? Whisky-coca?

Amar releva sa tête ravagée de sanglots :

-Je m'en fous, enfin, si tu veux, pour te faire plaisir, mais sans coca : j'ai trop la haine, si j'en bois ça m'excite, je vais pêter un plomb.

-T'énerve pas, il faut se faire une raison, Nicolas a croisé un dingue, comme on en croise en voiture, et c'est la sortie de route, l'accident mortel, l'aveugle destin qui frappe, ça peut arriver à tout le monde.

-Comment ça, un dingue?

-Ben oui, Bob Laval, 27 ans, secrétaire régional des Jeunesses Sarkozistes, un espoir du Parti, futur ministre et député du Rhone, père banquier, mére aux petits soins, bac à Saint-Stanislas, puis l'Université Catholique et Sciences-Po, quitte les études pour l'engagement militant, brillant polémiste, il est nommé à l'organisation du meeting de Lyon pour la campagne présidentielle, on le voit près de l'estrade quand Sarkozy fait son discours. Dans le tonnerre des applaudissements, le voilà qui monte aussi à la tribune auprès du chef adoré, il sort un P38 et lui en colle une balle entre les deux yeux avant de s'effondrer, inconscient, sur le corps de sa victime : un geste fou, sans aucune raison .

Amar recommanda à boire.

-Comment ça, sans aucune raison? Il en avait des tas, au contraire: le meurtrier est un homme politique, c'est-à-dire un monstre froid, un ripou carriériste, un traitre de profession, menteur et mythomane, vendu au plus offrant, et fidèle à sa seule idée fixe : tout pour sa gueule, rien pour les autres. Il en avait que dalle à battre, du pauvre Sarkozy, qui avait toutes les qualités, généreux, gentil, honnête et désintéressé, chaud partisan de l'ordre, il aurait sauvé la France, et mis les salopards en taule. Laval a senti le danger, et c'est pour ça qu'il a tué : crime crapuleux, crime maffieux typique.

-Je ne crois pas, puiqu'il a agit seul, l'enquête l'a prouvé. Bob était connu à Lyon, c'était un fanatique, il parlait de Sarko partout, un véritable obsédé, il écrivait des tracts à la gloire du leader, il est même allé un soir au Bistroy à la soirée Slam, pour déclamer sur son idole, je te dis pas comme il a été reçu.

-Son slam était mauvais?

-C'est pas la question, mais les djeuns, souviens-toi, aimaient pas trop Sarko. C'est après son martyre qu'on en a fait le Christ, et sa photo a remplacé le Che sur les posters, les T-shirts. A l'époque, l'ambiance était hostile, Bob s'était pointé juste avant le meeting, la veille je crois, oui la veille exactement, ils ont hué son slam, les gens voulaient le taper, il a dû sortir par la porte du fond, protégé par les videurs.

-ça racontait quoi?

-Attends, Eve-Anna m'en a parlé hier, c'était dans Le Progrés, à la page du procès, elle avait trouvé ça génial..

Léon attrapa le journal de la veille qui trainait froissé sur la table à côté, et se mit à lire à voix haute :

Nicolas Sarkozy, j'ai fait mon choix sur lui

Pour sauver le pays, vous n'aurez plus à craindre

La misère! Keep cool! On l'éliminera

Par la chasse aux arabes, ça favorisera

Les travailleurs français, et l'ordre régnera

Car la Maison Lardu sans arrêt cognera

Ceux qui foutent la merde, il dormira tranquille,

Le petit populo des banlieues et des villes

Unique est Nicolas, c'est sûr qu'il niquera

Les vieux conservatismes, voilà tout son programme

Putain, c'est envoyé, fit-il enfin, la voix brisée par l'émotion.

-ça déchire, ajouta Amar en essuyant un pleur, file-moi le canard, que je relise un coup.

Eh!, t'as vu la mère? Pourquoi tu m'as rien dit? s'écria-t-il soudain en saisissant la feuille.

-La grosse sur la photo? 1M80, 120 kgs, ça fait drôle à côté du banquier et sa tronche à la Woodie Allen, il doit pas rigoler tous les jours à la baraque.

-Je te parle pas de ça, t'as vu son nom? Abiba! Abiba Laval (née Bou Hahoub), ça te dis rien?

-Pas grand chose, pourquoi? Y a un truc à voir?

-Tu m'envoies un whisky?

-Ordure!

-...ou je parle pas.

Trois doubles Chivas plus tard (ça coûte la peau des fesses), Amar reprenait.

-Abiba! C'est l'explication du meurtre, j'ai connu sa famille, des Algériens de Bron, voilà pour le mobile.

-Alors là je t'arrête, c'est pas parcequ'on est algérien qu'on veut tuer des ministres, tu me convaincras jamais de ça, et la preuve, c'est qu'il y en a aussi en Algérie, des ministres, et des beaux!

-Te mets pas dans des états pareils, fais comme moi, rebois un coup (Garçon! La même chose!), et écoute-moi : Bou Hahoub, ça te dit rien, Bou Hahoub?

-?????

-Et Meyryem?

-Meyryem, la beur qu'on voit partout? Celle du MSSM?

-Le Mouvement Socialiste Salafiste Maghébin, tu l'as dit, la vitrine légale d'El Qaïda en France, drivée par la féministe enragée Meyryem Bou Hahoub.

-Tu veux dire qu' Abiba Laval???

-Est la soeur ainée de Meyryem, elle doit bien avoir quinze ans de plus, c'est elle qui l'a élevée pratiquement, à Bron d'abord, on les voyait partout, et puis à Lyon, quand ils on eu l'appart à la Tête d'Or, où créchaient les Laval.

-Passionant! (Garçon! Une autre!) et ton hypothèse est qu'elles auraient éduqué...

-Pas éduqué, formaté! Elles ont pétri le petit Bob pour en faire un tueur sans pitié dévoué corps et âme à la cause d'Allah, et elles l'ont jeté au devant de Nicolas pour porter au « capitalisme raciste », c'est -à-dire à la France, à notre chère France, le coup le plus rude qu'elle ait eu à subir depuis la mort de Claude François en 1974.

-Mais alors, et le slam? Quel besoin avait-il de faire encore de la propagande pour son pire ennemi, la veille même de l'attentat?

-Ce slam lui a permis de renforcer la thèse du coup de folie.

-J'ai du mal à y croire, en définitive, rien ne prouve que tu aies raison, l'hypothèse est fragile, et de plus les terroristes revendiquent leurs attentats, celui-ci n'a pas été revendiqué : c'est bien l'acte d'un fou.

-Tu crois?

-Certain!

-Il sera pas condamné?

-J'en ai peur

-J'ai le moral à plat, paie moi un verre.

Et tristement, nos deux héros entreprirent de noyer leur chagrin dans l'alcool.


Bob ne resta que six mois enfermé en HP, ses progrès stupéfièrent les psychiatres de l'hôpital. Dès sa sortie, il convoqua la presse, annonça la prochaine publication de son livre, et précisa qu'il avait prévenu de l'attentat lors de la soirée slam, avertissement valant revendication, tout s'était déroulé dans les règles de l'art.

On reprit ce texte, à l'envers, à l'endroit, dans tous les sens, et, à l'envers, on découvrit ceci :

Les vieux conservatismes, voilà tout son programme

Unique est Nicolas, c'est sûr qu'il niquera

Le petit populo des banlieues et des villes

Ceux qui foutent la merde, il dormira tranquille,

Car la Maison Lardu sans arrêt cognera

Les travailleurs français, et l'ordre régnera

Par la chasse aux arabes, ça favorisera

La misère! Keep cool! On l'éliminera

Pour sauver le pays, vous n'aurez plus à craindre

Nicolas Sarkozy, j'ai fait mon choix sur lui

Amar et Léon apprirent la nouvelle au bistrot. Le choc fut énorme : être passés si près de la vérité et n'avoir pas su la voir! Ecoeurés, ils recommandèrent deux bières..

3 commentaires:

Hélène Larrivé a dit…

EXCELLENT !!!!
Il faut en faire un bouquin !!! C'est ... bref génial. (Sauf que je n'ai rien compris, mais ça ne fait rien. Le vocabulaire est un peu difficile.)

Hélène Larrivé a dit…

Juste un détail comme dirait l'autre: pourquoi les secrétaires sont-elles manucurées et les infirmières lubriques ? Ca ne le fait pas....

Gérard Amate a dit…

A l'instar de Corneille, je ne décris pas le monde tel qu'il est, mais tel qu'il devrait être.